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sérée dans ses mémoires, que sir Robert conçut bientôt une assez haute idée de son habileté ou de son influence pour essayer de le convertir. En 1727, Georges Ir mourut, et son successeur s'empressa d'adopter le ministre qu'il avait abhorré comme prince; Lord Hervey suivit naturellement la même pente. Une pension de 1,000 £ (25,000 fr.) acheva d'étouffer les scrupules qu'il pouvait avoir à déserter les rangs de l'opposition pour défendre Walpole par ses discours dans la chambre des communes et surtout par une série de pamphlets contre Pulteney, Bolingbroke et les beaux esprits du « Craftsman. » Mais son père, lord Bristol, n'était pas encore converti; ce revirement politique le fit de nouveau gronder contre le pouvoir, et de temps en temps John se laissait aller aux mêmes murmures. Aucun dissentiment, soit en politique, soit dans des affaires plus graves et plus intimes, ne troubla jamais leur affectueuse confiance. Lord Hervey parlant de renoncer à sa pension, si Walpole ne lui donnait un emploi: «< vous ferez fort bien, répondit lord Bristol; et lorsque vous serez décidé à refuser cette pension, je vous en ferai une équivalente. >> Cependant les bouderies du fils contre le ministre n'allèrent jamais jusque-là; et finalement, après un ridicule duel avec Pulteney, il reçut la clef de vice-chambellan (en 1730). C'est là que les mémoires deviennent intéressants.

Le vice-chambellan était astreint à une constante résidence dans le palais; et par contre, lady Hervey depuis son mariage, avait cessé de remplir ses fonctions près de Caroline; il en résulta donc ane complète séparation à mensa et thoro. De pareilles conditions auraient semblé assez dures aux deux époux en 1720,

For Venus had never seen bedded

So handsome a beau and a belle,

As when Hervey the handsome was wedded
To the beautiful Molly Lepell (1).

Ils étaient alors aussi épris que beaux; mais en 1730 la séparation n'offrait plus autant de difficulté. Hervey avait déjà passé l'année 1729 en Italie, en garçon; et cette excursion avait laissé de telles traces dans ses goûts, que, plusieurs années après, lady

(1) « Car Vénus n'avait jamais vu conduire au lit nuptial un couple plus charmant que le jour où le bel Hervey fut uni à la belle Molly Lepell.>>

Mary Wortley l'appelait, par abréviation, « Italie. » S'il faut en croire lady Louisa Stuart (Anecdotes, pag. 66): « Le dessous de cartes, que madame de Sévigné nous conseille de regarder toujours, aurait révélé que lord et lady Hervey vivaient dans les meilleurs termes, aussi convenables l'un envers l'autre que s'ils n'étaient pas mariés du tout, comme le demande mistress Millamant dans la comédie, mais sans aucune sympathie intime, et ressemblant beaucoup plus à un couple français qu'à un bon ménage anglais. » M. Croker fait à ce sujet l'observation suivante: «Lady Hervey disant adieu au monde au moment où lady Louisa y entrait, cette dernière ne pouvait guère parler que par ouï-dire; or un ou deux traits de la plume satirique et bavarde de sa grand'mère ne suffisent pas pour entamer une réputation aussi bien établie que celle de lady Hervey. » (Ier vol., page 17.)

En ce cas, comme en plusieurs autres, notre éditeur est peutêtre trop subtil. Il est vrai que lady Mary mourut en 1762, lorsque lady Louisa était encore enfant; mais la fille de lady Mary, la comtesse de Bute, vécut jusqu'en 1794. Or, on ne peut douter que ce fut à sa mère, et aux amis et contemporains de sa mère, que lady Louisa Stuart dut ce qu'elle entrevit du dessous de cartes de la cour de Georges II.

