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TROISIÈME PARTIE

LES SANCTIONS DU DROIT INTERNATIONAL

I. Les sanctions du droit interne et le droit international.

L

E mot sanction est pris dans des acceptions très différentes. Il désignait l'approbation donnée par le pouvoir royal aux lois votées par les Assemblées. Employé au pluriel et strictement entendu, il désigne les peines et les récompenses qu'une loi édicte en vue d'assurer son exécution; entendu dans un sens plus large, il comprend les moyens divers à l'aide desquels l'observation de la loi peut être assurée de la part de ceux qui ne voudraient pas s'y soumettre spontanément; il peut s'étendre à toutes les conséquences fâcheuses qui résultent de la violation du droit. Les sanctions sont parfois confondues avec les garanties d'observation de la loi, mais les sanctions ne sont pas les seules garanties d'observation de la loi, et elles ne sont point d'ailleurs des garanties toujours efficaces. Elles ne s'adressent qu'à ceux qui méconnaissent, méprisent ou sont tentés de méconnaître et de mépriser les règles du droit. Et, par là même qu'elles supposent résistance ou volonté ou velléité de résistance à l'empire du droit, elles courent le risque d'être éludées ou tenues en échec par la force ou par l'adresse des récalcitrants. Les garanties d'observation du droit ont un domaine heureusement plus large et en partie plus sûr que les sanctions; car elles comprennent, en dehors des contraintes réelles ou virtuelles qui peuvent peser sur les rebelles envers le droit, tout ce qui peut déterminer le respect et l'observation volontaire du droit. Or le droit compte heureusement des fidèles qui l'observent sans contrainte et sans crainte des contraintes. C'est dans l'observation spontanée et volontaire que le droit trouve à la fois sa force véritable et la condition d'efficacité des sanctions contre ceux qui lui refusent adhésion et obéissance spontanées. Et, c'est pourquoi, si l'on veut se rendre exactement compte de la nature, de la portée, de la valeur ou de l'insuffisance des sanctions, il convient de faire état non seulement des sanctions proprement dites, mais de toutes les garanties d'observation du droit.

Le chapitre des sanctions est toujours, dans l'immense domaine du droit positif, le chapitre le plus défectueux, le plus éloigné du but qu'il se propose. Il est moins imparfait en droit interne qu'en droit international, mais c'est une grave erreur que de le supposer complet et satisfaisant. Cette erreur, toutefois, est assez répandue comme l'est également celle qui refuse au droit international toute sanction et prétend le bannir du droit positif, sous le prétexte que la sanction est à la fois la marque et la condition d'existence de ce droit.

Il n'est point vrai que toutes les dispositions du droit interne soient sanctionnées; il n'est point vrai qu'aucune disposition du droit international ne soit sanctionnée; il n'est point vrai que la sanction soit la marque et la condition du droit positif.

Les sanctions du droit interne sont beaucoup moins efficaces, beaucoup moins assurées qu'on ne l'imagine d'ordinaire et, dans un certain nombre de cas, elles font complètement défaut. Les sanctions du droit international, si incomplètes et fragmentaires qu'elles soient, sont beaucoup plus développées qu'on ne le croit d'habitude. Dans l'ordre interne comme dans l'ordre international, il est des droits certains et respectés encore que leur sanction soit mal assurée ou ne le soit pas du tout.

On oublie généralement que certaines dispositions du droit international sont sanctionnées comme les dispositions du droit interne, en vertu des lois internes.

Des conventions internationales assez nombreuses ont stipulé que les États signataires s'engageaient à édicter les lois nécessaires pour assurer la répression de certains faits déclarés punissables. Ces faits constituent des délits de droit international quant à l'origine de leur répression, des délits de droit interne quant à leur répression elle-même. Un engagement de ce genre a été relevé dans la convention du 14 mars 1884 pour la protection internationale des câbles sous-marins 1. D'autres engagements du même ordre ont été inscrits dans la Convention de Genève, du 11 juillet 1906, en ce qui concerne l'interdiction et la répression de l'abus des insignes ou de la dénomination de Croix-rouge ou Croix de Genève, notamment dans un but commercial, par le moyen de marques de fabrique ou de commerce, d'une part, en ce qui concerne d'autre part, la punition des actes individuels de pillage et de mauvais traitements envers des blessés et malades, des armées, la répression de l'usage abusif du drapeau et du brassard de la Croix-rouge par des militaires ou des particuliers non protégés par la Convention.

