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UN PROCÈS

POUR UNE VENTE DE TABLEAUX

ATTRIBUÉS A

ANTOINE VAN DYCK.

1660-1662.

NOTICE

PAR M. L. GALESLOOT,

Membre titulaire, à Bruxelles.

En 1660, le tribunal échevinal d'Anvers fut saisi d'une de ces causes civiles qui sortent du cercle c'es conflits ordinaires, où, la plupart du temps, il ne s'agit avant tout que du tien et du mien. Il eut cette fois à se prononcer sur la validité d'un marché et par suite sur l'authenticité de certaines peintures, objet dudit marché. La renommée de l'artiste auquel ces peintures étaient attribuées donna à ces débats, sinon de l'éclat au moins un intérêt réel, rendu plus vif pour nous par les dépositions écrites des témoins. En effet, qui étaient ces témoins ? Des peintres contemporains, parmi lesquels plusieurs faisaient encore la gloire de l'école flamande, gloire un peu éclipsée, il est vrai, depuis le décès assez récent de Rubens et de Van Dyck. Les uns avaient connu ces deux illustres maîtres, les

Commissaires rapporteurs: MM. le chevalier L. DE BURBURE et TH. VAN LERIUS. XXX

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autres avaient été leurs élèves, et tous, fidèles aux traditions de l'école, étaient restés leurs admirateurs.

L'appréciation de ces différents artistes, leurs explications, celles que fournirent un vieux doyen des serments d'Anvers et sa femme, d'autres circonstances enfin concourent à faire de ce procès un épisode à la fois curieux et instructif pour l'histoire de l'art en notre pays. Aussi j'avoue, pour ma part, que lorsque j'en trouvai une à une les pièces dispersées dans un vaste amas d'archives poudreuses, où personne n'avait mis les mains depuis environ un siècle, je ne pus m'empêcher de me dire intérieurement que j'avais recueilli une perle dans un monceau de paperasses. Tel est le genre de récompense qui, de temps en temps, vient dédommager l'archiviste des peines qu'il se donne pour accomplir sa tâche laborieuse. Mais, comme l'observe Horace, nihil est omni parte beatum; le dossier n'était pas complet et je désespère de pouvoir en combler les lacunes, tant est grand le désordre qui règne dans les archives susdites. Il résulte de là que les renseignements qui vont suivre seront incomplets également. Je les mettrai néanmoins tels quels sous les yeux du lecteur.

En 1660 ou peut-être déjà en 1659, le peintre anversois Jean Breughel alla un jour informer un chanoine de l'église cathédrale, nommé François Hillewerve ', qui sans doute

Fils de Corneille et de Mechtilde Tolincx. François eut pour frères Frédéric, chanoine de la cathédrale de Saint-Donatien à Bruges, et Henri, le plus insigne bienfaiteur de l'église de Saint-Jacques, à Anvers, au XVIIe siècle. François Hillewerve fut chanoine gradué de la cathédrale de notre ville et pénitencier de la même église. Elle lui fut redevable de l'autel de Sainte-Barbe démoli en 1798, et qu'il avait fait orner d'une superbe copie du Sauveur en croix d'Antoine Van Dyck, que possédait l'église des Capucins de Termonde. Cette copie, exécutée par le célèbre peintre Thomas Willeborts Boschart, existe encore et se trouve actuellement dans la chapelle du bureau de bienfaisance. (Note de M. Van Lerius).

faisait grand cas des objets d'art, que le sieur Pierre Meulewels', bourgeois de la ville, possédait une collection de treize tableaux ou portraits représentant les apôtres et le Christ. Breughel assura que c'étaient des originaux de Van Dyck; il vanta leur beauté et en proposa l'acquisition au chanoine 2. Celui-ci, sans se prononcer, ne tarda pas à aller examiner les peintures. Elles lui plurent. Après une discussion assez longue, et le prix ayant été vivement débattu, on finit par s'entendre. Hillewerve acheta les tableaux pour la somme de 1900 florins, laquelle en représenterait une bien plus considérable aujourd'hui, eu égard à la dépréciation que le numéraire a subie depuis. Malgré ce prix élevé, notre chanoine, plein de confiance dans les assertions réitérées du vendeur, ainsi que dans celles de Breughel, crut qu'il avait fait une excellente affaire; mais comme il recevait parfois chez lui des artistes, qu'apparemment il n'avait pas consultés, et que d'ailleurs le marché avait eu quelque retentissement parmi les amateurs de la ville, des doutes s'élevèrent dans son esprit sur l'authenticité, déjà contestée, des peintures acquises. Finalement, ses amis dissipèrent complétement ses illusions en assurant que les portraits vendus

1 Probablement le fils de Pierre Meulewels le vieux, apprenti-peintre en 1618-1619; celui-ci reçut la prêtrise, sans doute après le décès de sa femme (comme Henri Hillewerve) et mourut en 1664. On lui doit des poésies. (Liggeren de la Gilde de St-Luc, à Anvers, transcrits et annotés par PH. ROMBOUTS et TH. VAN LERIES, avocat, t. I, p. 550, et note 2, ibid.). Je n'ai pas rencontré le jeune Pierre parmi les francs-maitres de Saint-Lue, au nombre desquels les marchands de tableaux étaient tenus de se faire recevoir. L'absence de la qualification de Heer (Monsieur) constamment donnée aux ecclésiastiques, démontre, da reste, qu'il ne saurait s'agir ici du père, dont la femme était décédée du 18 septembre 1631 au 18 septembre 1632. C'est effectivement à cette date que les comptes de la gilde de Saint-Luc mentionnent le paiement de sa dette mortuaire. (Note de M. Van Lerius.)

