Arrivé à un point de la négociation qui s'est présenté à beaucoup d'esprits comme hérissé de difficultés, il a, au contraire, exprimé l'espoir qu'il sera facile d'amener à ce sujet une parfaite entente. La confiance dont il est animé prend sa source dans la persuasion que tout le monde donnera des preuves de sa loyauté et que la Russie concourra franchement au développement d'un principe auquel elle a donné son adhésion morale. A quoi se réduirait en effet le problème à résoudre ? A trouver une combinaison de nature à substituer l'appareil de paix à l'appareil de guerre dans des eaux intérieures qui semblent surtout faites pour la paix et les transactions commerciales, et qui néanmoins sont malheureusement devenues le théâtre de la guerre. Lord John Russell, en rappelant la déclaration faite au début de la négociation par le prince Gortchakoff, qu'il ne consentirait à aucune condition incompatible avec l'honneur de la Russie, a établi qu'aux yeux de l'Angleterre et de ses alliés les meilleures conditions de paix et les seules admissibles seraient celles qui, tout en étant le plus conformes à l'honneur de la Russie, fussent à la fois suffisantes pour la sécurité de l'Europe et pour obvier au retour des complications telles que celle à laquelle il s'agit de mettre fin. Le comte de Westmoreland s'est exprimé dans le même sens. Le prince Gortchakoff, en se félicitant des dispositions conciliantes dans lesquelles cette question avait été abordée jusqu'ici dans la conférence, a dit qu'il était préparé à discuter les moyens d'exécution qui seraient proposés par MM. les plénipotentiaires, mais qu'il ne se croyait pas en position de devoir prendre l'initiative. à ce sujet, ainsi que M. le comte de Buol l'avait suggéré. Appréciant toutefois les sentiments de courtoisie et de conciliation qui, d'après le langage unanime qu'il venait d'entendre, semblaient avoir inspiré cette proposition, il s'est déclaré prêt à la prendre ad referendum, en se réservant de faire connaître à la conférence la réponse qu'il recevrait de sa Cour. M. de Titoff s'est énoncé dans un sens identique. En présence de cette déclaration des plénipotentiaires russes — déclaration dans laquelle tous les membres de la conférence ont unanimement reconnu et apprécié l'intention de faciliter la solution du point en discussion - le plénipotentiaire de France a cru devoir réserver le développement des idées de son Gouvernement sur l'application de la troisième garantie jusqu'au moment où la discussion pourra être complète de part et d'autre. MM. les plénipotentiaires de la Grande-Bretagne ont entièrement adhéré à cette opinion. Aarif effendi, tout en déclarant n'être point autorisé à prendre l'initiative de propositions relatives au troisième point, a exprimé l'espoir que son Gouvernement accéderait à celle que les plénipotentiaires de France et de Grande-Bretagne se sont réservé de faire à ce sujet. M. le comte Buol a proposé d'aborder à la prochaine séance, fixée au 29 courant, la quatrième base de négociation, en attendant que la réponse du cabinet de Saint-Pétersbourg puisse arriver. Le prince Gortchakoff a accédé, pour sa part, à cette proposition, en constatant qu'il n'attachait au quatrième principe aucune idée politique, mais qu'il était bien convaincu que rien ne serait plus propre à faciliter au Sultan le Gouvernement de son Empire, que ce qu'il ferait pour ajouter au bonheur et à la satisfaction de ses sujets chrétiens. Le plénipotentiaire ottoman, en déclarant que le Sultan a déjà donné et continue à donner des preuves irrécusables et notoires des intentions bienveillantes qui l'animent à ce sujet, a exprimé le désir que cette discussion fût ajournée jusqu'à l'arrivée prochaine du plénipotentiaire venant de Constantinople, muni d'instructions plus complètes et de pouvoirs plus étendus. M. le comte Buol a répondu, que la conférence accueillerait certes avec tout l'intérêt qu'elles méritaient les ouvertures que le nouveau plénipotentiaire ottoman aurait à lui faire, mais que selon lui cela ne devait pas empêcher la conférence de continuer, en attendant, ses travaux. ANNEXE. D'après le texte même des notes de Vienne et