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Qu'il nous soit permis de plaider chaudement la cause de ces pauvres animaux déshérités de toute grâce extérieure et, par cela même, en butte à l'animadversion générale, car ce n'est pas d'aujourd'hui que l'aspect bizarre, disons le mot, repoussant des chauves-souris, leurs mœurs nocturnes, leurs sombres retraites ont amené des peuples entiers à les regarder comme des objets de dégoût et d'horreur. Pour n'en citer que quelques exemples, rappelons que Moïse les mit au nombre des animaux impurs dont le peuple de Dieu ne doit pas manger la chair, que les Grecs en ont fait le type de leurs Harpies, et que les Egyptiens, qui adoraient tous ceux qu'ils redoutaient, les avaient mis au rang de leurs dieux. Si nous regardons beau

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coup plus près de nous, au moyen-âge, nous verrons les chauves-souris, devenues les compagnes obligées des sorcières allant au sabbat sur leur manche à balai en croupe d'un loupgarou. Ce n'est pas tout encore, car, de nos jours même, et et une célèbre fontaine moderne de Paris le prouve, quand on veut représenter Satan, on attache à ses épaules les ailes membraneuses de la chauve-souris.

Pauvres animaux!

Pourquoi les hait-on? En définitive parce qu'on en a peur.

Pourquoi en a-t-on peur? Parce que, sauvages et défiants, ils se cachent de l'homme aussi loin qu'ils le peuvent, ne demandant rien que la paix et la liberté.

Ajoutons à cela les anomalies de leur structure. Oiseaux à ailes de peau, dit Aristote, oiseaux à mamelles, s'écrie le vieux Pline, tels sont les étonnements de l'antiquité. Au moyen-âge, Aldovrante les réunit à l'autruche, parce que, selon lui, ces deux oiseaux se rapprochent beaucoup des quadrupèdes. Singulier, vague avertissement du génie! Scaliger ne voit encore dans la chauve-souris qu'un oiseau et le signale comme couvert de poils au lieu de plumes, et portant, non un bec, mais des dents, et il faut venir jusqu'à Linné pour voir la chauvesouris placée parmi les quadrupèdes se nourrissant d'insectes.

Et l'on s'étonnerait des efforts que nous sommes obligés de faire pour réhabiliter une espèce maudite et abhorrée depuis des siècles! Heureusement, la science a marché, découvrant des horizons nouveaux, divulguant des secrets inconnus et saisissants, de sorte que le premier étonnement est tombé. On s'habitue aujourd'hui, volontiers, dans le monde, à entendre développer une proposition que l'on prend d'abord pour un paradoxe et qui, s'appuyant peu à peu sur des preuves convaincantes, finit par montrer ce qu'elle est une vérité.

L'utilité incontestable des chauves-souris est du nombre de ces vérités-là. Essentiellement nocturnes, ou plutôt crépusculaires, les chauves-souris commencent la guerre aux insectes juste au moment où les hirondelles et les martinets sont forcés, par le jour qui s'en va, de la quitter. C'est grâce à ces réprouvés si utiles que la répression est pratiquée sans intermittence contre l'exubérance de la vie chez ces myriades d'animaux qui, sans cela, envahiraient littéralement le monde et en chasseraient bientôt, en l'exterminant, l'espèce humaine.

Quand on songe que, malgré cette guerre incessante, sans repos ni relâche de nuit et de jour, dirigée contre les insectes volants, et par conséquent plus contre les mouches que contre tous les autres, il est impossible à l'homme de trouver un mètre

cube d'air, sur toute la surface de la terre, où plusieurs de ces insectes ne le poursuivent et ne passent, en bourdonnant, près de ses oreilles?

Que serait-ce, en quelques mois, si ses amis, beaux ou laids, de jour comme de nuit, cessaient subitement leur besogne?

Tout le monde, à peu près, sait aujourd'hui, même dans les campagnes, que la chauve-souris n'est pas un oiseau, mais bien un animal à mamelles, un mammifère, tout comme le chat, le chien ou le rat. Seulement au lieu d'avoir des pattes pour marcher, il en a pour voler; voilà toute la différence Ainsi, la chauve-souris fait des petits vivants qu'elle allaite avec autant de sollicitude et d'amour que les autres mammifères, commensaux habituels de nos demeures. Loin d'être imparfaits, comme on le disait autrefois, ces animaux ont un double avantage sur tant d'êtres qui semblent plus parfaits qu'eux, de marcher et de voler. La terre et l'air leur sont ouverts. Sur le sol, repliant ses membres antérieurs contre son corps, la chauve-souris marche bien à la manière des quadrupèdes; mais, par suite des proportions de ses membres, chaque pas qu'elle fait la renvoie successivement à droite et à gauche; ce n'est qu'en compensant ces directions opposées qu'elle parvient à cheminer en ligne droite.

