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trine du droit des gens n'a jamais contesté en général le principe de l'égalité juridique entre les États. Que çà et là des réserves aient été faites, le principe n'en est pas moins incontestablement reconnu. On ne soutient nulle part qu'il doive exister entre les États une différenciation juridique.

Même dans la pratique, ce principe n'a jamais été combattu. Sans doute au Congrès de Vienne on formula un certain nombre de règles générales de droit des gens sans que tous les États reconnus aient collaboré à leur élaboration, mais ces règles n'étaient pas considérées comme obligatoires pour les puissances tierces. La déclaration de Paris sur le droit maritime en 1856 n'était pas non plus obligatoire pour tous; elle contenait seulement une invitation à ratifier ses résolutions. Jusqu'en 1856 il est certain que seules les grandes pnissances s'accordèrent sur les règles juridiques à créer. Toutefois étant donné que ces règles étaient obligatoires seulement pour les parties contractantes, étant donné la faculté qu'on avait de s'y associer ou de ne pas s'y associer, on ne pouvait sans plus parler d'une violation du principe d'égalité. Dans la seconde moitié du xixe siècle, on peut même constater un progrès décisif, puisque tous les États intéressés ont participé aux Congrès chargés de l'établissement de règles de droit international. Les États moyens et petits, même non européens, y ont pris une part de plus en plus considérable. L'apogée de ce développement est marqué par les Conférences de la Paix à la Haye, auxquelles tous les États civilisés de la Terre ont participé. Il faut remarquer expressément à ce propos que les grandes puissances ne revendiquaient dans la création des règles de droit international aucune prérogative formelle. Les circonstances sont naturellement différentes là où il ne s'agit pas de questions juridiques, mais d'intérêts politiques. Nous avons vu que sous l'empire des théories de l'équilibre européen et de la légitimité, les grandes Puissances se sont fréquemment immiscées dans des affaires qui ne les intéressaient pas exclusivement et même dans des affaires où elles n'avaient qu'un intérêt indirect. Cette intervention collective s'est produite pour des raisons politiques; il s'agissait là d'actes relevant de la politique et la situation juridique internationale n'était pas en jeu.

Dans ces interventions collectives des grandes Puissances, pour des affaires qui ne les touchaient pas directement, on ne peut donc voir que l'effet d'une prépondérance politique et non pas l'exercice d'un droit. Aux temps de la Pentarchie, lorsque les interventions étaient à l'ordre du jour, cette suprématie politique existait sans doute. Mais nous avons vu que la Pentarchie n'a pas duré longtemps et qu'elle a disparu justement par suite de ces interventions; et les noms de Monroë et de Canning montrent suffisamment que ce système n'a jamais eu une valeur générale.

Toutefois la Pentarchie signifiait incontestablement une organisation qui était en contradiction avec le principe de l'égalité des États, encore qu'il se soit agi ici, nous l'avons dit, d'une organisation politique et non d'une organisation juridique. Assurément les cinq grandes puissances avaient alors tendance à exercer sur les autres États, au sens de la Sainte-Alliance, une sorte de tutelle. Mais en fait, comme Max Huber l'a démontré très justement 1, il n'y avait ni une organisation proprement dite, ni une revendication formelle, de la part des grandes Puissances, du droit de régler toutes les affaires internationales. Jamais il n'y eut de reconnaissance d'une pareille revendication et même en pratique on ne peut dire qu'elle ait été formulée d'une façon constante et effective par les grandes Puissances.

Huber ajoute avec raison : « On ne peut considérer comme une particularité de la vie des peuples le fait qu'au sein d'une communauté d'hommes les membres les plus influents par leur puissance cherchent à s'accorder dans toutes les questions importantes touchant à leurs intérêts et essayent de faire exécuter leur volonté. Pour que de l'exercice d'une pareille politique naisse un principe juridique, il est nécessaire que les intéressés élèvent des revendications qui soient reconnues comme légitimes par ceux qui sont obligés d'y satisfaire. Peu importent les motifs qui conduisent à une pareille reconnaissance, mais sans cette reconnaissance il n'y a pas de principe juridique et surtout pas de principe de droit des gens. Il n'a jamais été soutenu que les moyens et les petits États aient reconnu une prédominance formelle et, si c'était le cas les négociations de la seconde Conférence de la Paix auraient prouvé le contraire. » Si l'on fait abstraction de la Pentarchie, on peut dire que dans toutes les organisations internationales le principe de l'égalité des États a toujours été nettement exprimé. On peut dire de même que les Congrès et les Conférences depuis le milieu du XIXe siècle n'indiquent d'aucune façon qu'une suprématie exercée par les grandes Puissances existât formellement et juridiquement.

