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CHAPITRE Ier

Des belligérants et des neutres.

1. Importance de la double distinction des belligérants et des neutres, des combattants et des non-combattants au point de vue de l'établissement des lois de la guerre. 2. Sens précis et limité de ces deux distinctions. 3. Principe. Son évolution historique. 4. Son application aux divers systèmes d'Etats. Etat fédéral. Confédération. - 5. Etat protecteur et Etat protégé. — 6. Etats vassaux. Cas de la Bosnie et de l'Herzégovine. - 7. Alliances. Leur effet. 8. Neutralité perpétuelle. Suisse, Belgique, Congo, Canal de Suez, régime particulier auquel il est soumis. - 9. Guerre civile. Reconnaissance des insurgés en qualité de belligérants. 10. Conditions imposées à cette reconnaissance. - 11. Effets de la reconnaissance dans une guerre civile. - 12. Différences subsistant entre la guerre civile et la guerre internationale. 13. Caractère des guerres entre Etat protecteur et Etat protégé.

1. Lorsqu'on étudie les lois actuelles de la guerre, on doit tout d'abord signaler un premier fait, fait capital en la matière, car nous lui sommes redevables soit de leur établissement, soit du développement qu'elles n'ont pas cessé de prendre jusqu'à nos jours. Ce fait est l'admission par la pratique internationale de la double distinction des belligérants et des neutres d'une part, des combattants et des non combattants d'autre part.

Ces deux distinctions ont eu cette utilité de permettre une certaine localisation des hostilités, et par là d'imposer une limite à leurs effets.

Autrefois, toute grande guerre amenait à sa suite une perturbation générale, obligeant les peuples même qui n'avaient aucun intérêt au débat, à prendre le parti de l'un ou de l'autre

des adversaires en présence, et, dans l'intérieur d'un même pays, soumettant toutes les personnes, sans distinction de sexe et de qualité, aux rigueurs et aux violences, suites inévitables de l'état de belligérance. Il n'en est plus ainsi maintenant, et, par une atténuation des plus légitimes apportée aux pratiques anciennes, la guerre borne ses effets aux seuls pays intéressés dans le différend qui l'a fait naître. Les autres, les pays étrangers à la cause des hostilités, demeurent également en principe étrangers à leur effet, et cela n'est que justice, car on ne voit pas par quel motif on pourrait obliger un pays à prendre part à une querelle qui ne le concerne point. De plus, et dans l'intérieur des pays belligérants, une seconde distinction s'imposait, qui a été admise en effet ; elle consiste à séparer des personnes qui ont reçu de l'Etat la mission de le défendre, celles qui en raison de leur sexe, de leur âge, de leur condition ou de n'importe quelle autre circonstance, se trouvent impropres à cette tâche.

Que l'on fasse porter sur les premières l'effet direct et les rigueurs immédiates des hostilités, rien n'est plus juste. La guerre est la lutte de la force contre la force; il faut, quelque douloureuse que soit cette nécessité, que ceux qui défendent activement la cause de leur patrie, soient exposés à toutes les violences et à toutes les souffrances que l'usage de la force peut entraîner. Au contraire il ne peut être qu'inutile et barbare d'attenter à la vie, à l'honneur, à la santé, aux biens, de personnes qui ne jouant aucun rôle actif dans les opérations militaires, ne constituent jamais pour l'adversaire un obstacle au triomphe de sa cause. Ces personnes doivent être épargnées, et si une chose peut étonner en cette matière, c'est que cette idée si simple, si humaine, si logique, ait mis, ainsi que nous le verrons, un temps très long pour prévaloir.

2. Gardons-nous de rien exagérer cependant; ce serait méconnaître les nécessités de la guerre, et fermer les yeux au véritable état des choses, que de penser que ces deux distinctions puissent être absolument maintenues. On se tromperait également, en se figurant qu'une guerre ne produit

aucun effet sur les pays demeurés étrangers aux hostilités, aucun effet non plus sur ceux des habitants des pays belligérants, qui, ne prenant aucune part aux opérations militaires, n'ont pas la qualité de combattants (1). La réalité est fort loin de cet idéal; si les pays demeurés amis des belligérants ont incontestablement le droit d'exiger d'eux qu'ils respectent leurs intentions pacifiques, ils doivent respecter aussi chez ces derniers la liberté qu'ils possèdent de vider par les armes le différend qui les sépare ; et de là résulte pour eux l'obligation de ne rien faire qui puisse contrarier l'action hostile des deux adversaires, à plus forte raison de ne pas prêter à l'un d'eux des ressources nouvelles, et susceptibles de modifier à son profit, l'issue de la campagne.

Cette obligation est la source du droit entier de la neutralité, et ce droit est si important, qu'en temps de guerre, il dirige constamment la politique des gouvernements neutres, si universellement reconnu, qu'un auteur moderne (2) a pu dire qu'il constituait de toutes les généralisations possibles en matière internationale celle qui mérite davantage le nom de loi.

3. Les quelques idées que nous venons d'exposer, suffisent à démontrer l'intérêt qui s'attache dès le début de chaque guerre à la détermination des belligérants et des neutres.

Qui est belligérant ? Qui est neutre ? Peut-on toujours à son gré revêtir l'une ou l'autre qualité ? telles sont les premières questions que nous avons à résoudre.

