Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

industrieux, et attachées à d'anciennes pratiques païennes. Elles offrent à différentes divinités des cornes d'animaux, des fruits, des végétaux. Les femmes de Chavasches portent à la ceinture une masse de pièces de cuivre et d'autre métal, qui, à chaque mouvement qu'elles font, résonnent comme une rangée de clochettes. Mais ces tribus peuvent être considérées comme des êtres d'un goût raffiné, si on les compare à celles du nord de l'empire, à celle des Ostyaks, qui mangent à la même auge que leurs chiens; à celle des Samoïèdes, qui déchiquetent avec leurs dents des morceaux de chair crues. Les femmes des Samoïèdes portent, comme un élégant ornement, une queue de glouton qui passe sous leur pelisse. Leurs cheveux, tressés en forme de queue, sont surchargés d'un amas de pièces de fer, de cuivre, de laiton et de platines de fusil.

M. Erman raconte dans les termes suivants une scène dont il a été témoin dans un chum, ou tente en peau, d'une famille samoïède. Un jeune renne, que nous avions pris le long du chemin, fut tué et dépecé en un instant. Les hommes portèrent ces quartiers de chair sanglants dans la tente, et se mirent à y mordre avec avidité. Le vieillard de la troupe suçait la cervelle, tandis que ses jeunes compagnons rongeaient jusqu'aux os chaque membre de l'animal. Ils riaient aux éclats de la surprise que mon bon domestique esthonien éprouvait à voir leur figure ensanglantée; mais quand le brave homme leur dit, au moyen de notre interprète, qu'ils ressemblaient à des loups, ils parurent très-surpris de ce reproche, et répondirent gravement qu'ils valaient mieux que les loups, puisqu'ils abandonnaient les os.

Dans cette même tente était une espèce de petit monstre, un enfant appelé Peina, dont notre voyageur ne parle qu'avec une espèce d'effroi. Peina, qui avait à peine une première rangée de dents, voulut pourtant, comme un jeune ogre, tâter de la chair crue, ce qui ne l'empêcha pas ensuite de réclamer très-brutalement le sein de sa mère, puis la cuillère à pot, après quoi le pain des voyageurs, le pain dur et gelé lui procura encore une agréable distraction. Le soir, cet affreux avorton fut mis dans une boîte ressemblant à un canot, et couvert de tant de peaux, que ses cris semblaient partir de dessous terre. Le matin, sa mère, après l'avoir dégagé de ses enveloppes, le porta tout nu devant le feu. On lui

présenta du sucre, qu'il repoussa d'abord, croyant que c'était de la neige; mais dès qu'il y eut goûté, il en demanda avec colère. L'interprète de M. Erman conçut un tel dégoût de ces tableaux sauvages, qu'un matin, tandis que son maître était gravement occupé à mesurer la hauteur de quelques montagnes, il s'enfuit, laissant le pauvre savant avec quelques Ostyaks et trois traîneaux, obligés de retourner à Odorsk, puis à Tobolsk. Après avoir séjourné quelques semaines dans cette ville, il fit du côté de la Chine une excursion dont le récit forme quelques-uns des meilleurs chapitres de son livre.

Irkutsk, la dernière ville importante que l'on trouve au nord des frontières de la Chine, compte neuf cents maisons, dont cinquante en briques, le reste en bois. C'est probablement, en ce qui tient aux denrées de première nécessité, la place la plus économique du monde civilisé. Nous disons civilisé, parce que, bien qu'elle soit située dans une région barbare, elle renferme une population au sein de laquelle on remarque plus d'un aspect et plus d'un usage européens. Elle possède une banque, des factoreries, une école de médecine, un gymnase et un champ de parade. Le marché, construit en bois, renferme d'énormes magasins de vivres. Là, pour un demi-penny (un sol), on a une livre de bœuf; pour un penny, huit livres de farine; pour dix centimes, une perdrix ou un coq de bruyère (1).

