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Mémoires.

Biographie. Moeurs
Aristocratiques.

MÉMOIRES DE LORD JOHN HERVEY

SUR LE RÈGNE DE GEORGES II,

DEPUIS SON AVÉNÈMENT AU TRÔNE JUSQU'A LA MORT DE LA REINE CAROLINE (1),

Depuis la publication du Catalogue des auteurs de sang royal et des auteurs nobles, par Horace Walpole, en 1757, on savait que lord John Hervey, le Sporus des satires de Pope, avait laissé des mémoires sur la cour de Georges II. Bowles, dans son édition de Pope, publiée en 1806, racontait que lord Hervey, à son lit de mort, avait défendu qu'on livrât ses mémoires à la publicité du vivant de Georges III; assertion inexacte, car l'injonction attribuée à lord Hervey lui-même était contenue dans le testament de son fils Augustus, le troisième comte de Bristol, dont le neveu, le premier marquis, vient d'autoriser enfin leur mise au jour, vingt-huit ans après la mort de Georges III. Nous étions déjà redevables à M. Croker d'une édition des Lettres de lady Hervey, qui a paru en 1821. C'est ce qui l'aura fait juger apte à remplir cette seconde tâche. Lady Hervey, la célèbre Mary Lepell, survécut un grand nombre d'années à son mari; plusieurs de ses amis, entre autres lord Hailes et Horace Walpole, avaient sans doute obtenu

(1) Memoirs of the Reign of George the second, from his accession to the death of queen Caroline. By John Lord Hervey. Edited, from the original manuscript at Ickworth, by the Right Honorable J. W. Croker. 2 vol. 8o. London, 1848.

d'elle la communication d'une partie au moins des mémoires. Lord Hailes disait en 1778 qu'ils étaient écrits avec beaucoup de liberté; il donnait de plus à entendre que leur publication révélerait à la postérité l'origine de l'antipathie réciproque de Georges II et de son fils aîné; mais le texte que nous avons sous les yeux ne remplit aucunement cette promesse.

Voici l'explication la plus plausible de notre désappointement sous ce rapport. Il paraîtrait que le marquis, à l'expiration de la clause testamentaire, examina le manuscrit dans le dessein de le publier; non-seulement plus d'une suppression lui parut opportune, mais il jugea qu'une partie du contenu ne devait jamais être révélée. En conséquence, Sa Seigneurie fit des coupures et livra divers passages au feu. Comme elle eut soin de marquer la place et l'étendue de ces suppressions, l'éditeur conclut, de la contexture du tout, qu'elles se rattachaient aux querelles de la famille royale. Très-probablement nous avons ainsi perdu la clef d'un singulier mystère historique; car il est certain que l'animosité du prince Frédéric contre son père et contre sa mère était très-vive et trèspartagée dès sa première jeunesse, bien des années avant son arrivée en Angleterre. A mesure que le temps s'écoule, le mot de l'énigme devient de plus en plus difficile à trouver. Les mémoires de lord Hervey nous montrent le ressentiment poussé si loin de la part du roi et de la reine, qu'ils songèrent à déshériter leur fils, extravagance alléguée pour sa justification par Frédéric lui-même ou par un de ses intimes dans le scandaleux conte de fée intitulé : Le Prince Titi; mais aucune autorité respectable n'avait jusqu'ici confirmé cette allégation.

Heût été à désirer que le noble héritier du manuscrit consultat un homme de lettres expérimenté avant de commettre des mutilations irréparables. M. Croker nous dit qu'il n'a rien changé, quant à lui, au texte confié à ses soins, que des phrases et des mots incompatibles avec nos idées actuelles de bienséance. Il croit avoir usé en cela d'une liberté dont tous les modernes éditeurs de correspondances et de mémoires ont donné ou auraient dù donner l'exemple. On ne serait pas excusable, selon lui, de publier pour la première fois de « grossières indécences; » or, des expressions qui auraient tout à fait ce caractère aujourd'hui, abondaient dans tous les rapports familiers, oraux ou épistolaires, des

hommes les plus purs, des femmes les plus chastes, il y a un siècle, ainsi que dans la littérature la plus classique de la même époque. M. Croker a compris que c'était là une partie très-délicate, très-épineuse de sa tâche d'éditeur; omettre complétement les expressions trop crues, n'en laisser aucune trace, c'est détruire la valeur des témoignages historiques, ôter leur couleur aux caractères individuels, aux mœurs nationales. Voulant remédier à ces inconvénients, il s'est imposé pour règle «de supprimer, mais non de cacher. » Toutes les fois que nous rencontrons les astériques de l'éditeur ou des signets, nous sommes donc avertis qu'il se trouvait là quelque énormité, car le texte tel qu'il nous reste est encore écrit avec la plus grande désinvolture. Nous ne doutons pas de la sagacité, du discernement de M. Croker; mais n'estil pas fort à craindre, dans ce temps trop fertile en bas-bleus, que de pareils scrupules, poussés jusqu'à la pruderie, ne portent grand dommage à la vérité historique? Parmi tous nos clubs de bibliophiles et de bibliomanes, pourquoi n'y en a-t-il pas un qui prenne pour spécialité la tâche de conserver intacts les textes des mémoires et des correspondances privées qui peuvent jeter du jour sur les événements et les principaux personnages des annales britanniques? Lorsqu'ils ont une valeur réelle, ne serait-il pas utile d'en tirer un nombre limité d'exemplaires?

