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d'autre instruction que l'abstention, je n'ai aucun droit pour engager à un degré quelconque la pensée de l'Empereur; mais si vous me permettez de vous donner mon sentiment personnel, je n'hésiterai pas à vous dire que vous ne pourriez prendre un parti plus grave et pouvant entraîner de plus fâcheuses conséquences. En France, l'élection d'un prince de Prusse au trône d'Espagne, dans les dispositions où sont aujourd'hui les esprits à l'égard de la Prusse, ne peut manquer de produire un effet extraordinaire. Le sentiment national y verra une véritable provocation, soyez-en persuadé, et vous comprenez qu'un Napoléon ne peut laisser le sentiment national en souffrance.

Prim,«Il est possible que ce soit la première impression, mais on en reviendra vite par la réflexion. Qu'avez-vous à craindre? que signifie aujourd'hui une alliance dynastique? Qu'est-ce que pourra faire chez nous un prince étranger qui devra commencer par jurer la Constitution la plus libérale de l'Europe, et avec un peuple aussi fier et aussi indépendant que le nôtre, Même dans le temps de la monarchie pure, vous avez vu que Louis XIV et son petit-fils avaient été sur le point de se faire la guerre.

Tout cela est bel et bon, mais il n'en est pas moins vrai que dans le cas d'une guerre européenne, nous n'aurions aucune sécurité pour notre frontière des Pyrénées, si un prince prussien occupait le trône d'Espagne, et qu'il nous faudrait une armée pour la garder. Les alliances dynastiques peuvent, j'en conviens, avec le temps, avoir perdu quelque chose de leur signification; cependant vous avez vu que jamais elle n'ont été considérées par les gouvernements avec indiffé rence. Lors des mariages espagnols, l'Angleterre, aussi bien que nous, avait prononcé ses exclusions; en Belgique de même; en Grèce, on avait interdit au choix des Grecs un prince appartenant aux familles des Puissances protectrices. Ces exclusions n'ont rien de blessant pour un pays, parce qu'elles ne s'adressent pas à lui, maís à des rivaux dont la prépondérance pourrait devenir menaçante. D'ailleurs, cette première impression, dont vous semblez faire bon marché, est de celles qu'un gouvernement national voudra partager toujours, car c'est du cœur du pays qu'elle s'échappera.

«Mon Dieu, les conséquences à l'égard de la France, je les accepterais encore, mais c'est l'Empereur qu'il me serait extrêmement pénible de contrarier. >>

- «Vous imaginez-vous donc que, dans une pareille question, il soit possible de séparer l'Empereur et la France?

«Mais alors que faire? Prenez l'Almanach de Gotha et tâchez d'y trouver un prince dont nous puissions nous accommoder. Pour moi, je n'en vois pas d'autre. Il faut pourtant que vous ayez pitié de

cette pauvre Espagne, que vous lui permettiez de se constituer par les seuls moyens dont elle peut disposer. Ma consolation, c'est que ce n'est pas moi qui ai inventé cette combinaison; je ne l'ai même pas cherchée, on est venu me la mettre dans la main. Seulement, dans l'état où nous sommes, je ne peux pas la repousser. Un moment j'ai cru qu'elle avait avorté comme les autres. Les choses s'étaient passées exactement comme je les avais racontées aux Cortès; mais voilà qu'on me la rapporte toute faite.

- «Oh! je me suis bien aperçu depuis assez longtemps que M. de Bismarck cherchait à se glisser dans vos affaires, et vous avouerez que s'il ne croyait pas avoir beaucoup à y gagner, il ne se hasarderait pas à jouer si gros jeu.

- « Vous vous trompez, les ouvertures sont parties d'ici. Je n'ai jamais parlé politique avec M. Bernhardi ni avec M. de Canitz. - « Et cette escadre prussienne dont on vous a annoncé l'arrivée ?

« Je n'en ai rien entendu dire. Mais, encore une fois, si nous laissons échapper cette occasion, nous sommes forcément rejetés sur Montpensier, ou sur la république, qui viendra grand train, et je vous avouerai que je la déteste comme l'enfer.

- «Eh bien, plutôt Montpensier!

« Comment! vous croyez que l'Empereur aimerait mieux Montpensier qu'un Hohenzollern?