l'interprétation qui leur a été donnée d'un commun accord, la pensée des trois cabinets alliés a été, non-seulement de soustraire le territoire des Principautés à une influence qui s'y exerçait exclusivement, mais aussi d'en faire une sorte de barrière naturelle qu'elle ne puisse plus désormais franchir pour menacer l'Empire ottoman au cœur même. Parmi les combinaisons qui se présentent pour assurer à la Moldavie et à la Valachie une consistance et une force suffisantes, la première nous paraît devoir être l'union en une seule des deux Principautés. Il n'est pas nécessaire d'insister sur ce que la nature a fait pour faciliter cette union, sur l'identité de la langue, des mœurs, des lois et des intérêts. Le vœu des deux provinces à cet égard se présente conforme aux convenances des Gouvernements alliés; elles ne devraient voir dans leur fusion administrative que l'application d'un plan qui est depuis de longues années l'objet de leurs préoccupations constantes, et qui avait même été indiqué dans l'un des articles de leur règlement organique élaboré par la Russie en 1829, à une époque où tout révélait un effort pour consommer leur séparation morale d'avec l'Empire ottoman. Dans le cas présent, l'intérêt de la Puissance suzeraine est en parfait accord avec l'intérêt général et avec celui des deux provinces, et il y a lieu de penser que les conseillers les plus éclairés du Sultan seraient favorables à une combinaison qui établirait ainsi sur la rive gauche du Danube une grande Principauté de près de 4,000,000 d'âmes à la place de deux Principautés jusqu'à ce jour trop faibles pour opposer une résistance efficace à l'action de la Russie. Les mêmes considérations qui doivent faire désirer que la Moldavie et la Valachie soient placées sous un même gouvernement, demandent que ce gouvernement possède toutes les conditions de force et de durée, et un système se rapprochant le plus possible de la forme monarchique répondrait seule complétement au but que l'on se propose. Temporaire, le pouvoir laisse le champ ouvert aux compétitions et aux luttes de partis qui ne pourraient que faciliter le retour de l'influence qu'il s'agit d'éloigner. Viager, il aurait à peu près les mêmes inconvénients, car les changements de personne, pour être moins fréquents, n'éveilleraient pas moins de convoitises et ne provoqueraient pas moins d'intrigues. L'histoire des Principautés n'a été, en quelque sorte, que la triste expérience de ces deux modes. L'autorité suprême serait donc héréditaire, si l'on voulait qu'elle pût remplir avec avantage le rôle important qui lui serait assigné. Sur cette question de l'hérédité, l'opinion de la Porte ne nous est point connue. Toutefois le fait ne constituerait point à ses yeux une nouveauté la famille de Miloch en Serbie avait obtenu du Sultan Mahmoud le privilége de l'hérédité, et il a été conféré en Egypte à la famille de Mehemet-Ali, où il continue de régler la transmission de pouvoir. La Porte n'a rien vu dans ces concessions qui fût incompatible avec les droits souverains et avec le principe de l'Empire. Elle n'aurait donc pas d'objections de fond contre un arrangement qui serait, d'autre part, si favorable à ses intérêts sur la rive gauche du Danube. Il y aurait deux voies à suivre. Ou l'on se bornerait pour le moment à proclamer le principe de l'hérédité, en conférant la souveraineté à titre conditionnel à un prince du pays, dont la Porte se réserverait d'apprécier dans un temps donné le dévouement et les titres. Ou bien (et cette mesure serait peut-être la meilleure) on trancherait dès maintenant la question, en faisant appel à un prince d'une des familles régnantes de l'Europe. C'est, nous le rappelons, la combinaison à laquelle on avait songé pour la Grèce, à une époque où les Puissances qui l'ont aidée à se constituer, pensaient encore qu'il y avait lieu de la maintenir sous la suzeraineté de la Porte. Elles ne doutaient pas que la Turquie n'y donnât son assentiment, et elles ne regardaient nullement comme impossible qu'un prince chrétien acceptât le gouvernement du nouvel État à la condition de reconnaître la suzeraineté du Sultan. C'est ce qui résulte du protocole