Mais nous avons hâte d'arriver dans l'Empire Céleste. Nous traversons au galop, sur une glace brillante, le lac Barkal, qui s'étend au delà d'Irkutsk, et que le gouvernement russe fait garder par une flottille. De là, nous touchons rapidement à la limite des immenses

(1) NOTE DU RÉDACTEUR. La population de cette lointaine ville du nord, située à 5,820 werstes (près de 3,000 lieues) de Pétersbourg, est plus considérable que ne le dit M. Erman. Elle s'élève à 20,000 âmes. Irkoutsk est la résidence d'un gouverneur, le siége d'un évêehé, et une place de commerce considérable. C'est là que l'on forme les assortiments de pelleteries qui viennent de la côte nord-ouest de l'Amérique, et des provinces septentrionales de la Russie, qui, de là, sont transportées à la Chine, et, dans l'intérieur de l'empire russe. On évalue ce commerce à quatre millions de roubles par an; la douane de la ville rapporte 700,000 roubles au trésor. Les rues d'Irkoutsk sont droites, larges. Les marchands y ont un beau et vaste bazar. La Compagnie d'Amérique y a un comptoir et plusieurs magasins.

possessions du tzar. Devant nous s'ouvre une porte par laquelle nous entrons dans un vaste magasin russe. De l'autre côté de ce bâtiment est une barrière en bois avec un autre portail surmonté d'un aigle et du chiffre de Nicolas. C'est la frontière de l'empire. Franchissez cette frontière, soudain le tableau est tout autre. A la simplicité des Russes succède le luxe fastueux des Chinois. La ville de Maimachen, visitée par M. Erman, est de nature à frapper vivement les regards de l'Européen; des toits plats, rejoints l'un à l'autre par des cordes auxquelles sont suspendues des lanternes; des maisons couvertes de papiers de diverses couleurs, parsemées de lanternes et de drapeaux qui flottent jusqu'au milieu de la rue. A la jonction des rues, coupées à angles droits, s'élèvent, sur des piédestaux de quatre pieds de hauteur, de vastes bassins en fer, où les buveurs de thé, assis sur des bancs, fument leur pipe, en attendant que l'eau bouille sur ce foyer commun. M. Erman arrivait sur la frontière à l'époque de la fête de la lune blanche, autrement dite du nouvel an, et il eut le bonheur d'être invité à cette solennité chinoise. Toute la ville était gaiement parée; dans les rues brillaient une quantité prodigieuse de lanternes, de pavillons, des rouleaux sur lesquels étaient inscrits, avec des sentences poétiques ou des paroles louangeuses, les noms de chaque famille. De tous côtés on entendait éclater les pétards et les fusées. Avant le dîner, on assista à une représentation théâtrale. Maimachen possède une compagnie d'acteurs qui, dans cette importante circonstance, tenait à se distinguer. L'orchestre se composait de tambours en bois, de cymbales d'airain, de plaques de même métal, sur lesquelles on frappe avec des marteaux, et des baguettes en bois dont on se sert comme de castagnettes.

Sur la scène il n'y avait point de femmes: elles étaient remplacées par les acteurs les plus juvéniles, portant pour dissimuler leur sexe de longues tresses de cheveux noirs. Plusieurs personnages avaient le visage bariolé de façon à cacher leurs traits et à leur donner le plus étrange aspect. Celui-ci montrait de chaque côté de sa bouche des rayons éclatants, et sa tête était surmontée d'une plume, signe de convention qui dans les pièces chinoises indique un esprit, une apparition. Celui-là annonçait par son casque doré son caractère guerrier; quelques-uns en se frappant les flancs avec une baguette prouvaient par là qu'ils voyageaient à cheval. La

6e SÉRIE.

TOME XVI.

24

pièce même était un jeu régulier plutôt qu'une représentation dramatique. Les acteurs parlaient peu, mais en revanche couraient, dansaient beaucoup, et faisaient grand bruit. M. Erman ne put reconnaître ni commencement ni fin à ce drame chinois. Pour se consoler de cette inutile tentative, il adressa quelques saluts aux fausses actrices, qui y répondirent de la façon la plus élégante. Les cavaliers sans chevaux parurent aussi très-occupés de lui et de ses lunettes, vers lesquelles ils dirigeaient leurs baguettes et qu'ils essayaient de toucher en passant, à la grande joie des spectateurs, qui avaient ainsi un supplément de spectacle inattendu.