« Il ne me l'a pas dit, mais je n'en doute pas. L'Empereur est français avant tout. >>

Cette réplique parut lui faire impression, et je l'accentuai d'autant plus, car, dans cet entretien, il importait essentiellement de frapper son esprit, et j'y employai toute l'énergie possible de langage et de pensée. Cependant, avant de nous séparer, je lui dis : « Je vous ai parlé à cœur ouvert, mais uniquement en mon nom personnel. Maintenant, si vous voulez connaître la pensée de l'Empereur, attendez que je lui ai fait connaître notre entretien, et avant huit jours je pourrai recevoir ses ordres.

A cela, il m'a simplement répondu :

« J'ai hésité si j'informerais l'Empereur par votre canal ou par celui d'Olozaga. Je me suis d'abord adressé à vous, parce que je connais vos sentiments et que je sais que vous éviterez tout ce qui pourrait envenimer les choses; mais je vais écrire à Olozaga pour qu'il puisse entretenir l'Empereur. La commission, je le crains, ne lui sera pas agréable certainement, et, quant à moi, je vous avouerai qu'il m'est bien cruel de recevoir ce coup de poignard, après avoir consacré tant de soin à mettre les rapports entre les deux pays à l'abri de toute mésintelligence->>

Déjà, hier soir, le bruit commençait d'ailleurs à s'accréditer que le gouvernement avait un candidat, et l'on n'hésitait que sur le nom, quoiqu'on supposât assez généralement qu'il devait être allemand. Un député m'a même fait savoir que les Cortès seraient probablement convoquées en session extraordinaire dans le courant du mois d'août, pour procéder à l'élection du monarque. Hier, dans l'aprèsmidi, les ministres ont tenu un conseil auquel a assisté le président de chambre, M. Ruiz Zorilla; aujourd'hui ils se rendent tous à la Granja pour en tenir un autre sous la présidence du régent. Déjà en éveil, l'opinion publique ne conservera, plus aucun doute après cette dernière circonstance, et le nom du candidat ne saurait lui rester longtemps caché. Les partis vont, dès lors, se mettre activement en campagne, et ce sera une raison pour le gouvernement de précipiter le dénouement. Il faut nous y attendre, et agir en conséquence. J'expédie donc en toute hâte M. Bartholdi à Paris, pour qu'il puisse prendre et me rapporter sans retard les ordres de l'Empereur. Comme je l'ai toujours tenu exactement informé de tout ce qui pouvait intéresser le service de Sa Majesté, il pourra ainsi compléter verbalement les renseignements contenus dans cette dépêche, et fournir à Votre Excellence bien des détails sur les hommes et les choses qui trouveraient difficilement place dans une correspondance, mais auxquels les circonstances donnent un prix.

N° 8.

Signé MERCIER.

M. LE SOURD AU DUC DE GRAMONT.

(Télégramme.)

Berlin, le 4 juillet 1870.

Je viens de voir M. de Thile, et je l'ai entretenu de la nouvelle qui vous était parvenue relativement à l'acceptation de la couronne d'Espagne par le prince de Hohenzollern. Le secrétaire d'État m'a, dès le début de la conversation, demandé si je l'interpellais, et déclaré que, dans ce cas, il devrait, avant de me répondre prendre directetement les ordres du Roi. J'ai répliqué que je venais simplement lui signaler une nouvelle qui avait causé à Paris une impression mauvaise, dont je n'avais pas pour le moment à lui développer les motifs. J'ai ajouté que nous avions, avant tout, intérêt à savoir si le gouver

nement prussien était étranger à cette négociation. Visiblement embarrassé, M. de Thile m'a dit que le gouvernement prussien ignorait absolument cette affaire et qu'elle n'existait pas pour lui; il s'est appliqué par sa déclaration à dégager la responsabilité de son gouvernement; mais Votre Excellence remarquera qu'il s'est abstenu d'affirmer catégoriquement que le cabinet de Berlin ignorât l'existence de la négociation et son résultat. Mon impression première est que le fait signalé à Votre Excellence est réel, et que M. de Thile, avec sa circonspection habituelle, ne veut pas, pour le moment du moins, reconnaître l'exactitude de nos informations; il a paru quelque peu ému du langage ferme que je lui ai tenu en m'inspirant du télégramme de Votre Excellence. Je vous rends en détail par la poste compte de notre conversation.

