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pouvoir y mettraient un obstacle plus sérieux qu'on ne le suppose généralement et a cité le nom du maréchal Prim. Voulant le déterminer à en préciser exactement la portée, j'ai répliqué que j'aurais soin de vous faire part de ses appréciations, et j'ai représenté que si le gouvernement de l'Empereur observant avec une entière circonspection les événements dont l'Espagne était le théâtre, il avait cependant un intérêt de premier ordre à en suivre le développement. M. de Bismarck a repris, en y revenant, les explications qu'il m'avait déjà données, sans rien y ajouter. Il m'a appris toutefois que le prince Frédéric-Charles aurait été disposé à courir une aventure en Espagne, c'est en ces termes qu'il s'est exprimé, mais qu'il s'élevait devant lui une difficulté insurmontable, celle de la religion, qui ne pourrait être vaincue aux yeux du peuple espagnol, même au moyen d'une conversion. «S'il s'est toujours montré officier vaillant et distingué, a-t-il ajouté, ce prince, d'ailleurs, n'avait jamais fait preuve d'aptitude politique, et ne serait pas en état de se conduire au milieu des complications qui surviendront en Espagne. » Ne voulant pas sortir de la réserve qu'il s'était évidemment imposée, le président du conseil n'a pas consenti à me dire si la candidature du prince Frédéric-Charles a été sérieusement posée et dans quelles circonstances elle aurait été débattue et abandonnée.

Que faut-il penser de l'attitude gardée par M. de Bismarck durant notre entretien, et du langage si mesuré et si peu conforme à ses habitudes qu'il n'a cessé de tenir? Considère-t-il que le prince Léopold peut être élu par les Cortès, et a-t-il pris soin de s'exprimer de manière à ne pas engager absolument la liberté de résolution du Roi dans une semblable éventualité? ou bien s'est-il proposé uniquement de nous laisser soupçonner qu'il lui serait aisé, au besoin, de faire acclamer en Espagne un membre de la maison de Hohenzollern? Si j'en juge par mes impressions personnelles, ces deux conjectures sont également vraisemblables. Il m'a paru tenir, en effet, à me persuader que les bruits dont nous nous entretenions n'avaient aucun fondement; mais il s'est abstenu soigneusement de me donner l'assurance formelle que le Roi ne permettra, dans aucun cas, au prince Léopold d'accepter la couronne qui lui était offerte. Si Votre Excellence veut bien se faire représenter la dépêche que je vous ai adressée sous le n° 71, elle y verra que le sous-secrétaire d'Etat n'avait pas hésité au contraire à me faire une déclaration absolue dans ce sens, et que je pressentais dès ce moment que M. de Thile, qui croyait pouvoir engager sa parole d'honneur, n'était peut-être pas exactement renseigné sur les véritables vues du Roi et du comte de Bismarck. Quoi qu'il en soit, je ne saurais, comme vous le voyez, accorder aux explications que m'a données le président du conseil une entière confiance, et si je

n'avais craint d'excéder la mesure qu'il peut convenir au gouvernement de l'Empereur de garder dans une affaire si délicate, j'aurais mis, sans manquer à aucun de mes devoirs, M. de Bismarck en demeure de s'énoncer plus clairement ; mais j'ai pensé que je devais attendre vos ordres avant de me montrer plus pressant et d'insister davantage pour être fixé sur les résolutions éventuelles qui pourraient être prises à Berlin.

Votre Excellence m'a fait hier l'honneur de me demander par le télégraphe si le prince Léopold s'est rendu dans ces derniers temps auprès du roi Ferdinand de Portugal. Comme je vous l'ai appris par la même voie, ce prince a résidé à Berlin jusqu'à la fin de mars, et le séjour prolongé qu'il a fait iei cet hiver autorisait assurément les conjectures que j'ai formées dans la première dépêche, que j'ai adressée au département à son sujet.

En quitant la cour de Prusse, il est retourné à Dusseldorff, où il réside habituellement, et avant la fin d'avril il est parti pour Bucharest, où il est allé rendre visite à son frère, et où il se trouvait encore il y a peu de jours. Ce ne serait donc que vers le milieu du mois dernier qu'il aurait pu entrepreprendre une rapide excursion jusqu'à Lisbonne; mais je n'ai pu recueillir aucun indice me permettant de vous éclairer à cet égard.

