Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

particulières quand la constitution interne ne laisse pas au pouvoir central une autorité suffisante pour lui permettre d'imposer à tous, individus ou collectivités, l'observation des traités ou des lois nécessaires à l'effet d'assurer l'exécution des obligations internationales. Des difficultés de cet ordre se sont produites à l'égard d'États fédéraux dont la constitution reconnaissait une très large autonomie aux États membres de l'Union, sans donner aux autorités fédérales les moyens voulus pour contraindre ces États à observer les règles prescrites par le droit international.

Ainsi, le 14 mars 1891, des Italiens traduits devant le jury de la Nouvelle-Orléans sous l'accusation de divers méfaits, dont l'assassinat du chef de police de la ville, avaient été acquittés, mais cet acquittement avait surexcité une partie de la population et un meeting avait été réuni pour réviser la sentence du jury. Les autorités locales avaient jugé prudent de reconduire à la prison les Italiens acquittés, au lieu de les remettre en liberté, mais elles n'avaient pris aucune autre mesure de précaution et la foule, après avoir brisé les portes de la prison, avait massacré les Italiens. Le gouvernement italien réclama au gouvernement des États-Unis des indemnités pour les familles des victimes et des poursuites judiciaires contre les auteurs du massacre. Le Gouvernement des États-Unis accorda les indemnités demandées, mais, tout en offrant de faire ce qu'il pourrait pour assurer la mise en jugement des auteurs du massacre des prisonniers italiens, il avoua que « très probablement il n'aurait pas d'action pour contraindre, dans ce but, les autorités indépendantes de la Louisiane 1. »

Le traité de commerce et de navigation, conclu, le 22 novembre 1894, entre les États-Unis et le Japon, accordait aux sujets japonais, en tout ce qui concernait les droits de résidence aux États-Unis, les mêmes libertés, privilèges ou droits que ceux dont jouissaient les citoyens américains ou les citoyens ou sujets de la nation la plus favorisée 2.

Néanmoins, le 11 octobre 1906, le bureau d'éducation de la cité et du comté de San Francisco décidait que tous les enfants d'origine asiatique devraient fréquenter une école séparée, où ils seraient seuls de leur race, sans rapport, par conséquent, avec les enfants blancs admis dans les écoles publiques ordinaires 3. »

Le gouvernement fédéral des États-Unis, saisi des réclamations du Japon, basées sur le traité de 1894, assura le gouvernement japonais qu'il << n'admettrait à aucun moment l'idée d'un traitement à l'égard du peuple japonais qui différerait du traitement

1. Journal de droit international privé, 1891, p. 1168.

2. Barthélemy, Chronique des faits internationaux, Revue générale de droit international public, 1907, p. 644.

3. Ibid., p. 636.

accordé aux nationaux de la nation européenne la plus amie1. » Mais il se heurta à la résistance de l'État de Californie qui protesta contre l'intervention fédérale, en prétendant que cette intervention était une violation des droits constitutionnels de la Californie. Le conflit, toutefois, fut apaisé par des négociations du gouvernement fédéral avec le Japon, d'une part, avec l'État de Californie, d'autre part. Le président Roosevelt obtint le retrait de la résolution du bureau d'éducation de San Francisco, du moins en ce qui concernait les enfants japonais, tandis que le Japon consentait à une limitation, vivement désirée par la Californie, de l'immigration japonaise aux États-Unis 2. Mais il avait vivement ressenti l'inconvénient de l'impuissance, où le réduisait la législation fédérale, à assurer la stricte exécution des traités conclus par les ÉtatsUnis. « Je demande très sérieusement, avait-il écrit dans son message du 4 décembre 1906, au Congrès, de modifier les lois criminelles et civiles des États-Unis de telle façon que le Président, agissant au nom du gouvernement de l'Union, qui est responsable dans nos relations internationales, puisse protéger les droits des étrangers conformément aux traités. Dans la situation actuelle, le gouvernement fédéral ne peut rien faire dans ce sens 3. »

