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A cet imprudent écho de Navarin et de Missolonghi, le monde allait encore tressaillir, mais cette fois la justice était du côté des Turcs, et la Russie, qui, dans la guerre hellénique, avait compté parmi les champions de la civilisation, se trouvait amenée à combattre ce qu'elle avait défendu. L'histoire est pleine de ces variations; nul pays où la bascule politique n'ait multiplié ces réactions; jugeons-en par le nôtre.

Les Francs se présentent-ils? le christianisme réagit sur eux et saint Rémy baptise le sicambre. A la tentative toute orientale des Sarrasins succède l'empire d'Occident de Charlemagne. Les croisades exagèrent l'empire du clergé; une réaction se prépare d'où sortira la Réformation. A cette dernière, Louis XIV répond par les dragonnades et la révocation de l'Édit de Nantes, intolérance bientôt châtiée par les philosophes du dix-huitième siècle qui sèment l'incrédulité et récoltent l'athéisme.

Le temps qui s'écoule, emportant toutes choses, ressemble à un vaste fleuve dont les eaux ne se peuvent calmer; aujourd'hui les flots battent une rive, demain ils frapperont la rive opposée. Vienne bientôt le jour où, calmée et paisible, l'onde emportera dans son cours régulier l'humanité vers les heureuses destinées que Dieu lui garde.

Par sa note, l'envoyé russe avait assigné le 10 mai comme dernier délai pour la réponse; le nouveau ministère n'ayant été installé que le 13, Réchid-Pacha écrivit deux jours après la lettre suivante au prince Menschikoff:

» La Sublime Porte a pris connaissance de la dernière note de S. A. le prince Menschikoff. Ainsi que S. A. le prince Menschikoff en a été déjà informé, tant en personne que par intermédiaire, il est impossible, par suite des changements survenus dans le ministère, de donner une réponse explicite sur une question aussi délicate que celle des priviléges religieux avant de les examiner avec soin.

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» Mais comme le maintien des relations amicales avec l'auguste cour de Russie est l'objet de la plus vive sollicitude de S. M. le sultan, il s'ensuit que la Sublime Porte désire sincèrement trouver un moyen de garantie de nature à satisfaire les deux parties.

» En informant S. A. le prince Menschikoff qu'un délai de cinq jours suffira et que l'on s'efforcera d'arriver, s'il est possible, à une prompte solution dans la question, j'ai l'honneur d'être, etc.

» Signé RÉCHID-PACHA. >>

C'était un bien modeste délai que demandait là le cabinet, mais obéissant aux instructions qu'il avait reçues ou à l'arrogance de sa

nature, peut-être même à ces deux mobiles réunis, l'ambassadeur russe répondit, dès le 18, par cette déclaration que nous rapporterons in extenso comme, au reste, toutes les pièces officielles de ce grand pro cès; notre ambition ne tend pas à mieux faire qu'un mémorial sincère et complet des phases diverses de la guerre d'Orient, et le meilleur moyen d'atteindre ce but est assurément celui que nous adoptons. D'ailleurs, quand les événements sont si près de nous, l'historien reste pâle malgré tout son talent, à côté des documents authentiques, et certes c'est surtout à la traduction des faits contemporains qu'on serait en droit d'appliquer le mot italien traduttore traditore (traduction trahison).

Notification de l'ambassadeur de Russie au ministre des affaires étrangères Réchid-Pacha.

« Buyukdéré, 18 mai 1853.

» Le soussigné, ambassadeur extraordinaire de S. M. l'empereur de toutes les Russies, a eu l'honneur de recevoir la notification de la Sublime Porte en date du 15 mai. Elle est loin de répondre aux espérances que lui avaient fait concevoir la gracieuse réception et le langage de S. M. le sultan.

>> En réponse aux notes consécutives que le soussigné a eu l'honneur d'adresser au cabinet ottoman, et qui, appuyées par ses explications verbales données aux ministres de la Sublime Porte, n'ont pas dû laisser de doute sur les vues désintéressées de son auguste maître, il n'a reçu que des assurances évasives et illusoires.

» Les deux firmans destinés à clore la discussion sur les lieux saints de Jérusalem ne pouvaient pas, en présence des anciens, offrir les garanties désirées par l'empereur.

» La promesse isolée d'étendre à nos sujets les priviléges dont jouissent à Jérusalem les pèlerins et établissements d'autres nations ne fait que confirmer un droit incontestable, qui, pour être exercé, n'avait besoin que de la sanction souveraine.

» La Sublime Porte, en rejetant avec suspicion les vœux de l'empereur en faveur de la foi gréco-russe orthodoxe, a manqué de considération vis-à-vis d'un auguste et ancien allié.

