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longtemps. Babœuf répliquait avec un enthousiasme philosophique: O nature, si les hommes n'ont pas hésité jusqu'ici devant ces innombrables et continuelles guerres commencées pour défendre la violation de tes lois, doivent-ils hésiter devant la sainte guerre qui a leur rétablissement pour objet? Des vertus! mais il n'est besoin que d'une chose: la simplicité de l'égoïsme. En France, quatre-vingt-dix-neuf personnes n'ont pas assez et la centième a trop. Tout ce qu'il nous faut, c'est de démontrer aux quatre-vingtdix-neuf qu'elles n'ont qu'à prendre ce qui est à leur portée! >>

N'est-il pas vrai que Babœuf avait réduit la théorie révolutionnaire à sa plus simple expression, et découvert avant Fourrier luimême (loin de nous la pensée de vouloir assimiler d'ailleurs le tigre à l'agneau), le moyen d'utiliser les plus mauvaises passions? Au reste, Babœuf, de l'autre côté de cette mer Rouge qu'il s'agissait de faire traverser à l'égoïsme, était convaincu de trouver la terre promise, c'est-à-dire, selon ses expressions à lui, le maximum de vertu, de justice et de bonheur! Dans les manifestes qu'il avait préparés pour appeler le peuple au partage de la terre, il invoquait les anciens sages qui n'avaient parlé de cette régénération de l'humanité que d'une voix timide, parce qu'aucun ne s'était senti le courage de dire toute la vérité; mais les temps étaient enfin venus de fonder la république des égaux. L'heure de la restitution avait sonné, il ne s'agissait plus que d'oser être tous heureux, tous, à l'exception de quelques mécontents. Rien de plus facile. « Le lendemain de cette révolution chacun dira à son voisin, avec étonnement: Quoi, le bonheur général ne demandait que cela? nous n'avions qu'à vouloir... pourquoi donc n'avonsnous pas voulu plus tôt?-Peuple français, ouvrez vos yeux et vos cœurs à la plénitude de la félicité; reconnaissez et proclamez avec nous la république égalitaire! >>

La formule de Babœuf n'était pas que l'état dût être le seul propriétaire, il remontait plus directement à l'âge d'or, en disant : Les fruits sont à tous, la terre à personne. Encore une fois, il nous reste quelques doutes sur la justice de sa condamnation. Il serait digne des communistes actuels de réhabiliter, s'il y a lieu, cet homme, s'il avait réellement été condamné comme communiste. Il avait voulu, dit-on, massacrer non-seulement les deux conseils et le directoire, l'état-major de l'armée, les autorités constituées

et tous les fonctionnaires, mais encore les étrangers de toutes les nations (1). Ce massacre général n'est pas croyable. En tout cas, le directoire en se débarrassant d'un anarchiste dangereux ne voulut pas que l'on discutât avec trop de détail ses plans de régénération sociale. Le peu de sympathies qui ont survécu au gouvernement directorial permettent de dire que si le communisme fut une doctrine anti-sociale, même sous le directoire, il faut avouer qu'à aucune époque la société n'eut plus réellement besoin d'une régénération complète, et que la révolution républicaine avait trop souvent violé le droit de propriété pour être bien fondée à traiter si sévèrement un homme qui, avant de mourir, adressa philosophiquement au directoire une lettre dans laquelle il lui donnait des conseils pour se populariser (2).

Quel que soit le point de départ, et quel que soit le but final des diverses sectes communistes qui réclament aujourd'hui la régénération politique et sociale, elles ont toutes pour principe fondamental l'abolition du droit individuel de propriété, qu'elles déplorent toutes comme la source de tous les vices de la civilisation. Il en est qui ne se contentent pas de réclamer la communauté du fonds matériel ou de la terre comme élément de production, la communauté du capital et de la rente, mais encore celle de la femme, considérée, elle aussi, en quelque sorte (sur la ferme du peuple de la Spensonie), comme une créature passivement productive, tout juste au-dessus de la vache et de la brebis! C'est surtout l'abolition du mariage qui a tant fait crier en Angleterre contre l'immoralité du système de M. Owen, malgré la philan

(1) Rien dans les pièces du procès ne prouve l'intention de ce massacre général; mais dans un des plans de révolution que Babœuf rédigeait lui-même ou approuvait après discussion, on trouve cette théorie de l'insurrection en trois articles : 1o dans nos écrits et discours saper à force les généraux et leurs états-majors, mais ménager les officiers subalternes. 2o Provoquer sinon la désorganisation des corps, du moins l'indiscipline le plus possible, afin de pouvoir après opérer, si besoin en était, la dissolution. 3o Parler à la fois du pillage des riches et des congés absolus. - On saura éluder l'accomplissement des promesses selon

les circonstances.