Le principe actuel, est ici fort libéral, et on peut dire

(1) Pour cette raison la célèbre formule de Rousseau « la guerre est un rapport d'Etat à État, non d'individu à individu », mise à la mode par Portalis, ne doit pas être prise au pied de la lettre. Le poids de la guerre porte fatalement sur l'ensemble de la population d'un pays, et il faut qu'il en soit ainsi, car c'est pour briser la résistance de la nation tout entière que la guerre est faite.

(2) WESTLAKE, Chapters on the principles of international law, p. 233. SUMNER MAINE remarque avec raison que les progrès du droit de la guerre maritime ont été singulièrement facilités par la coopération constante des puissances neutres à la solution des questions qui les intéressent (Le droit international p. 166).

qu'un Etat étranger aux différends cause des hostilités, n'est jamais contraint d'épouser malgré lui le parti de l'un ou de l'autre des belligérants, si toutefois il observe soigneusement les lois de neutralité. Il n'en était pas de même autrefois, et pendant de longs siècles, l'idée même et le mot de neutralité restèrent également inconnus dans le droit public Européen. Ils ne remontent pas l'un et l'autre au-delà du XVIe siècle. Auparavant, un belligérant considérait que les nations même les plus indifférentes à sa querelle lui devaient leur assistance, et ce n'était que par suite de leur éloignement que certains peuples restaient véritablement étrangers aux hostilités. Le neutre d'aujourd'hui était qualifié d'associé et d'ami; et on lui demandait les divers secours que l'on demande en effet à son associé, à son ami. Aussi, dans chaque guerre, les puissances tierces n'avaient d'autre parti que celui d'embrasser la cause du belligérant qui paraissait avoir les plus sérieuses chances de succès (1).

Peu à peu s'est dégagée l'idée de la neutralité, en même temps que se formait la théorie de l'équilibre européen, et que le droit des gens, confondu alors avec le droit naturel, faisait ses premiers progrès. L'idée de neutralité une fois. admise, il restait à se demander quels sont les droits et les devoirs des neutres. Grave question, et qui ne peut être considérée comme épuisée actuellement; nous la retrouverons à la fin de ce travail.

4. En principe, donc, une guerre venant à surgir, tout Etat est libre d'y prendre part ou de rester neutre, au mieux de ses intérêts. Nous entendons parler de tout Etat indépendant (2). Mais il peut arriver que des Etats distincts aient

1) RICHARD KLEEN, Lois et usages de la neutralité. Introduction, historique, passim. Il est remarquable que Grotius, qui publiait son livre en 1623, n'a consacré qu'un seul chapitre très court (1. III, ch. XVII) aux peuples neutres. L'idée de neutralité lui avait du reste échappé, et il admettait que les neutres ne sont tenus à l'impartialité qu'autant que la cause de la guerre est douteuse.

(2) Les Etats peuvent seuls faire la guerre. Les aventuriers qui se réunissent en troupes armées pour commettre des hostilités sont qualifiés de flibustiers ou de pirates: de pirates, s'ils opèrent sur mer

entre eux des relations telles que la guerre de l'un ne puisse pas demeurer étrangère à l'autre. Ces hypothèses sont nombreuses et variées; nous allons en parcourir quelques-unes que nous choisissons parmi les plus intéressantes :

1° Au nombre des belligérants se trouve un Etat compris dans un système fédératif (Etat fédéral ou Confédération d'Etats). La guerre qu'il déclare ou qui lui est déclarée lui estelle nécessairement commune avec les autres Etats faisant partie du même système? En fait, il en sera le plus souvent ainsi, parce qu'il s'agira d'intérêts communs au groupe entier des Etats confédérés. Cependant cela n'a rien de nécessaire. Souvent des royaumes faisant partie du Saint-Empire se sont trouvés engagés dans des guerres auxquelles l'empire demeurait étranger; et récemment encore, en 1859, l'Autriche, membre de la Confédération germanique, soutint contre la France et l'Italie une campagne dans laquelle elle ne fut pas soutenue par les autres membres de la Confédération.

La solution de la question paraît assez simple. Si la fédération dont il s'agit constitue un Etat fédéral qui possède à l'exclusion de ses membres la personnalité internationale, il parait impossible qu'un Etat particulier puisse se trouver engagé dans une guerre sans que l'Etat fédéral dont il fait partie le soit aussi. C'est une conséquence directe de cette idée que la guerre n'a plus lieu de nos jours qu'entre Etats, c'est-à-dire entre groupes ayant une personnalité internationale séparée. Si au contraire le lien fédéral est plus lache, et

et dans un but de lucre; de flibustiers, en toute autre occasion. Leurs exploits appartiennent au ressort du droit pénal, et non pas à celui du droit de la guerre. Ainsi les expéditions de Garibaldi n'étaient pas de véritables guerres. Il en fut de même de l'incursion tentée par le Dr Jameson sur le territoire du Transvaal. Elle n'avait rien d'une guerre légitime, et faisait tomber ses auteurs à la fois sous le coup des lois criminelles de l'Etat envahi, et de celles de leur pays d'origine. C'est en définitive ce dernier qui les a punis. (Cp., R. D. I. P., t. IV, 1896, pp. 341 et 589.) L'abolition des guerres privées est une des principales conquêtes de la civilisation moderne, et il n'est pas douteux qu'elle ait favorisé grandement les progrès du droit des gens. Sur la guerre privée, V. NYs, Les origines du droit international, Ch. V. p. 78 et s.

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