de la conférence de Londres du 22 mars 1829. L'importance de la nouvelle Principauté, par sa position politique comme par le chiffre de sa populatiou, assurerait à une dynastie chrétienne d'assez grands avantages pour que la vassalité ne fût pas peut-être une objection décisive. L'État de la Servie est également compris parmi les objets dont les puissances auront à s'occuper pour compléter l'exécution de la première garantie. Mais la position de cette Principauté n'est pas exactement la même que celle des deux autres. Du moment où la Moldo-Valachie est fortement constituée, l'action qui dominait à Belgrade n'a plus les mêmes moyens pour s'y exercer. Il suffira donc, pour ce qui regarde les Serbes, d'assurer par une garantie collective et qui leur donne toute sécurité, les priviléges que la Porte leur a reconnus ou leur reconnaîtrait après s'être concertée avec ses alliés. Après la lecture du protocole n° 6, M. le plénipotentiaire ottoman a déclaré qu'il venait de recevoir, par voie télégraphique, des nouvelles de Constantinople en date du 23 courant, portant qu'Aalipacha était alors au moment de se mettre en route pour Vienne, muni des pleins pouvoirs étendus de la Sublime-Porte. Conformément aux instructions qui lui étaient parvenues en même temps, Aarif effendi a renouvelé les réserves qu'il avait déjà articulées dans les conférences précédentes à l'égard de tous les points de la négociation sur lesquels le nouveau plénipotentiaire ottoman aurait à faire connaître les idées de son Gouvernement. Les plénipotentiaires de France et de Grande-Bretagne ont constaté que les instructions qu'ils venaient de recevoir de leurs Gouvernements respectifs, leur prescrivaient de s'en tenir à l'ordre des matières tel qu'il avait été fixé de commun accord au début de la négociation et qu'ils ne se trouvaient par conséquent pas en mesure d'aborder la discussion de la quatrième base de négociation avant qu'une entente mutuelle sur la troisième eût été amenée. Les plénipotentiaires d'Autriche ont pris à tâche de faire ressortir l'opportunité qu'il y aurait à recueillir en attendant, les matériaux nécessaires pour pouvoir discuter à fond le quatrième point. Ils ont émis l'opinion que l'espace de temps qui s'écoulerait jusqu'à la réception de la réponse du cabinet de Saint-Pétersbourg au compte-rendu des plénipotentiaires russes pourrait être utilement employé, si la conférence se livrait à ce travail préparatoire, qui, tout en ne préjugeant aucune question essentielle, serait de nature à faciliter considérablement la tâche qu'elle aurait à remplir plus tard avec le concours du nouveau plénipotentiaire ottoman. Les plénipotentiaires de Russie ont fortement appuyé cette opinion. Cédant au désir qui leur en a été exprimé, les plénipotentiaires de France et de Grande-Bretagne ont consenti à demander à leurs Gouvernements, par la voie électrique, l'autorisation de prendre dès à présent part à un travail préparatoire, qui ne préjugerait la solution d'aucune question. Le plénipotentiaire ottoman a également consenti à assister aux conférences qui seraient tenues dans ce but, du moment que les plénipotentiaires de France et de Grande-Bretagne seraient autorisés à y intervenir. Protocole no 8. Séance du 2 avril 1855' Le protocole de la séance du 29 mars dernier a été lu, approuvé et signé. Le plénipotentiaire de France a déclaré que la réponse qu'il avait reçue de son Gouvernement à sa dépêche télégraphique du 29 mars lui prescrivait itérativement de s'abstenir de toute discussion sur la quatrième garantie jusqu'à ce que le troisième point eût obtenu une solution complète. Indépendamment du prix que son Gouvernement attachait à maintenir l'ordre de discussion convenu dès l'ouverture de la négociation, il a fait valoir comme un nouveau motif d'ajournement l'arrivée imminente de MM. les ministres des affaires étrangères de France et de la Sublime-Porte, venant l'un et l'autre prendre part aux travaux de la conférence. Les plénipotentiaires de Grande-Bretagne ont également annoncé qu'ils n'avaient point été autorisés à dévier de l'ordre de discussion chronologique établi dès l'abord et qu'ils ne pourraient |