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sur le brouillard et sur les effets de la pluie qui nous engourdit et fait rater nos fusils.

-Eh bien! s'ils viennent, nous les recevrons, réplique le général.

Au même instant, et comme l'écho de ce défi, des coups de feu retentissent dans les bas-fonds. Les sentinelles de la 2o division se replient et dénoncent la présence de l'ennemi sur plusieurs points. Le jour ne fait que poindre; l'épaisseur du brouillard enveloppe la vallée et ne permet de voir ni les colonnes Dannemberg, ni le corps Liprandi qui commence à déployer, dans la plaine, ses masses d'infanterie entre sa cavalerie et son artillerie.

Le major général Codrington s'élance au galop vers le camp et réveille en hâte la brigade placée sous ses ordres. Cent gardes coldstream du 55° régiment, qui occupent la redoute dont nous avons parlé, assaillis par une pluie de boulets, dédaignent de se servir des deux uniques canons qui soient à leur disposition et attendent intrépidement l'assaut l'arme au bras. Une éclaircie du brouillard permet aux russes d'embrasser l'emplacement du camp et de la redoute, et aussitôt des volées de mitraille inondent le premier point, criblant hommes et chevaux et déchirant les tentes qu'on n'a pas encore eu le temps de replier.

Suivant les instructions du général Dannemberg, les colonnes Samoinoff et Pawloff, agissant simultanément, doivent : la première envahir rapidement la rive gauche du ravin et tourner les hauteurs d'Inkermann, la seconde balayer les broussailles avec ses compagnies de tirailleurs; mais le général Samoinoff, voyant la lutte engagée entre ses éclaireurs et les sentinelles anglaises qui leur disputent pied à pied le terrain, au lieu d'appuyer sur la droite pour tourner la position, lance droit devant lui les régiments formés en colonnes par compagnies. En débouchant sur le plateau, le général tombe mortellement frappé ; il est une des premières victimes de cette meurtrière bataille,

pas

Les chasseurs d'Ockhotsk se précipitent sur la batterie, mais à dix les gardes leur envoient une si furieuse décharge qu'ils reculent; une seconde tentative corps à corps n'est pas plus heureuse, quand arrivent les régiments d'Yakoutsk et de Selinghinsk. Enfermés dans un cercle de feu, les défenseurs de la redoute jonchent le sol et ils sont

réduits des deux tiers, lorsqu'à la baïonnette ils se frayent la retraite au travers des assaillants.

Aux premières détonations qu'entend la 2a division française, le général Bosquet monte à cheval et fait sonner la générale. Bientôt chaque régiment est sous les armes. On signale l'ennemi près des ponts d'Inkermann, dans la plaine de la Tchernaïa et vis-à-vis le télégraphe russe élevé sur le plateau, au débouché de la route de Woronzoff; sur ces trois points la fusillade retentit; c'est près du télégraphe que se masse l'infanterie de la 2o division.

Le général Canrobert, de son côté, dépêche aux divers généraux sous ses ordres les officiers de son état-major pour leur indiquer les positions à prendre; ces derniers trouvent partout les soldats en armes et prêts à marcher. Pendant ce temps, le commandant en chef de l'armée française parcourt les quinze kilomètres de notre déploiement, cherchant à se rendre compte des forces russes et surveillant les mouvements de nos divisions qui s'échelonnent sur trois lignes dans la plaine de Balaclava, avec une ligne d'artillerie largement espacée qui les

couvre.

Le général Bosquet court à Inkermann avec le général Bourbaki, un bataillon du 7 léger, un bataillon du 6° de ligne, quatre compagnies de chasseurs à pied et deux batteries à cheval de la réserve du commandant la Boussinière. Au pied du moulin qui sert de démarcation aux lignes anglaises, il rencontre les généraux Brown et Cathcart, leur expose ses appréhensions au sujet du plateau d'Inkermann qui, suivant lui, sera le véritable théâtre de la lutte, et leur offre le concours des troupes qui le l'accompagnent, voire de nouveaux renforts, s'il en est ultérieurement besoin.

Nos réserves sont suffisantes pour parer aux éventualités, répondent les généraux anglais; veuillez seulement couvrir un peu notre droite, en arrière de la redoute.

Le général Bosquet laisse le général Bourbaki avec les bataillons du 7 léger et du 6 de ligne sur le flanc droit des anglais, et ramène au télégraphe le reste de son détachement. Là, il trouve la 1o et la 2o divisions échelonnées le long des lignes tracées parallèlement aux hauteurs.

La réserve se tient en arrière sur le plateau. Le commandant de Barral a installé les deux batteries de la 2o division, l'une dans l'emplacement désigné, l'autre sur un point nommé la Queue d' Hironde, à gauche de la route de Woronzoff, au bas des escarpements. En outre, une batterie de six pièces de 30, de la marine, est établie au pied du télégraphe.

Bientôt l'artillerie russe envoie des volées de mitraille auxquelles ripostent nos bouches à feu; mais l'attention du général Bosquet se porte toujours du côté des anglais, et, quand le colonel Steel, secrétaire de lord Raglan, envoyé par les généralissimes inquiets de la situation des troupes engagées, se présente à lui, il lui dit :

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Allez à Inkermann, c'est là que tout se passera.

A travers le brouillard qui se lève, on peut, en effet, apercevoir la cavalerie russe déployée en colonnes de ce côté, où tonne une formidable canonnade, tandis que, dans la plaine, l'attaque est molle et sans relief. L'artillerie braquée par l'ennemi contre les 1re et 2 divisions est si rudement endommagée par les pièces à longue portée de la batterie de marine, qu'elle se voit contrainte de rétrograder.