(2) Babœuf et Darthe un de ses complices se poignardèrent en apprenant qu'on les conduisait à l'échafaud, où ils furent traînés et décapités avant d'être morts de leur propre blessure. Buonarotti fut réclamé par la Toscane.

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thropie incontestée de ce philosophe. M. Owen a aussi fait trop petite la part de la religion dans sa république, ce qui faisait dire à Southey, qui l'admirait beaucoup, qu'il lui manquait l'organe de la théopathie (1). Le saint-simonisme attaquait plus directement les mœurs et la religion; mais tous ses essais ont avorté plus complétement encore dans tous les pays et sous tous les climats, malgré le nombre de capacités réelles et variées qui s'étaient groupées autour du Père. Charles Fourrier, le plus candide et le plus honnête des rêveurs, était, au contraire, très-jaloux de réconcilier la palingénésie sociale avec la religion révélée et les saintes affections de la famille. Ses disciples ne doivent pas l'oublier, ni mettre ce respect pour des souvenirs d'enfance au nombre des puérilités du grand génie. Nous avons connu et aimé ce philosophe à la fois profond et naïf. Quoique nous n'ayons pu nous laisser convertir à son système d'harmonie universelle et de travail attrayant, nous protesterons contre un journal anglais (The Daily New, du 21 avril) qui, ne se contentant pas de tourner la Phalange en ridicule, l'accuse d'être le jésuitisme de la foi communiste, ne se conformant aux sociétés existantes qu'hyprocritement, pour conquérir une influence, dominer, saper et détruire. C'est abuser de l'analogie qu'il peut y avoir entre un phalanstère et une encommienda du Paraguay, entre la paternelle étude que Fourrier faisait des enfants, et les caressantes flatteries que les jésuites prodiguaient au premier âge (2).

De toutes les sectes communistes actuelles en Angleterre ou en France, c'est celle des icariens qui se rapproche le plus de la secte spensonienne ou spencéenne. Comme Spence, M. Cabet, voulant se donner pleine carrière, a cherché la complète réalisation de son utopie dans les domaines de l'imagination. L'Icarie, comme la Spensonie, est une de ces îles ou continents comme n'en dé

(1) Voir aussi dans cette même livraison de la Revue Britannique (article des Quakers modernes) les premières relations d'Owen et d'Allen.

(2) Dans ses excellentes Lettres sur l'organisation du travail adressées au Journal des Débats, M. Michel Chevalier a caractérisé avec tous les égards que la critique doit aux aberrations du génie le système de Charles Fourrier. Ces Lettres nous dispensent de nous étendre sur les autres sectes socialistes françaises. On ne vient pas impunément après M. Michel Chevalier, sur ces questions comme sur tant d'autres à l'ordre du jour.