Les Mémoires de lord Hervey embrassent les dix premières années du règne de Georges II (1727-1737). L'auteur en passa sept sous le toit royal. Nous n'avons guère de détails sur sa propre biographie, avant et après cette période. M. Croker nous en a probablement dit tout ce qu'on en saura jamais; il a beaucoup ajouté au peu que nous en savions; il nous a mis en état d'apprécier le récit posthume de l'ex-chambellan et d'interpréter plusieurs allusions jusqu'ici fort obscures, allusions en prose et en vers, que l'on trouve dans les écrits de lady Mary Wortley Montagu, et de l'ennemi commun Pope.

John Hervey, fils cadet du premier lord Bristol, naquit en 1696. Son père, le représentant d'une ancienne et riche famille, était l'un des chefs du parti whig dans les communes, à l'époque de la révolution. Créé pair par la reine Anne, en 1703, grâce à l'influence de Mariborough, il fut récompensé plus tard de son zèle pour la succession de Hanovre, par le titre de duc, à l'avènement

de Georges I. Homme de talents supérieurs, de manières élégantes, d'une conduite sans tache, il n'en avait pas moins son innocente part de l'excentricité héréditaire qui suggérait à lady Mary Wortley sa singulière division de la race humaine en trois genres: les hommes, les femmes et les Herveys. Après son élévation au rang de duc, en 1714, il paraît avoir résidé constamment dans son noble manoir d'Eckworth, dans le Suffolk, où il partageait ses heures d'activité entre ses livres, sa ferme et les exercices champêtres, en charmant ses loisirs par d'éternelles récriminations contre la cour. La pairie, le titre de duc ne lui suffisaient pas; il aspirait à remplir un poste politique, et comme on ne lui en offrait point, il refusait de prendre part aux débats du parlement. Sa femme était dame de la chambre de Caroline, princesse de Galles et depuis reine d'Angleterre; quatre de ses fils, à mesure qu'ils grandissaient, avaient été fort bien pourvus par la faveur royale. Deux d'entre eux occupaient des emplois importants dans le palais, mais leur père n'en boudait pas moins la cour, et si le plus célèbre de ses rejetons n'hérita guère de ses qualités, en revanche il imita, en les outrant, tous les faibles paternels.

Le fils aîné de lord Bristol, Carl lord Hervey, fut de bonne heure attaché à la maison du prince de Galles (Georges II). Dans l'opinion de Walpole, il était doué de talents supérieurs même à ceux de son frère John. Il mourut jeune et célibataire, après une vie pleine de désordres. S'il faut en croire lady Louisa Stuart (voyez les anecdotes qui servent d'introduction à l'édition des œuvres de lady Mary Wortley, par le feu lord Warncliffe), on donnait généralement Carr pour père à Horace Walpole. Diverses circonstances rapportées par lady Louisa appuyent cette version, que confirment certaines esquisses de la vie intime de sir Robert Walpole, dans les mémoires de lord Hervey, l'exécution même de ces mémoires et la nature toute particulière de talent, de goût, de caractère qui s'y trouve manifestée. Si le virtuose de Strawberry Hill n'avait pas le droit de figurer dans la troisième classe de lady Mary, il avait du moins une ressemblance frappante avec les personnages de cette classe que la spirituelle basbleu connaissait le mieux. Jamais, à coup sûr, homme, ou femme, ou Hervey, ne ressembla moins que lui, physiquement, moralement et intellectuellement, au pater quem nuptiæ demonstrabant.

John Hervey, à sa sortie de Cambridge, en 1715, voyagea quelque temps sur le continent. N'obtenant pas immédiatement, après son retour en Angleterre, le brevet d'officier qu'il sollicitait dans les gardes, il s'attacha à « la jeune cour» de Richmond, où le prince et la princesse de Galles avaient déjà sa mère et son frère à leur service. Caroline avait à peine dépassé la trentaine; elle était belle, enjouée, pleine de santé. Les Chesterfields, les Scarboroughs, les Bathursts, les Howards, les Bellendens, les Lepells, composaient son cercle intime; elle avait encore dans son voisinage, et dans ses bonnes grâces, Pope et ses satellites littéraires, sans oublier lady Wortley, qui habitait une jolie villa à Twickenham. Toute cette brillante société fit le meilleur accueil à John Hervey, qui devint bientôt un de ses lions. Sa beauté, vraiment remarquable, malgré son air trop efféminé, un esprit piquant, des connaissances littéraires fort rares alors chez les hommes de son rang, placés dans les mêmes circonstances, ses essais poétiques au-dessus du commun, son ambition inquiète, sa présomption et sa faconde inépuisable, ses manières gracieuses, tout cela composait un ensemble assez séduisant. Aussi ne tarda-t-il pas à s'élever très-haut dans la faveur de la princesse, et pour une saison au moins, dans la fantaisie de lady Mary Wortley Montagu. Pope l'accueillit avec l'empressement le plus flatteur; mais on sait de quelle inimitié mortelle cette liaison fut suivie. Ce qu'on ignorera toujours, c'est jusqu'à quel point les sentiments de Pope envers Hervey furent influencés par le changement des relations de lady Mary avec le brillant courtisan :

Tuneful Alexis, by the Thames' fair side,

The ladies' plaything and the muses' pride (1).

En 1720, John Hervey épousa la fleur des filles d'honneur, miss Lepell. Carr étant mort en 1723, ils devinrent lord et lady Hervey. En 1725, Hervey fut nommé membre du parlement pour Bury; et suivant l'impulsion de « la jeune cour, » il se joignit à Pulteney pour combattre le ministère de Walpole. Aucun de ses premiers discours n'a été conservé; mais il résulte d'une lettre in

(1) « Le poétique Alexis, sur les bords charmants de la Tamise, le joujou des dames et l'orgueil des muses. »

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