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ture leur confère, au point de vue de l'équité, un droit qui est très-rarement méconnu.

Cette facilité que l'on trouve à devenir propriétaire, à part même les moyens de prospérité qu'elle offre aux classes laborieuses, doit naturellement donner une base pour ainsi dire inébranlable au droit de propriété. Cela se conçoit à merveille. Comment ce droit pourrait-il être mis en question dans un pays où tout le monde est ou peut être propriétaire ?

Ainsi, il y a dans cette facilité d'acquérir des terres, non-seulement une source perpétuelle d'aisance et de prospérité privée, une garantie d'indépendance et de dignité, mais encore un élément d'ordre et de stabilité. « Avec trois aunes de drap fin, disait Côme de Médicis, je fais un homme de bien. Avec trois quarts de terre, dit Paul-Louis Courier, qui rapporte ce mot, il en aurait fait un saint. >>

Dans les sociétés européennes la terre a un prix si élevé, qu'un grand nombre d'individus ne peuvent jamais y atteindre. Celui qui n'a pas de quoi acheter une ferme, et le nombre en est malheureusement très-grand, doit se résigner à vendre son temps ou son industrie soit au gouvernement, soit aux particuliers. Il est condamné sous des formes plus ou moins déguisées à un esclavage perpétuel. En général, celui qui n'a rien ne saurait arriver à rien.

Là-bas, au contraire, les économies de quelques années suffisent au plus simple manœuvre pour le mettre à même d'acheter un quart de section de terre et pour en faire un propriétaire indépendant, un saint, suivant l'expression de Courier.

Ainsi, tous ceux qui n'auraient pas la patience d'accumuler le capital nécessaire pour devenir chefs d'industrie peuvent trouver dans l'agriculture un asile assuré et une honorable indépendance. Il faut encore ajouter que le grand nombre d'individus qui profitent de cet avantage diminuent d'autant la concurrence dans la carrière industrielle, et en rendent à la fois l'accès plus facile et l'exercice plus avantageux.

VII.

DÉVELOPPEMENT DU SYSTÈME DE CRÉDIT.

Les capitaux sont, en général, des fruits accumulés du travail ou

des économies successives. Aussi voit-on les capitaux, presque nuls dans l'enfance des sociétés, se développer peu à peu, à mesure que les populations deviennent actives et industrieuses. On a de la terre en abondance, mais pour la mettre en valeur il faut la défricher, la préparer, l'ensemencer: il faut des outils, des semences, des avances, en un mot, c'est-à-dire des capitaux; on a mille facilités pour se livrer à des échanges lucratifs, mais il faut pour en profiter posséder les choses à donner en échange, c'est-à-dire des capitaux; on a des mines fécondes à exploiter, mais l'exploitation exige des travaux préparatoires, des avances, encore des capitaux.

Donc, ce qui manque surtout aux sociétés naissantes, ce sont les capitaux. Aussi voit-on invariablement leurs progrès s'effectuer avec une extrême lenteur. Il faut arriver à faire des épargnes, et à les accumuler graduellement avant d'avoir des moyens d'action un peu énergiques.

Sagement compris, le crédit peut, jusqu'à un certain point, accélérer la marche du progrès en suppléant les capitaux qui manquent. Mais il est rare que des sociétés naissantes soient assez avancées pour comprendre le mécanisme des institutions de crédit, et assez hardies pour en faire usage.

A cet égard comme à beaucoup d'autres, les colonies anglaises de l'Amérique du Nord se sont trouvées dans une position exceptionnelle et privilégiée. Non-seulement leur population était active, laborieuse, économe, mais elle était encore éminemment intelligente et capable de tirer le meilleur parti possible de la libéralité proverbiale des négociants et des banquiers de la mère-patrie; elle comprenait enfin, ou devinait si l'on veut, les avantages à tirer des institutions de crédit. Une banque était établie dans la colonie du Massachusetts dès l'année 1690; dans celle de la Caroline du Sud dès 1712, et dans celle de la Pennsylvanie dès 1723. La plupart des autres colonies avaient aussi, de très-bonne heure, émis du papier de crédit sous diverses dénominations.

On comptait, en 1805, suivant Blodget, quatre-vingts banques aux État-Unis, ayant un capital total d'environ quarante-cinq millions de dollars (environ 237,000,000 fr.) pour une population de six millions d'âmes. C'est près de quarante francs par tète. M. Gallatin donne la liste de trois cent vingt-neuf banques, exis

tant en 1830, et réunissant un capital de cent huit millions de dollars (567,000,000 fr.) pour une population de douze millions huit cent mille habitants. C'est près de quarante-cinq francs par tête. Aujourd'hui on y compte environ neuf cent banques, réunissant un capital de trois cent soixante millions de dollars, (1,890 millions de francs). C'est, en évaluant la population à vingt-deux millions d'âmes, quatre-vingt-cinq francs par tête, à très-peu de chose près. On voit donc que la proportion est loin de diminuer.

Il suit de là que, s'il y a quelque chose à reprocher à la population américaine, c'est d'avoir usé avec trop peu de modération des institutions de crédit, et de n'avoir pas toujours suivi les conseils de la prudence. Trop souvent ses banques, mal administrées, sont tombées, entraînant dans leur chute ou couvrant de leurs débris d'innombrables victimes. Néanmoins, malgré les vices de leur trop facile organisation et malgré les désastres causés par l'imprévoyante prodigalité de leur administration, ces banques ont puissamment contribué au rapide développement de la prospérité publique. C'est grâce à leur libéralité que le commerce, l'agriculture et l'industrie ont pu s'élever en aussi peu d'années à la hauteur où elles sont parvenues, au grand ébahissement des autres peuples plus sages et plus prudents.

