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Les précautions qu'on prend en faveur du corps et de la fortune, sont insuffisantes et inefficaces; et les professions de médecin et d'avocat ne sont pas exclusivement garanties à ceux qui ont des grades et des diplômes. A qui est-il défendu, par exemple, de publier des livres d'hygiène et de thérapeutique, des manuels de recettes et de remèdes? Rien n'est plus commun que ces ouvrages; et une preuve qu'ils sont consultés et suivis, c'est qu'on les voit se répandre et se renouveler sans cesse. Leur vrai titre, c'est la Médecine sans médecin, c'est-à-dire sans grade et sans diplôme. Dans combien de circonstances, d'ailleurs, l'art de guérir n'est-il pas pratiqué, sans que les médecins soient appelés et consultés ? Quelle famille, quel particulier n'y-a-t-il pas qui ait ses recettes et ses remèdes, et qui, à l'occasion, les recommande et les fasse adopter aux autres? Il est vraisemblable que la médecine domestique ou l'empirisme l'emporte, quant à la pratique, dans le plus grand nombre de cas, surtout parmi les populations rurales; et la médecine des écoles et des diplômes, celle qui se fonde sur la théorie et la science, se plaint en vain de cette usurpation. Il n'en est pas tout-à-fait de même du métier d'avocat ; et quand il s'agit du droit de plaider devant les tribunaux, le titre et le grade sont mieux respectés, quoiqu'il ne soit défendu à personne de se défendre soi-même et même de défendre un ami. Cependant il y a des gens d'affaires, qui, sous différents noms, mais sans autre brévet que leur savoir-faire, font les avocats dans mainte affaire et savent, impunément, se créer une pratique lucrative.

Les diplômes et les grades ne sont donc pas une garantie suffisante contre l'empirisme et la routine, et l'expérience journalière prouve que le législateur fait de vains efforts, pour assurer le monopole de certaines professions à la science.

Au demeurant, ils ne sont pas inutiles, et l'on ne doit pas être surpris qu'ils soient toujours ambitionnés par la jeunesse. Ils procurent différents avantages à ceux qui les possèdent, soit pour l'obtention de places, soit pour l'exercice de quelques professions; et quand ils seroient simplement honorifiques, il est vraisemblable qu'ils ne laisseroient pas d'être recherchés comme titres scientifiques. C'est dans la nature des chosss, et l'on voit les examens et les promotions aux grades là où les diplômes ont cessé d'être requis et où ils ne procurent plus d'avantage direct.

Il n'est donc pas étonnant que le législateur les ait maintenus en Belgique, en y attachant différents avantages et priviléges, et notre Constitution libérale n'a point paru un obstacle aux dispositions organiques et réglementaires sur la matière.

Mais d'où vient que, jusqu'à présent, on n'a rien pu faire de satisfaisant quant au mode de conférer et d'obtenir les grades? Il y a plus de vingt ans que les universités ont été réorganisées; et, en ce qui concerne les examens et les grades, le haut enseignement est toujours dans le provisoire. Tel est encore le projet de loi qui a été présenté dernièrement à la Chambre des Représentants; et dans l'exposé des motifs qui l'accompagne, M. le Ministre de l'Intérieur convient que les dispositions nouvelles, proposées pas lui, n'ont qu'un caractère temporaire.

Le provisoire pour remplacer le provisoire, et après une si longue expérience, toujours le provisoire! Le bon sens dit que, si c'est une nécessité, il vaut mieux ne rien proposer de nouveau; et en attendant qu'on pense avoir trouvé de quoi faire une loi durable, garder ce qu'on a ; de cette manière du moins le provisoire actuel acquerra certain caractère de stabilité, et cette apparence même ne sera pas sans valeur.