» Elle n'a fait qu'ajouter un nouveau grief à ceux dont le soussigné a l'ordre de demander la réparation, et elle justifie les sérieuses appréhensions du gouvernement russe pour la sûreté et le maintien des anciens droits de l'Église d'Orient. L'identité du culte, le lien séculier cimenté par les besoins et les intérêts réciproques des deux pays et par leur position géographique, au lieu d'être des gages de solide amitié, deviennent ainsi, par un déplorable égarement des pensées du gouvernement ottoman, la cause permanente d'une attitude insultante pour la Russie.

» S. E. le ministre des affaires étrangères s'est encore fait l'organe vis-à-vis le

soussigné de propositions que celui-ci peut d'autant moins accepter, avec les réserves y annexées, qu'elles sont simplement la reproduction de celles précédemment rejetées, et que le projet de séparer et de classer dans leur forme les actes qui les contiendront impliquerait évidemment l'idée de ne rendre obligatoire que celle concernant l'établissement d'un hôpital russe à Jérusalem.

»S. Exc. Réchid-Pacha donnant à entendre qu'une note en réponse devra être discutée en conseil sur la base des mêmes propositions, et déclinant en même temps de préciser les termes, le soussigné ne voit là qu'un nouveau moyen dilatoire qui ne peut en aucune manière modifier sa determination. L'ensemble des communications de la Sublime Porte ayant ainsi convaincu le soussigné de la futilité de ses efforts pour atteindre une solution satisfaisante de ses réclamations conforme à la dignité de son auguste maître, il se trouve appelé à déclarer qu'il considère sa mission comme terminée;"

» Que la cour impériale de Russie ne pourrait pas, sans déroger à sa dignité et sans s'exposer à de nouvelles insultes, continuer à conserver une légation à Constantinople et maintenir sur l'ancien pied des relations politiques avec le gouvernement turc;

» Qu'en conséquence, et en vertu des pleins pouvoirs dont le soussigne est porteur, il quittera Constantinople, emmenant avec lui tout le personnel de la légation impériale, à l'exception du directeur de la chancellerie commerciale, qui, avec ses employés, continuera d'administrer les affaires de commerce et de navigation et de protéger les intérêts des sujets russes et leur marine marchande;

>> Qu'il regrette profondément d'être contraint à prendre cette détermination; mais qu'après avoir fidèlement exécuté les ordres de l'empereur en soumettant à la délibération de la Sublime Porte les propositions les plus conciliantes, les plus équitables et les plus conformes aux vrais intérêts de l'empire ottoman, et ayant acquis la pénible conviction que le cabinet de S. M. le sultan n'est pas disposé à le reconnaître et à y répondre, il s'acquitte d'un dernier devoir en repoussant toute la responsabilité des conséquences qui pourraient résulter pour le cabinet ottoman, qui paraît avoir pour objet de créer une sérieuse mésintelligence entre les deux empires;

>> Que le refus de garantie pour le culte gréco-russe orthodoxe doit à l'avenir imposer au gouvernement impérial la nécessité de chercher cette garantie dans son propre pouvoir;

» Qu'ainsi toute tentative contre le statu quo de l'Église d'Orient et son intégrité sera regardée par l'empereur comme équivalant à une infraction à l'esprit et à la lettre des stipulations existantes, et comme un acte d'hostilité vis-à-vis de la Russie, imposant à S. M. I. l'obligation d'avoir recours à des moyens que, dans sa constante sollicitude pour la stabilité de l'empire ottoman, et par suite de sa sincère amitié pour S. M. le sultan et de celle qu'elle portait à son auguste frère, l'empereur a toujours eu à cœur d'éviter.

» Le soussigné a l'honneur, etc.

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» Signé MENSchikoff. »

Sans même avoir attendu cet ultimatum menaçant, le gouvernement français avait répondu aux prétentions inqualifiables de la Russie, et la veille du jour où l'ambassadeur russe plaçait la Porte sous le coup

d'une rupture ouverte, le Moniteur Universel contenait la note qui

suit :

« Paris, le 17 mai 1853.

>> On avait pu craindre, au moment où M. le prince Menschikoff se rendait à Constantinople en qualité d'ambassadeur extraordinaire de S. M. l'empereur de toutes les Russies, que l'un des effets de sa mission ne fût d'annuler en partie les concessions obtenues par M., de la Valette au profit des pères latins de la TerreSainte dans le courant de 1852. On se rappelle que, sur la demande de la légation de France, le gouvernement de Sa Hautesse avait consenti à restituer au patriarche de Jérusalem, délégué du saint-siége, la clef de la grande porte de l'église de Bethleem, à donner l'ordre de replacer dans la grotte de la Nativité une étoile ornée d'une inscription latine et qui avait disparu en 1847, et enfin à accorder à la communion catholique le droit de célébrer son culte dans un sanctuaire vénéré, l'église dite du Tombeau de la Vierge.