2 Je parle ici d'après un motivum juris dont il sera question plus loin. S'il faut en croire les assertions de Breughel, les choses ne se seraient pas passées de la sorte. (Voy. infra les assertions de ce peintre, ainsi que la réplique de Meulewels, Pièces justificatives, no IV.)

n'étaient que des copies plus ou moins retouchées par le maître. Le digne chanoine très-indisposé, comme on le pense, contre Meulewels, alla trouver un avocat, lui exposa l'affaire et demanda s'il n'était pas fondé à faire annuler la vente et à rentrer en possession de ses deniers. L'homme de loi consulta le Digeste (les coutumes locales n'ayant probablement pas prévu le cas), et fort des dispositions qu'il contient, il déclara que son client, indignement trompé, était au plus haut point (ten hoochsten] en droit de poursuivre le vendeur, quia, alléguait-il entre autres, si emptor dolo ad contrahendum inductus sit, tunc dolus dans causam contractui reddit contractum ipso jure nullum, volente eo qui deceptus est. Sur ce, le chanoine intenta une action en rescision devant les échevins d'Anvers.

Je ne m'étendrai point sur les procédures qui s'ensuivirent, attendu que je n'ai trouvé, comme on l'a vu, qu'un dossier incomplet 3. Ce qui est certain, c'est que ces procédures ne prirent pas moins de quarante audiences, du 5 septembre 1660 au 7 septembre 1661, tant les procureurs des parties surent prolonger la chicane, selon leur

Lib. II, tit. I, de jurisdictione; lib. IV, tit. III, de dolo malo; lib. XIX, tit. I, de actionibus empti et venditi. L'avis de l'avocat, maître Lamberty, que le demandeur produisit par écrit, m'a paru assez curieux pour être inséré parmi les pièces justificatives jointes à cette notice. (Voy. no I.) Cet avis est en flamand, comme toutes les autres pièces du procès.

2 Compliquée d'une action en reconvention de la part de Meulewels.

3 Il ne faut pas oublier qu'autrefois les plaidoiries étaient écrites et non orales, sauf pour quelques incidents.

Parmi les pièces de ce procès que j'ai recueillies, il y avait la réplique du défendeur à l'aenspraecke du demandeur. Comme il est indispensable de connaître cette réplique pour l'intelligence des dépositions des témoins cités par ledit défendeur, dépositions qui sont analysées plus loin, je n'ai pas pu me dispenser de la reproduire, de même que la demande et soutenue (style de l'époque) dont elle avait été précédée. Dans celle-ci Meulewels sommait la partie adverse de désigner pertinemment les tableaux peints par Van Dyck et ceux retouchés par ce maître. (Voy. Pièces justificatives, nos III et IV.)

louable habitude. Au fond de tout cela, il y avait deux faits nettement établis : c'est que, d'une part, le défendeur, le sieur Meulewels, soutenait énergiquement que les tableaux vendus étaient des originaux du célèbre peintre Antoine Van Dyck, et que, de l'autre, le demandeur, suffisamment édifié, affirmait le contraire. Comment dès lors les juges auraient-ils pu rendre leur arrêt en connaissance de cause, sans recourir aux lumières des hommes compétents, les artistes? L'affaire fut donc réglée à preuves, comme on disait jadis au palais, preuves testimoniales écrites et qui, par une chance toute particulière, me sont tombées sous la main.

Il est presque superflu d'en faire la remarque, ces preuves, jointes aux reproches, c'est-à-dire aux récusations réciproques des témoins, forment pour nous la partie essentielle du procès. Les reproches, qui étaient également écrits, nous manquent. C'est une lacune capitale, car ils devaient indubitablement contenir sur les artistes qui en étaient l'objet des détails intéressants. Faute de mieux, je donnerai ici l'analyse sommaire des preuves, en ayant soin de reproduire leur texte tout entier à la suite de cette notice, sous forme de pièces justificatives'. J'y renvoie le lecteur curieux, et, sans tenir compte de l'ordre des dates, je passe d'abord aux témoins de la défense parcequ'on rencontre dans l'ensemble de leurs dires, plus de faits dignes d'être annotés que dans les témoignages de la partie adverse 3.

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A ce texte, où l'on trouvera des renseignements sur l'âge et la demeure des artistes, nous joignons les fac-simile de leurs signatures. (Voy. dd calcem.) Pièces justificatives, no II.

On verra plus loin que certains témoins furent cités par les deux parties.

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