La source de cette difficulté est connue; elle est dans la Constitution, elle est dans la liberté de l'enseignement. « La » coëxistence de l'enseignement donné aux frais de l'Etat et » des institutions libres, soulève un problème tout nouveau, » sans précédent dans le droit public, et devant lequel on » peut, sans déshonneur, s'arrêter et même hésiter. » «Се langage, dit M. de Decker, que tenoit, en 1844, l'un de nos honorables prédécesseurs, sert encore aujourd'hui à motiver le caractère provisoire que le gouvernement vous propose de donner aux dispositions nouvelles soumises à vos délibérations. » Et en effet l'art. 56 du projet de loi dit que « le mode de formation des jurys d'examen, tel qu'il est proposé par l'art. 28 du même projet, est établi pour une période de trois années. >>

Les observations et les critiques dont la loi proposée a déjà été l'objet, suffisent pour montrer que les inconvénients de ce mode d'organisation ne disparoîtront pas. Et dès lors, quel résultat peut-on s'en promettre?

Un premier point évident, c'est qu'il faut partir de la Cons

titution et maintenir la liberté de l'enseignement. Pour que cette liberté soit complète et réelle, il est nécessaire que tout jeune homme, qui croit avoir fait des études suffisantes pour J'obtention d'un grade, puisse espérer d'être examiné avec impartialité et avec bienveillance par des juges instruits et consciencieux.

Jusqu'à présent nous avons quatre universités avec un nombre inégal de facultés ou de branches d'étude; deux ont été créées par l'Etat, deux par des particuliers. Entre ces quatre établissements, il y a naturellement et il y aura toujours un sentiment d'émulation et de rivalité. Le gouvernement reconnoît les uns comme les autres, et il veut leur donner à chacun une part égale dans la formation des jurys. Cette justice apparente n'en est pas une, malheureusement, pour les jeunes gens, et elle ne les rassure point. l'armi ces huit juges, ils comptent trouver deux protecteurs, et six autres moins favorablement disposés. En cela, ils raisonnent comme le gouvernement raisonne lui-même; c'est-à-dire qu'ils jugent leurs examinateurs d'après leur intérêt, d'après leurs passions. Le gouvernement, en effet, n'établit cet équilibre dans la formation du jury que pour empêcher l'intérêt et les passions de l'emporter dans l'examen des jeunes gens; s'il veut que chacune des quatre universités ait le même nombre de voix à donner, c'est qu'il craint que, sans cela, le sort des jeunes gens ne soit sacrifié à la jalousie de ceux qui en décident. Toutes les combinaisons, tous les calculs qui ont été imaginés en cette matière par le législateur, ont eu ce fondement; ce sont tout simplement des précautions prises contre les passions. Chose très-fâcheuse sans doute quand on considère de quoi il est question! Dans l'intérêt de la science et de la société, on exige que les jeunes gens, qui se destinent à certaines professions libérales, donnent publiquement des preuves de leurs savoir; et les juges devant lesquels on les oblige de comparoître, sont tels qu'on ne peut compter entièrement sur leur justice et leur impartialité ! Mais on auroit tort de s'en plaindre; le bon sens dit que, quand on veut que les hommes jugent équitablement et d'après les règles de la droite raison, il ne faut point les placer dans une situation, où ils puissent être violemment tentés de consulter avant tout leur intérêt et leur amour-propre.

Nous n'avons point parlé d'un neuvième membre qui doit

concourir à la formation du jury d'examen, membre que le projet de loi donne comme représentant de ce qu'il appelle les études privées. C'est encore un effet de son calcul. Il veut que les jeunes qui n'ont pas fait leurs études dans une des quatre universités, puissent aussi compter sur quelque protection. Ici ce-pendant cette égalité matérielle qu'il a cherchée, fait défaut. Il est évident que, pour que cette égalité fût réelle et complète, il faudroit que les études privées fussent aussi représentées par deux membres. Si on ne l'a pas fait, c'est qu'on a considéré sans doute que les jeunes gens qui n'ont pas étudié aux universités, sont peu nombreux et qu'il ne convient pas de donner aux établissements particuliers d'où ils viennent, l'importance qu'on donne aux quatre universités existantes. Mais il ne s'agit pas d'établissements ici; la loi n'est faite que pour concilier l'intérêt de la science avec la liberté de l'enseignement; et quand le nombre des jeunes aspirants que fournissent les études appelées privées, seroit plus petit qu'il n'est réellement, encore seroit-il juste et constitutionnel qu'ils trouvassent dans le jury d'examen la protection et la bienveillance que le législateur veut assurer aux autres.