Ainsi qu'il a été dit plus haut, en France, les traités soumis au

1. Voir Supra, p. 158.

Parlement, deviennent lois de l'État quand ils sont adoptés par les deux Chambres et jouissent, dès lors, des sanctions du droit interne dont ils sont partie intégrante. Il en est de même d'ailleurs des traités qui ne sont pas obligatoirement soumis au Parlement et dont le texte est promulgué par décret; leur texte bénéficie des mêmes sanctions que celui des décrets d'ordre purement interne. Ainsi donc, soit par voie de législation interne complémentaire quand une convention ne se suffit pas à elle-même, ce qui est le cas en France, s'il faut lui donner des sanctions d'ordre pénal, soit par voie d'incorporation directe dans la législation interne, les dispositions des traités internationaux sont appelés à bénéficier des mêmes sanctions que les dispositions de droit interne. Ces sanctions du droit interne peuvent également être et sont effectivement assurées à certaines règles de droit international d'origine purement coutumière; ainsi en est-il des privilèges et immunités diplomatiques.

Les sanctions du droit interne, par le droit interne, ne sont toutefois acquises au droit international qu'en ce qui concerne les règles sur lesquelles l'accord est fermement établi entre les États, parce que ceux-ci reconnaissent la justice ou l'utilité bienfaisante de ces règles et admettent la nécessité de contraindre, le cas échéant, les récalcitrants qui s'insurgeraient contre elles. Les sanctions du droit interne font, au contraire, défaut, quand il s'agit, non plus d'appliquer, à des particuliers rebelles, les règles sur lesquelles les États sont d'accord, mais d'appliquer contre un État rebelle des règles dont celui-ci prétend s'affranchir.

Des tentatives ont été faites en vue de transposer dans l'ordre international, pour la solution des conflits entre États, les sanctions du droit interne pour la solution des conflits entre particuliers. On a cherché à régler les conflits entre États par les mêmes procédés et par les mêmes procédures qui sont appliquées, à l'intérieur des États, au règlement des litiges entre particuliers ou collectivités subordonnées à l'autorité du même État. La doctrine de l'évolution dont les séductions n'ont d'égales que les méfaits - a été invoquée pour justifier la transposition et promettre la disparition des guerres internationales.

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Autrefois, a-t-on dit, les guerres privées étaient admises; les guerres privées ont disparu par l'effet et par le bienfait de l'organisation d'une justice nationale. Il ne s'agit que de pousser le progrès plus avant dans la même voie; organisons une justice internationale et les guerres publiques, les guerres internationales. disparaîtront comme ont disparu les guerres privées.

Il convient de remarquer, tout d'abord, que les guerres privées n'ont pas disparu aussi radicalement qu'on veut bien le dire, Le nom a été supprimé et la chose a été atténuée; la guerre privée est