La pratique des États et la théorie du droit international montrent donc qu'il n'y a pas une hégémonie des grandes Puissances en droit et que celles-ci reconnaissent le principe d'égalité. Pour la doctrine, le principe d'égalité n'a jamais paru discutable. La pratique, de son côté, n'offre aucun fait d'où l'on puisse déduire un droit coutumier contraire à ce principe. L'égalité juridique des États peut donc être appelée un principe du droit des gens positif. Étant donné cet état du droit, on ne saurait approuver les tendances apparues ces derniers temps en quelques occasions - et qui visent à détruire en partie le principe d'égalité. Huber a parfaite

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1. Huber, Die Gleichheit der Staaten.

ment raison de dire que s'il est quelque chose de révolutionnaire dans la dernière phase de l'évolution du droit international, marquée par les Conférences de la Haye, ce sont bien les tentatives de mettre de côté, dans les traités universels collectifs, le principe de l'égalité de tous les États souverains, surtout là où son application semblerait attenter au principe d'équilibre politique des grandes puissances. Le droit des gens se trouve ici en face d'une décision fondamentale, l'une des plus importantes qu'il ait eu jamais à prendre. A la première Conférence de la Paix, à la Haye, le principe d'égalité a été garanti pleinement, si l'on fait abstraction du projet russe d'une Cour d'arbitrage, projet qui ne fut pas accepté.

Il en fut autrement à la seconde Conférence de la Haye. Ici les dispositions touchant la Cour internationale des prises, aussi bien que celles concernant la Cour de Justice arbitrale se heurtèrent au principe de l'égalité. En face des propositions anglaises pour la Cour des prises, la Suède, la Suisse et le Brésil (Barbosa) défendirent le principe d'égalité et firent observer ce qu'il y avait de dangereux et d'injuste dans la proposition anglaise.

Toutefois en ce qui concerne la Cour des prises, cela ne prêtait pas à des conséquences fâcheuses, parce que beaucoup d'États n'étaient pas intéressés directement à cette question. Il en fut autrement du projet de la Cour permanente. On fit pour sa composition certaines propositions qui ne s'accordaient aucunement avec le principe d'égalité et qui furent combattues ardemment par les partisans de ce principe, notamment par Barbosa. Il n'y avait en effet aucune raison de traiter les grandes puissances d'une manière spéciale et différente dans ce projet.

On doit regretter la tendance qui s'est montrée à la seconde Conférence de la Haye de ne point tenir compte du principe d'égalité; mais il fait d'autre part reconnaître que le principe lui-même n'a pas été mis en doute, même à cette occasion. Les petits États, qui à la Conférence en appelaient au principe d'égalité, partaient avec raison de cette idée que ce principe est la base même du droit des gens et qu'il ne saurait être discuté. Mais les grandes puissances elles-mêmes n'ont pas attaqué expressément le principe; elles l'ont même reconnu en partie.

Il faut ajouter que du point de vue du droit international, il n'y a pas différentes classes d'États. Huber a raison lorsqu'il écrit: L'inégalité qui réside dans la distinction des grandes et petites puissances, a pour celles-ci quelque chose de particulièrement grave et doit exciter leur résistance. Mais une classification de tous les États ou seulement des petites puissances d'après des critères généraux, c'est-à-dire le système de l'égalité relative, sera également combattue, non seulement parce qu'elle blesse l'égalité absolue, mais encore à cause de l'arbitraire qui pourrait être reproché à tous

les modes de distinction imaginés pour une pareille classification. Une entente sur la mesure d'une gradation pour les institutions générales ne pourra jamais être trouvée. Il faut par conséquent que, dans les organisations internationales, la participation des États soit égale en principe, et que cette égalité soit aussi absolue, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas de classification des États, ni de hiérarchie de leur personnalité juridique, comme cela résulte, du reste, de la nature du droit des gens.

