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RÉFLEXIONS

Sur la versification des pièces contenues dans le rôle de l'abbaye de Savigny; par M. LE TELLIER, membre de la Société.

Les pièces de vers de ce recueil, dictées par un esprit d'émulation qui perce jusque dans le caractère de l'écriture, et qu'on aperçoit dans le style et la prétention minutieuse de la versification, peuvent aider à fournir une idée de la poésie au commencement du XIIe. siècle. Le latin alors, descendu dans le langage familier et à la merci des innovations que lui faisaient subir l'oubli des bons modeles et le besoin d'exprimer des idées nouvelles, n'offrait plus sa pureté antique que chez quelques hommes privilégiés. Toutefois la poésie latine placée à l'écart, grâce au travail de l'imagination, qui malgré elle se retraçait ses anciens souvenirs, participait moins au mauvais goût. La versification sur

tout, quoique se plaisant à créer de frivoles entraves à la poésie proprement dite, iudiquait, jusque dans ses jeux futiles, l'aisance et la souplesse de l'écrivain; elle couvrait habilement son dénûment didées poétiques par des agréments de convention, et faisait oublier la sécheresse de ses créations par l'abondante diversité de ses formes.

On conçoit que, reléguées dans les cloîtres, aux prises avec la morale chrétienne dont la sévérité commandait la pratique continue des devoirs religieux et condamnait les écarts imprudents de l'esprit, les fictions poétiques aient dû perdre leur brillant coloris, et se parer d'un manteau plus austère ou s'effacer entièrement. D'ailleurs, la vie monastique, étrangère à ce monde, accueillait avec dédain ou insouciance ces occupations qu'elle traitait de mondaines; c'est ainsi qu'un des poètes de ce recueil accuse de vanité et de frivolité ces vers écrits en l'honneur de Vital, et, dans un morceau, sans césure, ou le dactyle et le spondée alternent sans cesse, et où la rime est doublement observée, comme s'il s'écartait à dessein des habitudes de la poésie profane; il trace avec une diction d'une mâle sévérité cette grave leçon: « qu'au lieu d'é

crire des vers en son honneur, il faudrait prier pour lui. »

C'est donc principalement comme versification qu'il faut juger la poésie de cette époque. Sous ce point de vue, ce recueil devient précieux, puisqu'il a exercé sur le même sujet et sur un sujet limité à un lieu commun, les érudits des différents monastères où il a été porté.

La mort de Vital, fondateur d'un monastère, son éloge, le deuil des fidèles, les prières qui lui sont dues, telles sont les idées. qui se représentent ici sous toutes les formes. Un sujet tout chrétien et un cri de moit devaient trouver de l'écho sous les voûtes des monastères. Aussi, on peut remarquer dans quelques poésies une inspiration véritable; cependant, cette idée terrible devenue le chapitre banal sur lequel s'exerçait la méditation et la prière, ne semble pas toujours traitée avec dignité. On a trop souvent compté sur la grandeur du sujet pour faire passer le mauvais goût, Ici, les fidèles pleurent ce St. abbé, ( ut flebat Roma Camillum), comme Rome pleurait Camille; là, le cortège lugu. bre de la mort s'avance avec l'allure que Virgile et Ovide donnaient à leur peinture

gracieuse. Un poète de Ste. Marie de Rheims, par une imitation ridicule d'Homère et Virgile, s'écrie dans un exorde qui 'excède la moitié de sa pièce de vers: si je voulais décrire tes mœurs, ô Vital!....

Ante fatigata cessaret lingua manusque
Quam consummatus foret ordo tuæ bonitatis.

Puis, se ravissant trop tard, il rappelle le précepte d'Horace, dont il craint qu'on ne lui fasse l'application.... Sed ne de luce videas producere fumum....

Et rentre dans son sujet comme on rentrait de son temps dans la question à la suite d'une question théologique: dico igitur....

Si, à ces fautes de goût, nous joignons celle de vers, où la quantité, la mesure et l'oreille ne sont pas menagés, l'obligation puérile de terminer ou commencer le vers par telle ou telle lettre, enfin de réunir des monosyllabes comme dans ce vers:

Pax et honor, spes, rex, lex, dux, lux, gloria, virtus.

nous aurons pris une idée du mauvais côté de la versification à l'époque dont nous parlons.

Nous serions moins sévères sur la rime les répétitions, et même les jeux de mots, si ces ressources avaient été employées avec un peu plus de sobriété. La rime en effet dont les langues modernes se sont emparées ne dé. pare pas toujours la latinité; plus d'une fois les écrivains les plus purs des beaux siècles, de la poésie latine, en ont tiré un parti remarquable, surtout dans le petit élégiaque, la chanson, les sujets gracieux, mélancoliques ou descriptifs, et y ont fait trouver un charme qui a préparé sans doute le triomphe qui lui était réservé plus tard. S'il lui était donné d'apparaître en quelques lieux, c'était surtout dans un sujet comme le notre où la limite est posée de toutes parts; là en effet, obligée de s'exercer dans un cercle tracé d'avance, le poète chrétien replie sa pensée sur elle-même, s'épuise en efforts de détail et use de tous les artifices du style pour donner une couleur nouvelle à des pensées toujours grandes, toujours vraies, mais trop souvent développées. Aussi son effet dans plus d'un morceau est incontestable, et on regrette qu'un usage abusif en ait fatigué l'oreille au point que celle-ci semble s'en défier' même dans les endroits où elle ajoute à l'har

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