devenue illicite; elle ne s'est plus appelée, selon les cas, que meurtre, assassinat, émeute, insurrection ou guerre civile; elle a, sous ces diverses appellations, encouru déchéance, blâme, et punitions souvent de la dernière rigueur, mais elle n'a pas entièrement disparu. Les sanctions qui la frappent n'ont point suffi, jusqu'à présent, à décourager les violents de vider leurs querelles par la violence, quand le recours aux voies légales leur semblait insipide et inopérant. Il convient d'observer, ensuite, que, si quelques emprunts peuvent être faits, avec succès, aux méthodes et procédés du droit interne en vue d'arriver à une heureuse solution des conflits entre États, il est impossible de transposer tout l'appareil de la justice nationale dans l'organisation internationale, à moins de transformer celle-ci jusqu'à la supprimer. Il y a, en effet, des différences tellement profondes et radicales entre l'ordre international et l'ordre interne qu'il faut nécessairement appliquer des traitements différents à chacun ou bien détruire l'un pour le ramener à la mesure de l'autre. Il est impossible d'organiser et d'assurer des sanctions entre et contre des États souverains, indépendants et égaux, comme entre et contre des particuliers et collectivités subordonnées à la souveraineté et à l'autorité d'un même État. Vouloir astreindre la solution des conflits entre États aux mêmes règles que la solution des conflits à l'intérieur d'un État, c'est tendre, qu'on le veuille ou non, à la destruction de l'ordre international actuel, à son remplacement par la monarchie universelle, la république universelle ou la fédération universelle. Encore toute fédération n'admet-elle point l'assimilation complète. Si la Cour suprême des États-Unis a compétence pour connaître des différends entre États de l'Union fédérale, les sentences qu'elle rend sur ces différends ne sont susceptibles que d'exécution volontaire de la part de l'État condamné; elles ne sont point susceptibles d'exécution forcée. Or l'appareil de sanctions complet n'exige pas seulement un juge pour décider, mais une force au service du juge pour contraindre à l'exécution de la sentence, si la sentence n'est pas exécutée spontanément. Une proposition à bien été faite, il y a peu d'années, en vue d'assurer, à tout événement, la sanction du droit des gens par le règlement juridique intégral de tous les conflits entre États. Le projet arrêté par la commission que le gouvernement français avait chargée de préparer une constitution à l'usage de la Société des Nations organisait, avec une belle intrépidité, un système complet de procédure et de sanctions, qui faisait, encore qu'il s'en défendît, de la Société des Nations, à tout le moins une Confédération d'États parfaitement digne de la qualification quelque peu barbare de super-État.

Le projet français du 8 juin 1918 était net, complet, logique, chimérique et impraticable.

Après avoir déclaré que « la Société des Nations n'avait pas pour objet l'établissement d'un État politique international, qu'elle se proposait uniquement le maintien de la paix par la substitution du droit à la force dans le règlement des conflits et qu'elle garantissait donc également à tous les États, petits et grands, l'exercice de leur souveraineté, » il établissait un organisme international composé des chefs responsables des gouvernements ou de leurs délégués, élevé en réalité au-dessus des États, chargé de pourvoir soit directement soit indirectement à la solution de tous les conflits entre États. Il mettait à la disposition de cet organisme une force internationale capable de tenir en respect et au besoin en échec les États insuffisamment enclins à substituer le droit à la force dans le règlement des conflits; il garantissait à tous l'exercice de leur souveraineté, à condition que tous s'inclinent devant les décisions de l'organisme international.

L'organisme international devait pourvoir à l'organisation d'un tribunal international. En cas de conflit, il devait procéder, par la voie de la médiation, au règlement amiable des contestations entre États associés; si le règlement amiable était impossible, il devait renvoyer l'affaire devant le tribunal international « si celleci était susceptible d'une décision judiciaire » ou la régler lui-même, au cas contraire; il devait assurer l'exécution de ses décisions et de celles du tribunal international; « sur sa réquisition, chaque nation devait être tenue d'user, d'un commun accord avec les autres, de sa puissance économique, maritime et militaire contre toute nation contrevenante » comme contre « toute nation qui, n'ayant pas adhéré à la Société des Nations, prétendrait imposer, par quelque moyen que ce soit, sa volonté à une autre. »

L'exécution de la sentence du tribunal international ou de la décision de l'organisme international devait être assurée par plusieurs jeux de sanctions divisées et subdivisées.

Les plus douces étaient les sanctions diplomatiques, juridiques et économiques; les plus fortes, les sanctions militaires.

Les sanctions diplomatiques, portait le projet, « qui doivent avoir pour résultat de mettre pendant un temps plus ou moins long, l'État délinquant au ban des nations associées, se ramènent à trois :

« a) la suspension ou la rupture des rapports diplomatiques, que cet État a jusqu'alors entretenus avec les autres États ayant adhéré à la Société des Nations;

« b) Le retrait de l'exequatur accordé à ses consuls;

« c) Son expulsion du bénéfice des accords internationaux d'un intérêt général, auxquels il a participé.

« D'autre part, poursuit le projet, certaines sanctions, d'ordre juridique, permettront à la Société des Nations, suivant le cas, d'obtenir le respect des principes dont elle aura la garde :

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