L'étude du xixe siècle nous a montré que, si la Pentarchie renfermait une négation du principe d'égalité, cette négation n'avait de valeur que sur le seul terrain de la politique. A cet égard Gareis 1 observe avec raison que l'idée foncière de la Pentarchie se rapprochait de l'ancienne idée de prépondérance ou de suprématie de certains États et de la subordination des autres. « Le point de départ essentiel du droit international, au sens moderne et véritable du mot, est précisément le contraire, c'est l'égalité de droit de tous les États. »>

Le système de la Pentarchie a malheureusement exercé son influence, dans le domaine politique, jusqu'à une époque récente et on l'observe tout particulièrement dans ce qu'on appelle le Concert européen des grandes puissances. Nys 2 écrit à ce sujet : « En ce qui concerne l'Europe, un système politique s'est formé, embrassant toute cette partie du monde et au sein de ce système politique s'est établi un corps dirigeant que constituèrent les grandes puissances et qui a prétendu exercer une action irrésistible sur le monde entier. »>

Ce concert européen ne possède à la vérité aucun caractère juridique. Il a néanmoins exercé, mais pas toujours dans le sens désirable, surtout du point de vue de l'égalité des États, une influence notoire sur le développement du droit international influence qui pourrait bien continuer à se faire sentir.

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A propos du principe d'égalité, il faut en quelques mots examiner aussi le Concert européen.

Il s'est trouvé des écrivains qui ont attendu de ce Concert la guérison de l'Europe. De même que l'on a voulu se servir de principes politiques pour trouver une base au progrès du droit international, de même on a cru qu'une organisation purement politique, comme le concert des grandes puissances, pourrait écarter tous les maux et tous les dangers pour l'Europe ou du moins quelques-uns d'entre eux.

Les inconvénients que présente ce Concert des grandes puissances ont déjà été signalés. Il convient encore de mettre en relief ce que pense à ce sujet M. Dupuis .

1. Gareis, Die Fortschritte des internationalen Rechts in letzten Menschenalter, 1904.

2. Nys, Le droit international, 1912, vol. I, p. 42.

3. Dupuis, Le Principe d'équilibre et le Concert européen, 1909.

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M. Dupuis examine le rôle historique du Concert européen à partir du « directoire européen » el des contrats de Châtillon et de Chaumont, puis successivement il passe en revue la question de l'indépendance belge, la crise orientale de 1839 à 1841, la question d'Orient pendant le Second Empire et les questions occidentales de la même période, la guerre russo-turque, le Congrès de Berlin, la question d'Égypte, la question du Congo, la question du Maroc. La conclusion à laquelle il aboutit, après cet examen historique, c'est que le Concert européen n'est pas arrivé à être une institution régulière, dont l'objet est de veiller au maintien de la paix et de la justice entre les États. La conduite des affaires européennes par les grandes puissances a été en contradiction avec le principe de souveraineté. Le concert aurait pu obtenir du crédit par la modération et le désintéressement et il aurait pu exercer son influence en subordonnant bénévolement l'intérêt particulier à l'intérêt général. Mais le Concert européen n'a été qu'une sorte de syndicat fonctionnant par intermittence, fondé par les grandes puissances pour résoudre des problèmes déterminés de la politique internationale; il ne pouvait d'ailleurs être autre chose.

Le Concert européen n'a jamais été au service du droit des gens. M. Dupuis écrit à ce sujet 1 : « Il est certain que le Concert européen a eu très peu de souci des théories juridiques et très peu de scrupules à empiéter sur les droits de ceux dont les prétentions gênaient ses convenances. Il n'a pas hésité à imposer ses lois à qui n'avait pas la force de s'y soustraire. Au nom de l'intérêt européen, les grandes puissances, d'accord pour éviter de se faire la guerre, ont jugé bon de dicter aux faibles les conditions qu'elles jugeaient essentielles au maintien de leur entente. Il est clair que cette affirmation de leur force ne va pas sans contredire au principe juridique de la souveraineté, de l'égalité et de l'indépendance des États.

« Le Concert européen s'est borné à faire des compromis entre les puissants et ne s'est fait aucun scrupule de contraindre les faibles à adopter ses solutions. Il a néanmoins pu apporter un peu d'ordre dans l'anarchie de la politique de force, il a travaillé aussi en faveur de la paix et apaisé les ambitions de quelques-uns. Il pourrait encore agir dans le même sens à l'avenir et s'étendre à l'occasion pour devenir un «< Concert mondial; » mais jamais il ne pourrait devenir une institution régulière du droit international. Son action dans l'avenir comme dans le passé dépend de la valeur intellectuelle et morale des hommes d'État qui collaborent à cette œuvre. »

M. Dupuis a ainsi très bien caractérisé la signification du Concert européen. C'est une conception qui peut avoir une influence bienfaisante et être utile à la paix. Mais ces heureux effets dépendent

1. Dupuis, op. cit., p. 502.

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