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IV.

LÉGÈRETÉ DES TAXES.

Les dépenses fédérales, fort modérées d'ailleurs, sont à peu près exclusivement couvertes par le produit des droits de douane et par le produit de la vente des terres publiques. Les dépenses locales des états et des communes sont seules payées au moyen de taxes directes, et ces dernières, d'ailleurs, sont en quelque sorte insignifiantes, eu égard aux moyens des contribuables.

Trois causes principales expliquent l'économie qui préside aux dépenses publiques aux États-Unis: 1° L'absence d'armée régu lière en temps de paix; car on ne saurait appeler armée dix mille hommes de troupes sur vingt et quelques millions d'habitants; 2° l'absence à peu près absolue de sinécures; 3° enfin, l'absence d'une dette publique. Si l'on pouvait supprimer ces trois chapitres du budget français, on verrait quelle immense économie il en résulterait.

Il est bien vrai que lorsqu'il survient une guerre, les États-Unis la font plus dispendieusement que toute autre puissance, parce que l'armée ne se recrutant guère que de volontaires, il faut que la paye soit élevée en proportion du prix ordinaire de la journée de travail; parce qu'ensuite rien n'est organisé pour la guerre, et que tous les services se font à l'entreprise, sans ensemble, chèrement et mal; si la guerre revenait souvent, il est probable qu'il y aurait économie à entretenir une armée régulière; mais comme heureusement la guerre ne survient qu'à de rares intervalles, il vaut encore mieux le faire plus chèrement que de s'imposer annuellement et d'une manière permanente des dépenses qui finissent par devenir ruineuses. D'ailleurs, il y a contre l'existence d'une armée régulière des considérations bien autrement importantes que celles résultant d'une économie pécuniaire.

Quant aux sinécures, on ne comprend pas, dans une société laborieuse, économe et surtout éminemment utilitaire, ces positions exceptionnelles de loisir créées aux dépens du public. Ainsi, point de place qui ne soit rigoureusement indispensable. Le moindre emploi, il est vrai, fait amplement vivre l'homme qui l'occupe; mais il n'y a que peu ou point d'états-majors, et les

emplois supérieurs sont comparativement moins rétribués que les inférieurs. De tout cela il résulte qu'il y a moins d'employés, qu'ils travaillent davantage, et que, quoiqu'ils soient généralement mieux payés, l'État y trouve une notable économie.

Pour n'avoir pas la charge d'une dette, les Etats-Unis ont employé le moyen vulgaire, ils ont payé. La guerre de l'indépendance et celle de 1812 leur avaient laissé sur les bras une dette énorme relativement aux moyens, de la population; mais on s'est soumis à des sacrifices pour s'acquiter, et l'on y est parvenu. Dans ces derniers temps il s'en est accumulé une autre, en conséquence de la guerre, heureusemeut terminée, contre le Mexique; sans aucun doute on agira de même on s'imposera des sacrifices pendant quelques années, jusqu'à ce que la dette soit acquittée.

On peut évaluer les dépenses fédérales ordinaires à 6 francs. par personne, et les dépenses locales, en moyenne, à 9 francs : ensemble 15 francs, lorsqu'en France, où l'aisance est beaucoup moins grande, la dépense moyenne, nécessaire pour subvenir aux dépenses du gouvernement, s'élève à plus de 40 francs par personne (1).

Cette grande modération dans le chiffre des contributions est, comme on le conçoit aisément, très-favorable à la production et au rapide développement de la richesse. Par ce moyen, chaque contribuable se trouve à même de capitaliser annuellement une partie de son revenu, et, par conséquent, de lui donner une destination productive. Si l'on réfléchit ensuite que le chiffre de ces revenus, ainsi capitalisés, excède un demi-milliard de francs par an, en prenant les dépenses gouvernementales de la France pour point de comparaison, on pourra se faire une idée de la prodigieuse impulsion que doit en recevoir la fortune générale.

Si l'on pouvait, par exemple, au moyen du licenciement d'une grande partie de l'armée, et de quelques autres économies, réduire le budget français de cinq cents millions, la production serait naturellement augmentée annuellement de toute l'importance de ce nouveau capital employé productivement, lequel irait toujours croissant comme les intérêts composés. De sorte qu'au

(1) Ces chiffres bien évidemment ne sont qu'approximatifs : une comparaison rigoureusement exacte est à peu près impossible à faire.

bout d'un quart de siècle, l'accumulation des richesses qui en résulterait serait véritablement énorme. Or, cette économie est habituelle aux États-Unis: ce qui sert à expliquer pourquoi le mouvement ascensionnel de la richesse y est si rapide et si régulier.

Sans doute on doit moins attentivement examiner le chiffre de la taxe que l'emploi qui en est fait. Des taxes, même énormes, employées judicieusement à faire des routes, à creuser des canaux, à organiser des travaux d'irrigation, à populariser la science dans son application aux arts utiles, à favoriser sérieusement l'agriculture, le commerce et l'industrie, des taxes ainsi employées seraient sûrement de l'argent placé à gros intérêts. Une pareille affectation d'une partie du budget serait même infiniment plus utile en France qu'aux États-Unis ; — parce qu'ici le peuple, manquant de cette décision que donne seule l'habitude de tout faire par soi-même, ne tirerait pas, à beaucoup près, aussi bon parti que le gouvernement des sommes épargnées sur l'impôt. En cela comme en presque tout autre sujet, l'initiative des réformes et des améliorations doit, pour être véritablement efficace, venir du gouvernement. C'est donc à lui à examiner attentivement le budget, et à le modifier de manière qu'il ne soit plus absorbé, comme il l'est maintenant, par des dépenses improductives.