» Le gouvernement de S. M. I. ne pouvait admettre qu'aucun de ces avantages fût retiré aux latins. Le cabinet de Saint-Pétersbourg, du reste, transmit bientôt au cabinet des Tuileries l'assurance que son intention n'était pas de contraindre la Porte à revenir sur les concessions qui nous avaient été faites.

» Les dernières nouvelles de Constantinople apportées par l'aviso à vapeur le Chaptal, en date du 7 mai, nous permettent d'affirmer que le maintien du statu quo à Jérusalem, réclamé par M. le prince Menschikoff, n'implique, dans l'état de possession des latins, aucune modification susceptible d'affecter l'arrangement convenu avec M. le marquis de la Valette. C'était là, pour nous, le point essentiel, celui qui ne pouvait être, de notre part, l'objet d'aucune transaction. Quant à nos anciens traités avec la Turquie, nul acte diplomatique, nulle résolution de la Porte ne saurait les invalider sans le consentement de la France.

» M. le prince Menschikoff demande encore au divan la conclusion d'un traité qui placerait sous la garantie de la Russie les droits et les immunités de l'Église et du clergé du rite grec. Cette question, complétement différente de celle des LieuxSaints, touche à des intérêts dont la Turquie doit, la première, apprécier la valeur. Si elle amenait quelques complications, elle deviendrait une question de politique européenne, dans laquelle la France se trouverait engagée au même titre que les autres puissances signataires du traité du 13 juillet 1841. »

Ce langage, digne tout à la fois de la France et du souverain qui dirige ses destinées, aurait-il influé sur les déterminations du prince Menschikoff? Il est permis d'en douter, vu la croyance où il était que ses intrigues auprès de l'ambassade anglaise avaient déjoué toute combinaison d'alliance entre la Grande-Bretagne et la France, croyance qu'au reste certains actes de lord Aberdeen, chef du cabinet anglais, étaient de nature à fortifier, comme l'approbation du refus fait par l'amiral Dundas de venir mouiller avec sa flotte dans les eaux de la Turquie, alors qu'il y était invité par le colonel Rose, chargé d'affaires anglais, auquel le divan l'avait demandé en l'absence de l'ambassadeur, lord

Strafford de Redcliffe. Tandis que, le 20 mars, l'escadre française de la Méditerranée s'ébranlait pour aller jeter l'ancre dans l'archipel grec, la flotte anglaise restait à Malte, et certes le prince Menschikoff n'était pas alors le seul à penser que cette scission entre les deux grandes nations serait sérieuse et durable.

La veille du jour où l'ambassadeur russe lui adressait l'épître menaçante ci-dessus consignée, le cabinet ottoman décidait qu'il était impossible d'obtempérer aux conditions posées par le czar, et, le lendemain, Réchid-Pacha se rendait en personne auprès de l'amiral Menschikoff, auquel il apportait les regrets de ses collègues et l'assurance du vif désir qu'avait le sultan de conserver d'amicales relations avec la Russie, fût-ce au prix de mainte et mainte concession de détail. Cette démarche resta infructueuse, et le prince renouvela ses prétentions dans un nouveau factum dont il laissait aux ministres turcs la faculté de varier la forme sans rien modifier du fond.

Voici cette dernière édition :

Projet de note.

<< La Sublime Porte, après l'examen le plus attentif et le plus sérieux des demandes qui forment l'objet de la mission extraordinaire confiée à l'ambassadeur de Russie prince Menschikoff, et après avoir soumis le résultat de cet examen à S. M. le sultan, se fait un devoir empressé de notifier par la présente à S. A. l'ambassadeur la décision impériale émanée à ce sujet par un iradé suprême en date du... (date musulmane et chrétienne).

» S. M. le sultan, voulant donner à son auguste allié et ami l'empereur de Russie un nouveau témoignage de son amitié la plus sincère et de son désir intime de consolider les anciennes relations de bon voisinage et parfaite entente qui existent entre les deux États; plaçant en même temps une entière confiance dans les intentions constamment bienveillantes de S. M. I. pour le maintien de l'intégrité et de l'indépendance de l'empire ottoman, a daigné apprécier et prendre en considération les représentations franches et cordiales dont l'ambassadeur de Russie s'est rendu l'organe en faveur du culte orthodoxe d'Orient professé par son auguste allié, ainsi que par la majorité de leurs sujets respectifs.

» Le soussigné a reçu en conséquence l'ordre de donner, par la présente note, l'assurance la plus solennelle au gouvernement impérial de Russie, que représente, auprès de S. M. le sultan, S. A. le prince Menschikoff, sur la sollicitude invariable et les sentiments généreux et tolérants qui animent S. M. le sultan pour la sécurité et la prospérité dans ses États du clergé, des églises et des établissements religieux du culte chrétien d'Orient.

» Afin de rendre ces assurances plus explicites, préciser d'une manière formelle les objets principaux de cette haute sollicitude; corroborer, par des éclaircissements supplémentaires que nécessite la marche du temps, le sens des articles

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