>> D'un autre côté, poursuit M. Croker, il résulte trop clairement de plusieurs passages des mémoires, que les principes de lord Hervey en fait de mariage étaient singulièrement élastiques, et que sa femme, si elle avait eu un sentiment moins profond du devoir, aurait pu s'autoriser de son exemple pour mal faire. Il est peutêtre bon aussi de faire remarquer que cette morale relâchée avait pour accompagnement, sinon pour première origine, le scepticisme et pis que le scepticisme. Comment un fils respectueux, affectionné, ressemblant sous tant d'autres rapports à un père singulièrement pieux, se laissa-t-il entraîner dans une voie si opposée en morale et en religion? C'est ce dont il ne reste aucun indice. Mais vers l'époque où il échangea les entretiens paternels d'Ickworth contre la société de Londres et la cour sceptique du prince, Tindal, Toland et Woolston jouissaient de la vogue; il est trop certain que lord Hervey adopta toutes leurs opinions anti-chrétiennes, et comme conséquence naturelle, il conçut une antipathie particulière pour l'église et les ecclésiastiques. » (P. 18.)

Tout cela est très-vrai; mais nous sommes fâchés de le dire, il n'est pas moins clair, pour peu qu'on parcoure les lettres de lady Hervey au révérend M. Morris, qu'elle pouvait se passer sous ce rapport de l'exemple de son mari, le sentiment du devoir qui la distinguait ne tirant aucun support des principes religieux.

«A en juger, dit Lady Louisa, par le charme qu'elle exerçait encore dans un âge avancé sur toutes les personnes qui l'approchaient, elle avait dû, dans la fleur de sa jeunesse et de sa beauté, captiver tous les cœurs. Jamais il n'y eut un plus parfait modèle d'élégance aristocratique, de bon ton; c'était la véritable femme du grand monde. Ses manières avaient une teinte étrangère que certaines personnes trouvaient affectée; mais elles étaient douces, aisées, parfaitement dignes et pleines d'une grâce exquise. »> (Anecdotes, p. 66.)

Les Lepells étaient propriétaires de l'île de Sark, dont les habitants sont plus qu'à demi Français, et la partialité de lady Hervey pour la société et les mœurs françaises était telle, que, sur le déclin de sa vie, elle paraît ne s'être estimée nulle part aussi heureuse qu'à Paris. Sa correspondance, lorsque les deux nations étaient en guerre, prouve que ses amis ne se flattaient jamais de la voir pencher en faveur des Anglais. Nous pouvons ajouter, d'après lady Louisa, une circonstance assez singulière, omise ou rejetée par M. Croker. La fille d'honneur de Caroline, princesse de Galles, la femme du vice-chambellan de Georges II, la mère de trois hauts fonctionnaires de ce gouvernement, resta toute sa vie dévouée au parti des Stuarts. Notons encore, sans insinuer le moins du monde que lady Hervey fût aussi accessible aux flatteries personnelles de Voltaire qu'à sa philosophie sceptique, et qu'elle eut l'insigne distinction d'être l'objet de vers anglais com posés par l'auteur de Zaïre:

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In my eyes you'll best discover

All the powers of your own (1).

Lady Hervey à des talents solides et brillants, dont l'éditeur de ses lettres ne nous paraît pas faire assez grand cas, joignait beaucoup de qualités aimables. Elle fut toujours une excellente mère pour sa nombreuse et turbulente famille; la correspondance de son veuvage exprime autant de respect que de tendresse pour la mémoire de son mari. Toutes ces circonstances seront naturellement invoquées par M. Croker contre lady Louisa et sa prétention de savoir « le dessous des cartes. » Nous ne tenons nullement à prolonger la controverse, mais lord et lady Hervey vivaient certainement « sur un pied de tolérance conjugale plus français qu'anglais. » Il lui confia la garde de ses mémoires, où il détaille ses bonnes fortunes avant et depuis son mariage, ses liaisons interrompues et renouvelées, tout cela avec la plus parfaite satisfaction de lui-même. Tout aussi froidement il raconte que Pulteney et Walpole avaient fait la cour à sa femme; ajoutant avec la plus sereine indifférence que si milady admirait le talent de ces hommes d'état, elle n'avait aucun goût pour leurs personnes, si bien qu'ils échouèrent tous les deux. La suite des mémoires prouve surabondamment que ces petites licences n'altérèrent en rien la cordialité de ses rapports avec ses «< capitaines politiques. >>