Chaque mère emporte, dans son vol, son petit suspendu la tête en bas, à son sein, où il s'accroche par sa main de derrière, car la chauve-souris est un petit singe ailé; elle a plutôt quatre mains que quatre pattes.

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L'acuité des sens de la chauve-souris tient du prodige, et la sensibilité des membranes de ses ailes probablement aussi de celles qui forment les grandes et doubles oreilles — est telle que, sans yeux, ainsi que l'a constaté Spallanzani dans ses expériences célèbres, elle évite les fils tendus, les branches placées sur son passage. Le célèbre observateur avait conclu à la présence chez la chauve-souris d'un sens spécial, mais les expériences modernes permettent d'attribuer ces curieuses. manoeuvres à l'action de l'air sur les membranes tendues.

Leur bouche est petite et garnie de dents aiguës dont le nombre et la forme s'approprient bien à la nourriture exclusive qu'elles recherchent. Ce sont des machines coupantes et broyantes à la fois, très-propres à réduire en pulpe digestive les élytres et les membres coriaces des coléoptères et les téguments cornés des autres insectes. La langue des chauves-souris est elle-même garnie de papilles qui aident encore à la préhension des proies glissantes que l'animal attrape au vol. Les mâchoires sont, au reste, très-fortes chez ces animaux, et ils savent s'en servir pour se défendre quand on les saisit. En vérité, nous n'avons pas le courage de blâmer le leur.

Une des plus curieuses habitudes de ces animaux est, non de vivre en sociétés, nombre de quadrupèdes et d'oiseaux nous offrent cet exemple- mais de vivre en sociétés séparées par le sexe et l'âge. Ainsi toutes les femelles formeront une colonie, cantonnée dans un vieil édifice, un clocher, une caverne abandonnée, une fissure de rochers, tandis que toute une colonie de mâles ira élire domicile dans un séjour analogue à quelque distance. Il en est de même des jeunes qui, une fois élevés, quittent leurs parents pour aller s'établir dans une localité qui leur convient.

Ces faits, observés par les naturalistes hollandais, sont hors de doute; mais quelle en est la cause? c'est ce que l'on ne sait pas encore.

Ce qui est certain, c'est que, par la nature même de leur nourriture, il faut aux chauves-souris, même en été où elles sont le plus vives, une assez grande étendue de terrain; aussi viennent-elles souvent chasser très-loin de la demeure commune du clan auxquelles elles appartiennent. On frémit, d'ailleurs, quand on pense à la prodigieuse quantité d'efforts que doit faire un animal aussi glouton pour trouver à vivre dans le court espace de temps, quelques heures!-que comprennent l'aurore et le crépuscule, car, à la nuit noire, il cesse de chasser. Il faut qu'à quelques mètres au-dessus de nos têtes, volent et passent des milliers d'animaux s'offrant

sans relâche et sans cesse aux dents pointues des chauvessouris.

Peu de personnes se doutent encore que ces insectes plus nombreux, que ces chauves-souris si voraces, si originales dans leur forme et dans leurs mœurs, tout cela existait sur la terre probablement avant l'homme! En effet, les traces les plus anciennes de celui-ci ne remontent guère qu'au terrain quartenaire, tandis qu'on retrouve dans le terrain tertiaire les ossements des chauves-souris. Et― phénomène des plus imprévus! - les espèces d'alors étaient, presque certainement, nos espèces d'aujourd'hui.

Nous possédons dans nos pays plusieurs espèces de chauvessouris; mais, pour le cultivateur, la différence n'est pas assez grande pour qu'il s'y arrête; il lui suffit de savoir que grandes comme petites espèces sont très-gloutonnes, très-voraces, et, par conséquent, détruisent chaque soir une quantité considérable d'insectes nocturnes et crépusculaires, principalement de phalènes. Or ce groupe immense de papillons comprend justement toutes les familles dont les représentants dévastent nos jardins. Ce sont les noctuelles, avec leurs vers gris, noirs, verts, si terribles; les tordeuses, les arpenteuses, qui dévastent les feuilles de nos arbres et arbustes; les géomètres, les bombyx, fléaux de nos arbres fruitiers; les pyrales, sur lesquelles il n'y a rien à ajouter; les teignes, ravageuses à vingt espèces comme les tordeuses à quarante; et enfin les alucites.

Cette énumération, nécessairement très-large, puisqu'elle ne peut renfermer que les grandes divisions, démontre l'immense utilité des chauves-souris pour l'horticulteur. Qu'il lui ouvre donc ses serres, qu'il la supplie de vouloir bien y faire une promenade journalière, elle lui rendra plus de services qu'une armée de garçons. Kohl a vu une noctule,—l'une des plus grosses de l'espèce, - avaler vingt-trois hannetons de suite, et il s'est assuré qu'une pepistrette, notre plus petite espèce, n'était pas rassassiée après un repas de soixante-dix mouches.

Quelques espèces de chauves-souris ajoutent au menu de

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