V.

ÉTENDUE, VARIÉTÉ ET RICHESSE DU TERRITOIRE.

Sans doute il ne suffirait pas de l'étendue, de la variété et de la richesse du territoire pour rendre compte de la prospérité des États-Unis. C'est une cause secondaire, si l'on veut, et tout à fait relative. Le Mexique possède un territoire tout aussi étendu, proportionnellement à sa population, plus riche encore peut-être et plus varié; et pourtant il est bien loin d'être en voie de prospérité. C'est que ces avantages peuvent être neutralisés par les vices de la législation, par le gaspillage des deniers publics, ou par l'incu rie de la population. Il n'en est pas moins vrai, pourtant, que cette étendue et cette variété de territoire contribuent puissamment, sous l'empire d'une sage politique, au développement de la richesse et au bien-être des populations.

Sur un territoire très-limité, la population ne tarde pas à devenir compacte, et, par suite de l'inégalité de la répartition de la richesse, les moyens d'existence difficiles à obtenir pour un certain nombre d'individus. Dès que la terre est entièrement occupée, elle acquiert une valeur de plus en plus élevée, valeur qui la met hors de la portée d'une partie plus ou moins considérable des travailleurs. Ceux-ci, n'ayant que leur industrie pour subsister, font graduellement baisser, par leur concurrence forcée, le prix de la main-d'œuvre. Et bientôt il se trouve y avoir dans la société deux classes distinctes, séparées par une barrière fort difficile à franchir, sinon tout à fait infranchissable : les riches et les pau

vres.

Arrivée à ce point, la population n'augmente guère plus. Les riches sont retenus par la prudence et les pauvres par la misère. Si parfois l'excès de la misère tend à l'accroissement de la population pauvre, ce n'est que pour aggraver encore la position de toutes les classes inférieures de la société.

Mais si l'on a, au contraire, un territoire immense, se prêtant par sa variété à toutes sortes de cultures et de travaux, il est évident que la prospérité pourra se développer graduellement dans la proportion de cette étendue. Avec une industrie plus variée, le travail présente ensuite un plus vaste horizon, et par conséquent plus de chances de succès; avec des terres disponibles, il ne reste parmi les salariés de l'industrie que ceux qui ont du penchant ou une aptitude spéciale pour ce genre de travail, et leurs salaires sont constamment plus élevés. En un mot, tous les éléments sociaux s'harmonisent mieux, et la richesse s'accroît d'autant.

Ainsi l'avantage principal de cette étendue consiste à éviter le trop plein de la population sur un point quelconque, au moyen de la faculté que chacun possède d'aller chercher ailleurs, sans s'expatrier, une résidence plus conforme à ses goûts ou à ses intérêts.

Les faits ne laissent aucun doute à cet égard. C'est le littoral de l'Atlantique qui a d'abord été peuplé par les Européens. Puis, à mesure que la population a augmenté, elle s'est portée vers les régions inhabitées de l'ouest. A l'époque de la guerre de l'indépendance, la population atteignait à peine le versant oriental des Alléghanies; maintenant elle arrive presque au pied des montagnes

Rocheuses. Avant un demi-siècle, elle aura probablement atteint l'océan Pacifique.

Ce n'est, si l'on veut, qu'un heureux accident de localité; mais il n'est guère permis de douter que cet accident n'exerce une trèsgrande influence sur la prospérité de la république américaine.

VI.

FACILITÉ D'OBTENIR DES TERRES A BAS PRIX.

Cette cause est bien, si l'on veut, une suite de la précédente; cependant elle n'en est point une conséquence rigoureuse et nécessaire. Au Mexique, dans l'Amérique du Sud et ailleurs, la population est encore plus clair-semée qu'aux États-Unis; les terres y sont par conséquent plus abondantes, et pourtant elles y sont bien moins accessibles aux cultivateurs pauvres. Cette facilité d'acquisition tient donc bien plus à la législation et aux tendances. politiques et sociales du peuple qu'à l'étendue du territoire.

Les Américains, qui sont des hommes de sens, ont compris sans peine que les terres n'ont de valeur, au point de vue de l'intérêt général, qu'autant qu'elles sont cultivées, et que la meilleure manière d'en accélérer le défrichement et la culture, c'est de les céder à bas prix aux cultivateurs qui désirent les exploiter.

On dispose donc de ces terres en vente publique ou en vente privée, suivant les circonstances, au prix moyen de quinze à vingt francs l'hectare. Les lots se composent de trente-deux hectares au moins; ils sont habituellement d'un quart de section ou de soixantecinq hectares.

Outre ce mode, qui offre, comme on voit, tant de facilités aux acheteurs, il y a encore des colons qui, ne voulant ou ne pouvant rien payer, s'établissent gratuitement sur les terres publiques, les défrichent, les cultivent, et en jouissent absolument comme si elles leur appartenaient. La loi accorde même à ces colons de nouvelle espèce, sans doute à titre d'indemnité de défrichement, un droit de préemption dans le cas où l'on disposerait en vente privée des terres par eux exploitées. A la vérité, le premier venu peut couvrir leur enchère et les déposséder, si les terres se vendent aux enchères; mais le fait même du défrichement et de la mise en cul

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