J'apprends que M. Olozaga a télégraphié hier de Paris au ministre d'Espagne à Berlin que, dans son opinion, la nouvelle de l'offre de la couronne d'Espagne au prince de Hohenzollern est inexacte. M. de Rascon déclare ici qu'il partage ce sentiment, et admet que cette démarche serait de nature à éveiller à juste titre nos susceptibilités.

Signé LE SOURd.

N° 9.

M. LE SOURD AU PUC DE GRAMONT.

(Télégramme.)

Berlin, le 5 juillet 1870.

Le ministre d'Espagne que je viens de voir ne dément pas l'offre faite par le gouvernement espagnol au prince de Hohenzollern et son acceptation de la couronne; mais il affirme qu'il n'a été chargé personnellement d'aucune négociation et d'aucune explication près du gouvernement prussien et du prince lui-même. M. de Rascon m'a laissé entendre toutefois que l'acceptation du prince remontait à quatre mois, et qu'elle aurait été décidée à Berlin, au printemps, avec l'assentiment du prince son père et sans doute celui du Roi et de M. de Bismarck. M. de Rascon reconnaît que notre mécontentement est juste, et rejette sur le maréchal Prim toute la responsabilité. de cette intrigue. Il est très-préoccupé de l'impression qu'on ressent à Paris. Signé LE SOURD.

ARCH, DIPL. 1871-1872. - 1.

N° 10.

M. MERCIER DE LOSTENDE AU DUC DE GRAMONT.

Madrid, le 5 juillet 1870.

Monsieur le Duc, hier au soir, j'ai vu un ami du maréchal Prim à qui il avait communiqué la lettre par laquelle le prince de Hohenzollern annonce officiellement qu'il consent à régner sur l'Espagne. Cette lettre est très-courte. Le prince y dit simplement qu'il est trèsflatté des ouvertures qui lui ont été faites, et sera heureux d'accepter la couronne d'Espagne, si elle lui est offerte par la majorité des Cortès, et que dès lors il ne sera plus qu'Espagnol. Tel est du moins. le résumé que m'a donné celui qui l'avait vu. Il a ajouté que le maréchal Prim croyait être sûr du vote de la majorité, mais qu'il l'avait trouvé très-préoccupé de l'effet que la chose produirait en France. Il lui a même dit qu'il ne savait pas s'il oserait aller à Vichy, quoique cela fut nécessaire à sa santé. Il s'attend d'ailleurs à des coups de fusils, et craint, dans ce cas, de ne pouvoir compter que sur la plus grande partie de l'armée, mais non sur toute. A ce sujet, j'ai pu causer avec le général Cordova, qui, comme Votre Excellence le sait, est directeur général de l'infanterie. Il m'a dit que la veille, le maréchal Prim avait reçu les principales autorités militaires pour leur faire part de l'acceptation du prince de Hohenzollern. Pour sa part, il n'avait fait aucune observation en recevant cette communication, mais sa conviction bien arrêtée est que la couronne ne peut pas être relevée en Espagne sans une guerre civile; qu'il a toujours eu cette éventualité en vue en organisant l'armée, et qu'il ne sait pas trop ce qui se passera quand il s'agira de faire battre le soldat pour un prince étranger, allemand, petit-fils de Murat. Ce langage dans la bouche du général Cordova, rapproché de celui que le maréchal Prim tenait à son ami, me paraît tout à fait digne d'attention.

Les carlistes viennent, du reste, de prendre une attitude qui n'annonce pas des instentions pacifiques. Ils avaient, comme tous les autres partis, établi un casino à Madrid, pour s'y réunir et tenir des conférences. Lorsqu'il y a trois jours ce casino a été inauguré, des groupes hostiles se sont formés devant la maison qu'il occupe; des désordres ont éclaté, un jeune homme de bonne famille a été assassiné dans un fiacre, plusieurs autres blessés assez grièvement. Les mêmes manifestations se sont renouvelées le lendemain, quoique d'une manière moins grave, et sans que l'autorité soit intervenue pour les empêcher.

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