La loi reconnoît aujourd'hui, avec les deux universités de l'Etat, deux établissements particuliers du même genre ; c'est en quelque sorte là-dessus qu'elle est fondée. Supposons qu'il surgisse un nouvel établissement ou qu'un des établissements existants, pour une raison quelconque, cesse de concourir à la formation du jury; dans ce cas, la loi devient inexécutable et il faudra la changer. Ce qui prouve qu'elle doit avoir pour base, non pas le nombre des établissements, mais la liberté elle-même. La liberté suppose ce nombre indéterminé et indė– terminable, et il suffit de le fixer pour qu'elle disparoisse.

On répondra que la loi n'a d'autre but que d'assurer la liberté, et que c'est pour cette raison qu'elle met les deux universités particulières au même rang que les deux universités de l'Etat.

Nous le reconnoissons volontiers et nous sommes loin de suspecter l'intention du législateur. Mais il ne suffit pas de reconnoître quatre établissements au lieu de deux; car c'est précisément en cela que gît l'erreur. Il ne suffit pas non plus de leur attribuer les mêmes droits de la manière qu'on l'a fait; car cette prétendue égalité est une source d'inquiétude, d'embarras et de crainte légitime pour les jeunes gens et pour les

parents. Une égalité quelconque, une égalité matérielle surtout, n'est pas la même chose que la liberté.

La science, de son côté, ne sauroit s'accommoder de cette organisation. Pour qu'elle soit réellement libre, il faut qu'elle soit certaine d'être reconnue sans distinction de personnes et de partis, sans qu'on ait le droit de lui demander d'où elle vient et par quels moyens elle a été acquise.

Mais quel est donc l'arrangement que la liberté semble réclamer? Examinons.

Jusqu'à présent, c'est l'Etat qui a cru devoir se réserver le droit de donner les grades et les diplômes; et il faut en convenir, c'est pour une bonne raison; car le grade confère un droit civil. Avec le diplôme de docteur, le jeune homme est admis à exercer dans la société une profession honorable et lucrative, à l'exclusion de ceux qui n'ont pas ce diplôme. Sans ce droit, le gouvernement n'auroit pas à s'occuper des examens et des grades, Des institutions particulières confèrent librement des grades en philosophie, en théologie, en droit canon, d'après un mode d'examen et de promotion qu'elles se choisissent elles-mêmes; et l'on ne doute pas que cela se pratique aussi régulièrement, aussi équitablement, qu'on pourroit le faire avec un jury quelconque. Personne ne songe et ne peut songer à le leur défendre; c'est le résultat naturel du régime de liberté. De leur côté, les sociétés littéraires, scientifiques, etc., ont aussi leurs diplômes et leurs titres, qu'elles confèrent d'après des réglements et des statuts qu'elles ont adoptés.

Supposons maintenant qu'une institution particulière demande au pouvoir un droit, un avantage quelconque, en faveur des jeunes gens à qui elle confère un grade académique, dans une matière qui intéresse la société civile; que devra faire l'Etat? La raison dit qu'il voudra s'assurer que ce grade se confère après un examen sérieux par des juges compétents, et qu'il peut être regardé comme un certificat véritable de capacité; et cette assurance, il tâchera de l'acquérir soit en assistant à l'examen, soit en interrogeant à son tour les jeunes aspirants. Supposons qu'une deuxième, une troisième institution particulière fassent une demande semblable au gouvernement; sa réponse naturellement sera la même il exigera que les diplômes, conférés par elles, constatent d'une manière satisfaisante et le mérite des sujets qui les

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