Le colonel Steel revient plus rapidement encore qu'il n'est parti; des officiers l'accompagnent et continuent leur course effrénée vers le quartier-général anglais; quant à lui, il arrête court son cheval, blanc d'écume, en face du général Bosquet.

Eh bien! lui demande ce dernier, ont-ils besoin de renforts?

Oui, m'a répondu lord Cathcart, en ajoutant qu'il était inutile de se presser. Le brave général est jaloux de réserver à nos troupes l'honneur de la défense; mais j'ai pu apprécier leur situation, elle est désespérée.

Je le savais bien ! s'écrie le général; puis, il ajoute en tendant la main au colonel Steel: Allez, retournez près de sir Cathcart et dites-lui que les français arrivent au pas de course.

Rien que de vrai dans le rapport du colonel; qu'on en juge par le simple récit des faits:

Surpris dans leur sommeil, les soldats de la deuxième division, au bruit de la mousqueterie et des hurlements sauvages poussés par les russes, se rangent sous les ordres du brigadier général Pennefather

T. II.

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qui les commande en l'absence de sir de Lacy-Evans, empêché par la maladie. Ils ne prennent même pas le temps de dépouiller les longues capotes grises dont ils s'enveloppent pour la nuit et qui, leur donnant une sorte de ressemblance avec l'infanterie russe, les exposent à de funestes méprises.

Pendant que la brigade du général Adams s'efforce de balayer les taillis du mamelon que l'ennemi a envahis, la brigade Pennefather marche pour prendre les russes en flanc. A leur aide arrivent bientôt les bataillons de la division légère du lieutenant général George Brown. La 1" brigade, conduite par le major général Codrington, descend les pentes de Sévastopol; le brigadier général Buller porte la seconde en avant à gauche, avec le 11° régiment, commandé par le lieutenant-colonel Jeffreys. La belle brigade des gardes accourt se ranger au front de bataille, à l'extrême droite, sous les ordres du duc de Cambridge et du major général Bentinck. Lord Cathcart, avec le concours des brigadiers généraux Goldie et Torrens, réunit tous les hommes de la 4° division qui ne sont pas de service aux tranchées, les divise en deux colonnes, et, tandis que celle du général Goldie prend position à gauche de la route d'Inkermann, marche avec l'autre vers les hauteurs qui dominent la vallée de la Tchernaïa.

Les batteries de la 1re et de la 2o divisions, rangées sur le front des lignes, sont écrasées à la fois par l'artillerie de campagne des russes, les pièces de la place et les bordées de mitraille que, du fond de la baie, leur envoient les vaisseaux de guerre.

Dans l'épaisseur du brouillard, on ne distingue l'ennemi qu'aux rouges éclairs des détonations; le pied glisse sur le terrain détrempé par la pluie ou s'embarrasse dans les broussailles dont le sol est hérissé; mais tous ces obstacles n'entravent ni l'attaque ni la défense; des deux côtés, c'est la même résolution, la même furie. Voici le tableau de la lutte tracé par un des combattants:

« Alors commença une des plus sanglantes mêlées qu'on ait vues depuis que le fléau de la guerre est déchaîné sur le monde. Des écrivains militaires ont mis en doute qu'aucune troupe ait jamais reçu une

charge à la baïonnette; mais, dans cette journée, la baïonnette a été souvent la seule arme employée. Nous avons aimé à nous persuader qu'aucun ennemi ne ferait face, sans fléchir, au soldat anglais faisant usage de son arme favorite, et qu'à Maïda seulement l'ennemi avait osé croiser la baïonnette avec lui; mais à la bataille d'Inkermann, nous n'avons pas seulement fait des charges inutiles, nous n'avons pas seulement vu des chocs désespérés entre des masses d'hommes luttant avec la baïonnette, nous avons encore été obligés de résister baïonnette à baïonnette à des masses d'infanterie russe qui revenaient sans cesse à la charge et qui s'élançaient sur nos bataillons avec la fureur et la résolution les plus incroyables.

» La bataille d'Inkermann défie toute description. C'a été une série d'actes d'héroïsme terribles, de combats corps à corps, de ralliements découragés, d'attaques désespérées dans des ravins, dans des vallées, dans des broussailles, dans des trous cachés aux yeux des humains, et d'où les vainqueurs, anglais ou russes, ne sortaient que pour se lancer de nouveau dans la mêlée.

» Personne, en quelque endroit qu'il eût été placé, n'aurait pu voir même une faible partie des épisodes de cette glorieuse journée, car les vapeurs de l'atmosphère, les brouillards et la pluie obscurcissaient si profondément le ciel sur le point où la lutte s'est livrée, qu'il était impossible de rien discerner à quelques pas de soi. >>

Les officiers payent de leur personne comme le simple soldat, et des deux parts les pertes sont nombreuses; chez les anglais, les éclatants uniformes des chefs les dénoncent aux balles ennemies. Le combat dure depuis plusieurs heures, et nos alliés, quoique épuisés de fatigue et de faim, continuent vaillamment la lutte. Attaqués à l'improviste, ils n'ont pas mangé depuis la veille, mais le commissaire général Darting a l'audacieux bonheur d'amener, au centre même de l'engagement, des voitures attelées de mulets et chargées de provisions. Chaque homme, sans quitter d'ailleurs son poste de combat, reçoit du biscuit et un verre de rhum.

Bientôt les munitions manquent dans les rangs anglais, et l'acharne

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