couvrent guère que les navigateurs de la famille de Robinson ou de Gulliver. M. Cabet l'a peuplée d'un monde à lui: ni de jésuites, ni de frères Moraves, ni de chartreux, ni d'officiers en demi-solde cherchant le Champ-d'Asile, ni d'ouvriers associés, ni de laboureurs jaloux de l'égalité du pénitentiaire. Il y a placé un peuple nouveau, qui a mis toutes ses jouissances en commandite nationale. Tout s'y produit et tout s'y consomme par ateliers immenses. L'association y est tellement essentielle à la vie que les omnibus y ont deux étages. Un mauvais citoyen seul pourrait avoir son carrosse à lui. Il semblerait qu'on peut s'y dispenser de la polygamie; mais les célibataires des deux sexes y trouvent au besoin des distractions en commun. Ce pays extraordinaire pourrait bien être quelque jour un sujet de contestation entre la France et l'Angleterre, car le voyageur qui le révèle au monde est un Anglais, un lord même, lord Carisdall, à qui pour son argent on fait tout voir, tout goûter. Ce lord Carisdall est-il bien un personnage romanesque? nous l'ignorons; mais M. Cabet a reçu sous son nom un bon accueil dans la Grande-Bretagne. Il y a trouvé des sympathies, des affiliations même, et avec les anciens spencéens et avec une section des chartistes. Dernièrement encore le journal d'Howitt appelait l'intérêt sur les persécutions dont M. Cabet a été la victime en France. Selon nous, M. Cabet a été en effet un martyr innocent. Le cadre seul de son idée égalitaire le classe parmi les utopistes plutôt que parmi les hommes d'action de la secte communiste, comme le plagiaire de Spence et non de Babœuf; mais même dans la secte babouviste n'y avait-il pas Michel-Ange Buonarotti, qui, condamné à la simple déportation, et délivré plus tard, put continuer pacifiquement la propagande des égaux?

Bien plus dangereux que l'utopie nouvelle, en France surtout, serait à notre avis le plan de réforme industrielle qui semble négliger provisoirement la propriété de la terre, pour s'emparer d'abord du capital financier. M. Louis Blanc et ses adeptes, s'il a des adeptes, sous prétexte d'organiser le travail, auraient voulu enrégimenter des corps d'ouvriers, et s'en faire des gardes prétoriennes pour déplacer à leur gré le pouvoir. Comme tous les sophistes, M. Louis Blanc s'est, par malheur pour lui, enivré trop longtemps de sa propre phrase; mais quand il a eu attendri ses auditeurs deux ou trois fois, il a été obligé de convenir que son

système ne serait applicable que lorsque la fraternité ne serait plus une chimère. C'est dire: Réalisons d'abord l'idéal, et puis nous organiserons le matériel. Il ne reste donc plus des idées de M. Louis Blanc que celles qui ne lui appartenaient pas. Qui a jamais nié que l'association volontaire reposât sur un excellent principe? C'est le principe qui se dégage aussi des affinités passionnées de Charles Fourrier; c'est le principe qui a déjà produit au sein de Paris un établissement pratique que M. Louis Blanc aurait dû mieux étudier avant de vouloir l'imposer à tous les capitalistes de son pays. Nous parlons de l'atelier de M. Leclaire, rue Saint-Georges, qui a véritablement organisé avec avantage l'association du travail et du capital.

En l'état, il existe une distinction réelle entre ce communisme qui demande la confiscation du capital et celui qui dissimule, sous n'importe quelles théories ou utopies, la promulgation de la loi agraire. Il faut regretter pour la république française qu'elle ait cru devoir admettre sur son drapeau la doctrine de la fraternité expliquée dans le sens de ce socialisme démagogique qui remonte à la fameuse Déclaration des droits de l'homme, attribuée à Robespierre, qui définissait déjà la propriété, cette portion de terre qui est garantie à l'homme par la loi. Cet axiome de Robespierre fut le texte sur lequel Babœuf broda son plan lorsqu'il se prétendit l'héritier des secrets testamentaires du grand terroriste. Un pareil texte prête à toutes les déductions. Car s'il dépend de la loi de fixer ce qu'il faut à, chaque citoyen pour vivre, tout le surplus revient à la communauté. Quelques théoriciens de la république de 1848 se rattachent fatalement à l'énoncé de cet article, qui peut équivaloir à un décret de confiscation, soit qu'on l'applique aux propriétaires actuels comme le voudraient ceux qui vont droit au but en commençant par réclamer l'impôt d'un milliard sur les riches, soit qu'on ait l'indulgence, comme certains professeurs improvisés de science financière, de n'attaquer que l'héritage par une taxe exorbitante sur les successions: singuliers économistes qui oublient qu'ils ruinent l'état en ruinant la propriété, ou, ce qui revient au même, en léguant aux enfants des riches des biens grevés. Faut-il donc le rappeler sans cesse ? la vraie république est celle qui met ses citoyens à l'abri de ces atteintes à la propriété tant reprochées aux gouvernements absolus. On a calculé

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