Pope avait souvent adressé à la fille d'honneur des galanteries d'un style qui ne le cédait guère en impertinence aux stances de Voltaire à la femme mariée. Il paraît avoir conservé un faible pour elle, ou il s'imaginait tourmenter son mari en la louant; car dans la plupart de ses attaques contre Hervey, il a soin de faire ressortir le contraste des deux époux. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que le mari était toujours représenté comme un homme qui devait être pour toutes les femmes un objet de dégoût et de mépris.

Quelle que soit la première cause de cette querelle envenimée, il est certain que Pope ouvrit les hostilités. Ses rapports avec lord

(1) « Hervey! voulez-vous connaître la passion que vous avez allumée dans mon cœur? Bien faible est l'inclination qui peut s'exprimer par des paroles. — Dans mon silence voyez l'amant. L'amour vrai se reconnaît au silence. C'est dans mes yeux que vous pouvez le mieux découvrir toute la puissance des vôtres.

Hervey semblent avoir été rompus vers 1725. Dans les « Mélanges» de 1727 et dans la première « Dunciade » de 1728, Hervey fut tourné en dérision comme poëte. En 1732, parut la satire qui contient les vers méprisants sur « lord Fanny » et le distique sur Sapho, qu'on n'oserait citer. Lord Hervey et lady Mary Wortley ripostèrent de concert par les « vers à l'imitateur d'Horace » (OEuvres de lady M. Wortley, vol. III). Hervey écrivit aussi contre Pope la philippique intitulée : « Lettre d'un noble de Hamptoncourt à un docteur en théologie. » Ces deux publications parurent en 1733. Pope répliqua en prose à la lettre, et sa réplique, traitée très-légèrement par Johnson, était tout autrement appréciée par Warburton et par Warton. D'accord avec ces derniers sur la brillante exécution de la pièce en elle-même, M. Croker ajoute que le fond en est emprunté à un précédent libelle de Pulteney; il blâme sévèrement, ainsi que l'avait fait Dallaway, la lâcheté de l'auteur, osant nier que, par lord Fanny et Sapho, il eût voulu désigner Hervey et lady Mary. Warburton a-t-il raison de dire que cet écrit de Pope, très-certainement le meilleur de ses écrits en prose, fut imprimé aussi bien que rédigé en 1733, ou M. Croker, en décidant qu'il ne vit le jour qu'après la mort de Pope? La question offre peu d'intérêt pour nos lecteurs, mais la plupart penseront sans doute que l'ami, l'exécuteur testamentaire et le premier éditeur du célèbre poëte, ne pouvait guère se tromper en pareille matière, et que le docteur Johnson, en disant que la lettre ne fut jamais envoyée, a tout simplement voulu dire qu'elle ne parvint jamais à Hervey sous une autre forme que celle de pamphlet. «La lettre ne fut pas mise à la poste, mais sous presse. » L'année suivante, Pope donna le coup de grâce à son adversaire. Nous doutons qu'on trouve dans toute la littérature de l'Europe moderne une aussi terrible flagellation. Dans le portrait de << Sporus >> (Épître à Arbuthnot), Pope a déployé la méchanceté et l'esprit d'une douzaine de démons pour le moins.

Chaque mot, chaque syllabe, dut porter coup au moment de la première publication; mais les personnes qui liront les « Mémoires » de lord Hervey et la piquante préface de M. Croker, comprendront beaucoup mieux « l'Épître à Arbuthnot » que les lecteurs réduits jusqu'ici, pour l'interpréter, à la clef que pouvaient leur offrir les notes des commentateurs de Pope. Soit dit en pas

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