Veuillez, etc.

Signé: BENEDETTI.

N° 4.

LE COMTE BENEDETTI AU DUC DE GRAMONT.

Berlin, le 30 juin 1870.

Monsieur le Ministre, M. Le Sourd vous a rendu compte, durant mon absence, de tout ce qui se dit à Berlin sur la récente entrevue du roi de Prusse et de l'empereur de Russie, et je n'ai rien à y ajouter. Si je devais vous faire part de mes impressions personnelles, je dirais cependant qu'il suffit de se rappeler dans quelles vues le cabinet de Berlin s'est constamment employé à resserrer les relations intimes qu'il entretient avec celui de Saint-Péterbourg pour se former une idée du but que le Roi s'est proposé en se rendant à Ems accompagné du chancelier, et des entretiens qu'ils ont eus avec l'empereur Alexandre. En parfait accord, à cet égard, avec son souverain, M. de

Bismarck s'est constamment appliqué à s'assurer le concours éventuel de la Russie; dans cette pensée, il s'est montré, d'une part, favorable à la politique du cabinet de Saint-Pétersbourg en Orient; il n'a cessé, de l'autre, d'éveiller ses susceptibilités dans les questions qui agitent le sentiment national en Russie. Je ne crains dofie pas de me tromper en présumant qu'il a eu soin de s'expliquer, sur l'état des choses dans les Principautés danubiennes et dans le Levant, de façon à plaire à l'Empereur, et il ne doit pas avoir manqué de signaler les tendances qui portent le cabinet de Vienne à reconstituer l'autonomie de la Pologne en Galicie. Pendant que le ministre aura pris à tâche de rassurer l'Empereur sur le premier de ces deux points et de l'alarmer de l'autre, le Roi aura déployé cette bonne grâce dont il a toujours su faire un si merveilleux usage pour captiver les sympathies de son auguste neveu, et je ne doute pas, pour ma part, qu'ils n'aient laissé dans son esprit des impressions conformes à leur désir. Quels que puissent être d'ailleurs les moyens qu'ils ont employés, leur but a dû être de raffermir l'Empereur dans les sentiments qu'ils ont su lui inspirer, et ils l'auront plus ou moins atteint. Ils en avaient évidemment un autre; celui de montrer à l'Europe la parfaite cordialité des rapports qui unissaient les deux souverains, et de décourager les efforts que l'on pourrait tenter pour les séparer. On a dû se proposer également de contenir les adversaires de la politique allemande à Saint-Pétersbourg. Ces adversaires sont nombreux et puissants. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec plusieurs agents diplomatiques accrédités à la cour de Russie, et je les ai trouvés unanimes à croire qu'à Saint-Pétersbourg on ne partage pas les dispositions que l'Empereur n'a cessé de témoigner dans ses rapports avec le roi Guillaume et son gouvernement. Un changement de règne amènerait, à leur avis, un changement de politique. L'opinion publique en Russie qui d'ailleurs ne pouvait voir avec indifférence s'élever entre elle et l'Europe un État dont les prétentions grandiront dans la mesure de sa puissance, ne pouvait s'abuser un seul instant sur les vues du gouvernement prussien, et il faut attribuer à l'instinct qui l'éclaire sur les véritables desseins qu'on nourrit à Berlin, l'éloignement qui se manifeste à Saint-Pétersbourg pour le nouvel état de choses fondé en Allemagne depuis la dernière guerre.

Il ne faudrait cependant pas supposer que M. de Bismarck juge opportun de lier étroitement sa politiqne à celle du cabinet russe. A mon sens, il n'a contracté et il n'est disposé à prendre aucun engagement qui pourrait, en compromettant la Prusse dans les complications dont la Turquie deviendrait le théâtre, rapprocher l'Angleterre et la France, et lui créer des difficultés ou l'affermir sur le Rhin. Les complaisances du chancelier pour la Russie ne seront jamais de na

ture à limiter sa liberté d'action; il promet en somme plus qu'il n'a l'intention de tenir, ou, en d'autres termes, il recherche l'alliance du cabinet de Saint-Pétersbourg pour s'en assurer le bénéfice dans le cas d'un conflit en Occident, mais avec la résolution bien arrêtée de ne jamais engager les ressources ou les forces de l'Allemagne en Orient. Aussi ai-je toujours été persuadé qu'il n'a été conclu aucun arrangement officiel entre les deux Cours, et il est certainement permis de penser qu'on y a pas songé à Ems.