Non-seulement le crédit est un levier d'une prodigieuse puissance pour qui sait s'en servir, mais il exerce encore une influence sociale salutaire par sa double tendance vers l'égalité et vers l'association. De leur nature, les capitaux tendent à se concentrer et à constituer une féodalité financière. Dans la lutte organisée par la concurrence, les gros capitaux figurent dans le champ de l'industrie ce que sont les gros bataillons sur les champs de bataille, c'est-à-dire le gage assuré de la victoire. Malheur aux faibles!

Des institutions de crédit nombreuses et largement organisées tendent évidemment à neutraliser, jusqu'à un certain point du moins, cette concentration des capitaux, en fournissant à un prix modéré des instruments de travail à ceux qui en manquent, pourvu qu'ils présentent des garanties morales (1); elles tendent encore à

(1) Là où les institutions de crédit sont rares et sévèrement organisées, elles ne prêtent guère qu'à ceux qui pourraient se passer d'emprunter, qu'à ceux qui

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neutraliser les désastreux effets de la concentration des capitaux, en facilitant, en provoquant même l'association des petits capitaux entre eux, au moyen des actions qui forment le capital des banques.

Ainsi l'organisation sur une large base du système de crédit a pour double résultat de faire entrer dans le mouvement industriel, au moyen de l'association, un plus grand nombre d'individus, ou, en d'autres termes, de favoriser les petits capitaux et de fournir aux travailleurs honnêtes et capables les moyens de travail dont ils ont besoin.

Ce n'est pas que les grands industriels n'usent aussi, et même très-largement, du crédit; mais, à la rigueur, ils peuvent s'en passer, tandis que les petits ne le peuvent pas. Là où le crédit n'est que peu ou point développé, les riches seuls ont du crédit; eux seuls, et quelquefois leurs créatures, peuvent avancer; quant à la masse, elle doit se résoudre à flatter ou à demeurer pauvre, c'està-dire à servir. On voit aisément ce que peut être la dignité humaine dans un tel état de choses.

Lorsque le crédit est parfaitement organisé, et que par suite les capitaux sont abondants, les garanties personnelles des travailleurs, les garanties d'aptitude et de moralité, finissent par obtenir autant de crédit, quelquefois plus, que les garanties purement pécuniaires. Or, rien ne tend plus puissamment à élever le niveau moral de la société que cette confiance accordée aux qualités morales; car, du jour où il sera admis qu'une bonne réputatien bien établie est un moyen de parvenir, un capital d'autant plus précieux que nul revers ne saurait l'atteindre, tout le monde sera naturellement stimulé, par une louable émulation, à conquérir cette bonne réputation d'aptitude et de moralité. S'il ne dépend de personne de naître riche, il dépend de chacun d'être honnête et laborieux. Que l'honnêteté industrieuse soit un moyen de parvenir, et la jeunesse entrera avec ardeur dans cette voie de régénération et de progrès.

ont déjà des capitaux plus ou moins considérables. Le seul avantage qu'elles offrent à la classe laborieuse et sans fortune, c'est de mettre quelquefois les capitaux intermédiaires à même de descendre jusqu'à elle, quoique avec des conditions très-onéreuses.

VIII.

ISOLEMENT.

Les États-Unis se trouvent n'avoir aucun voisin puissant. L'Angleterre les touche bien sur une immense frontière par ses possessions du Canada; mais le siége de sa puissance est à douze ou quinze cents lieues de distance, ce qui en neutralise singulièrement l'effet. Cette position isolée est, pour eux, un inestimable bienfait de la providence, bienfait dont au reste ils savent habilement profiter, en se dispensant d'entretenir une armée permanente de quelque importance.

:

Une armée enlèverait aux travaux utiles la partie la plus active et la plus vigoureuse de la jeunesse, la fleur de sa population, tout en nécessitant des contributious plus considérables elle occasionnerait donc en même temps une diminution dans le nombre des travailleurs pour faire des soldats, et un amoindrissement graduel dans la somme des capitaux productifs, absorbés sous forme de contributions pour nourrir et habiller l'armée. Sous ce rapport, l'équilibre pourrait bien rester le même relativement au taux des salaires; mais il y aurait toujours diminution de production et augmentation de dépenses improductives, et par conséquent affaiblissement graduel du chiffre de la richesse publique.

Avec une forte armée permanente, on incorpore chaque année dans la population un certain nombre d'individus habitués à croiser la baïonnette et à tirer l'épée contre n'importe qui, au premier signal. Si bien qu'après un certain nombre d'années il faudrait une armée formidable, rien que pour maintenir l'ordre toujours menacé.

Ce n'est pas tout. Avec l'armée s'introduirait infailliblement l'oisiveté et de funestes habitudes de désordre et de dissipation. Tous ceux qui auraient de la propension à l'oisiveté, et le nombre en serait grand, mais qui, dans l'état actuel des choses, n'osent point s'y livrer, soit par respect pour l'opinion publique, soit faute d'occasions, se trouveraient dès lors avoir un point d'appui, un noyau, un centre de réunion dans l'armée. Et peu à peu disparaîtraient ces habitudes d'activité, d'ordre et de travail, qui font la base principale de la prospérité des États-Unis.

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