La représentation finie, M. Erman et les autres convives, précédés par le bruyant orchestre, se rendirent au dîner du sargerchei, ou principal officier de Maimachen. Ce fonctionnaire, à l'attitude grave, portait un vêtement de velours gris, et comme signe de sa dignité un bouton blanc au-dessus de son chapeau noir, un large anneau de chalcédoine à son pouce droit. Ses ongles ne dépassaient pas de plus de six lignes l'extrémité de ses doigts, sa vanité était sur ce point contenue par la maturité de l'âge. Cet homme était extrêmement hospitalier. Ayant salué ses hôtes d'une voix amicale et sonore, il les conduisit à une table couverte d'un tissu écarlate. On servit d'abord des fruits, des confitures, du thé. Ce premier service achevé, une serviette en papier fin et deux baguettes en ivoire furent placées devant chaque convive, et les tables larges de six pieds furent parsemées d'une multitude de petits plats en porcelaine renfermant les préparations culinaires les plus compliquées. A la première série de sauces, il en succéda immédiatement une seconde, puis plusieurs autres encore, puis on vit s'élever sur la table une pile de curiosités gastronomiques, après quoi apparut la liqueur distillée du riz. Les étrangers croyaient que le festin était fini. Mais non, il leur restait encore à prendre le potage, puis une infusion de feuilles de choux que l'on avale toute chaude. Comment l'estomac germanique s'accommoda-t-il d'un diner commençant par des abricots et finissant par une infusion de feuilles de choux ? c'est ce que M. Erman ne nous dit pas.

Après avoir essayé de goûter à une centaine de mets différents, le voyageur voulut visiter le temple de Fo. A l'entrée de cet édifice sont deux lions en terre, peints en gris. Autour de l'autel les pieux Chinois avaient dans ce jour solennel déposé une quantité de

friandises. Des brebis tout entières dépouillées de leur peau, des poulets plumés, des faisans, des pintades, debout dans leur position naturelle, étaient entassés au pied d'une demi-douzaine d'idoles grotesques et indécentes. Sur une longue table était une offrande de gâteaux, des pièces de pâtisseries ingénieusement travaillées, au milieu desquelles apparaissaient des fruits secs et des compotes de toute espèce. Des bougies parfumées flamboyaient devant les dégoûtantes idoles, et des sonneurs frappaient sur des disques d'airain suspendus au plafond, chaque fois qu'ils voyaient arriver un nouveau tribut.

Les magasins de Maimachen donnèrent à M. Erman une haute idée de l'esprit inventif et de l'activité des Chinois. Il vit là des instruments scientifiques parfaitement faits, de jolis ouvrages d'horlogerie, des peintures d'un fini extrême, des porcelaines, des ciselures, des vases de différentes sortes, des coupes ovales en chalcédoine ou en agate, beaucoup de fleurs délicieusement dessinées, et formées de pierres de différentes couleurs. Pour un assez grand nombre de ces articles, les marchands demandaient jusqu'à deux mille cinq cents dollars. Il y avait là aussi de curieux échantillons du besoin de luxe et de raffinement des Chinois, d'évidents indices des habitudes efféminées des hommes, tels que des sachets de musc, que tout jeune élégant considère comme un complément indispensable de sa toilette, et de petites boules rondes polies, d'un pouce environ de diamètre. Chaque jeune homme a constamment deux de ces petites boules, et dans ses heures de loisir les roule entre ses doigts. Il en est qui sont faites en verre rayé de gris et de blanc, et renferment dans leur cavité un grain de terre mobile. Le musc et le parfum, dont les Chinois font un si ample. usage, ne suffisent pas pour leur enlever une odeur particulière, désagréable, dont M. Erman ne peut s'expliquer la cause, et dont les Chinois ne peuvent sans doute s'affranchir, car ils attachent une importance extrême à leurs agréments physiques. Malgré leurs précautions, ils ont aussi de vilaines dents noires, ce que M. Erman attribue à la dissolution du cuivre, produite par l'action du tabac dans les embouchures en métal qui surmontent le tuyau de leurs pipes.

En retournant à Irkutsk, M. Erman rencontra, à la station de poste, une députation imposante, quatre lamas ou prêtres de la tribu

« ZurückWeiter »