Signé BENEDetti.

N° 5.

LE DUC DE GRAMONT A M. LE SOURD, CHARGÉ D'AFFAIRES A BERLIN

Paris, le 3 juillet 1870.

Monsieur, Nous apprenons qu'une députation envoyée par le maréchal Prim a offert la couronne d'Espagne au prince de Hohenzollern, qui l'a acceptée. Nous ne considérons pas cette candidature comme sérieuse, et croyons que la nation espagnole la repoussera. Mais nous ne pouvons voir sans quelque surprise un prince prussien chercher à s'asseoir sur le trône d'Espagne. Nous aimerions à croire que le cabinet de Berlin est étranger à cette intrigue; dans le cas contraire, sa conduite nous suggérerait des réflexions d'un ordre trop délicat pour que je vous les indique dans un télégramme. Je n'hésite pas toutefois à vous dire que l'impression est mauvaise, et je vous invite à vous expliquer dans ce sens. J'attends les détails que vous serez en mesure de me donner sur ce regrettable incident.

Signé GRAMONT.

No 6.

M. MERCIER DE LOSTENDE AU DUC DE GRAMONT

(Télégramme).

Madrid, le 3 juillet 1870.

L'affaire Hohenzollern paraît fort avancée, sinon décidée. Le général Prim lui-même me l'a dit. J'envoie Bartholdi à Paris pour les détails et pour prendre vos ordres.

Signé MERCIER.

N° 7.

M. MERCIER DE LOSTENDE AU DUC DE GRAMONT

Madrid, le 3 juillet 1870.

Monsieur le duc, je suis allé voir hier soir le maréchal Prim, qu i était revenu la veille, dans la nuit, de son excursion aux monts de Tolède, et il m'a fait une communication de la plus haute gravité, qus je dois, sans perdre un instant, transmettre à Votre Excellence. J'étais depuis quelques moments dans son salon et je lui trouvais quelque chose de gêné dans sa manière d'être envers moi, habituellement si amicale, dont je commençais à me préoccuper, lorsqu'il me dit « Venez, j'ai besoin de causer avec vous. » Et il m'emmena dans son cabinet.

« J'ai, me dit-il, à vous parler d'une chose qui ne sera pas agréable » à l'Empereur, je le crains, et il faut que vous m'aidiez à éviter » qu'il ne la prenne en trop mauvaise part. »

Je n'avais pas besoin d'en entendre davantage pour deviner où il voulait en venir.

« Vous connaissez notre situation : nous ne pouvons pas prolonger indéfiniment l'intérémité, ni même nous présenter devant les Cortès sane avoir une solution à leur proposer. Vous savez tout ce que j'ai fait pour écarter celles qui n'auraient pas convenu à l'Empereur. Je n'aurais eu qu'à lâcher un peu la main pour que Montpensier fût élu; je n'ai cédé à aucune des avances qui m'ont été faites pour m ́attirer du côté de la république. Ce que j'aurais surtout désiré, c'était une combinaison portugaise, ou, à son défaut italienne. Dernièrement encore je suis revenu à la charge à Lisbonne et à Florence, mais tout a été inutile. Cependant il nous faut un roi, et voilà qu'au moment de notre plus grand embarras, on nous en propose un qui a toutes les conditions que nous pouvons souhaiter. Il est catholique, de race royale, il a trente-cinq ans, deux fils, et il est marié avec une princesse portugaise, ce qui préviendra nécessairement beaucoup les esprits en sa faveur, d'ailleurs très-bien de sa personne, et militaire. Vous comprenez que je ne peux pas laisser échapper la seule chance qui nous reste de sauver la révolution, surtout quand elle se présente dans de pareilles conditions. Comment croyez-vous que l'Empereur prendra la chose?

« Il n'y a pas, répondis-je, deux manières de la prendre. Mais d'abord laissez-moi bien vous rappeler que je ne saurais accepter la conversation sur ce chapitre, comme ambassadeur, car n'ayant

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