Il est de toute évidence que l'État fédéral, qui absorbe la souveraineté extérieure des États membres de l'Union, qui les représente et traite en leur nom, doit avoir les pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution des traités et non seulement des traités mais de toutes les règles de droit international de l'observation desquelles il est responsable. Il ne suffit pas qu'il assume la responsabilité pécuniaire des violations de droit des gens qui se sont produites; il faut qu'il puisse assurer les réparations d'un autre ordre qui peuvent être dues telles que punition des coupables d'infractions punissables, révocation des fonctionnaires qui ont négligé de remplir leurs devoirs, rétablissement d'un ordre de choses conforme aux stipulations des traités. C'est à très juste titre que l'Institut de droit International avait inséré, dans son règlement de Neuchâtel sur la responsabilité de l'État, la disposition aux termes de laquelle « le Gouvernement d'un État fédéral, composé d'un certain nombre de petits États qu'il représente au point de vue international, ne peut invoquer, pour se soustraire à la responsabilité qui lui incombe, le fait que la constitution de l'État fédéral ne lui donne, sur les États particuliers, ni le droit de contrôle, ni le droit d'exiger d'eux qu'ils satisfassent à leurs obligations". >>

1. Voir Barthélemy, Revue générale de droit international public, 1907, p. 646. 2. Ibid., p. 650 et suiv.

3. Ibid., p. 679.

4. Annuaire de l'Institut de droit international, t. XVIII, p. 255.

CHAPITRE IV

L'INTERVENTION

L

I.

--

Le droit de souveraineté et l'intervention.

'INTERVENTION a quelques liens avec la responsabilité des États, car elle peut avoir pour objet de contraindre un État

à fournir les réparations qu'il n'accorde pas spontanément, mais elle dépasse de beaucoup, dans la pratique, le cadre de la responsabilité juridique des États. En effet, l'intervention pour cause juridique, en vue d'obtenir réparation d'un tort ou dommage, a été beaucoup moins fréquente que l'intervention politique, dictée par le désir non point d'assurer le respect du droit, mais de modifier le droit.

L'intervention peut être définie : l'action d'un État qui prétend s'immiscer dans les affaires extérieures ou intérieures d'un ou de plusieurs autres États, à l'effet de faire prévaloir ses vues ou ses intérêts propres. Ces vues peuvent être conformes ou contraires au droit; ces intérêts peuvent être en harmonie ou en contradiction avec le droit. Si l'intervention s'exerce en faveur du droit et dans les limites du droit, elle est juridique; si elle s'exerce à l'encontre du droit ou au delà des frontières du droit, elle est politique.

L'intervention a été souvent condamnée, en termes généraux et de manière absolue, comme contraire au droit par le motif qu'elle va à l'encontre de la souveraineté, de l'indépendance et de l'égalité des États. Elle contredit, en effet, à la souveraineté, à l'indépendance et à l'égalité des États, en ce qu'elle suppose et implique pression, contrainte morale ou matérielle. C'est par là qu'elle se distingue et qu'elle diffère de la médiation, qui est bien une immixtion dans les affaires d'autres États, mais une immixtion qui ne dépasse pas les bornes de simples conseils. La médiation propose. L'intervention impose.

L'intervention, parfois condamnée en termes absolus, est plus fréquemment condamnée sous quelques réserves; parfois aussi, elle est admise sans réserve et, au moins virtuellement et peut être Inconsciemment, sans limites.

La confusion qui règne dans la doctrine et dans la pratique

I.

1924.

24

au sujet de l'intervention provient d'une part du sens équivoque qui s'attache ou plus exactement peut-être aux sens divers que l'on attache à la notion de souveraineté et, d'autre part, des abus possibles de la souveraineté.

[ocr errors]

On pourrait dire de la souveraineté ce qu'on a pu dire du principe des nationalités : que c'est le type d'une fausse idée claire. Chacun croit entendre et croit comprendre ce que signifie le mot souveraineté parce qu'il l'entend et le comprend en un certain sens, mais ce sens n'est pas celui que tous lui prêtent et le même mot sert à exprimer des idées tout à fait différentes et, à certains égards, contraires. Pour beaucoup, la souveraineté est le pouvoir et le droit de tout faire. Si fausse et si scandaleuse que soit cette définition trop simple, sa clarté apparente lui a valu un éclat qui a complètement aveuglé sur ses défauts.

D'après un dicton anglais, le Parlement britannique peut tout, excepté changer un homme en femme. Le dicton est beaucoup trop flatteur pour la puissance du Parlement britannique. Il y a bien autre chose que de changer un homme en femme qui dépasse les limites de l'omnipotence bornée de ce Parlement souverain. Nul souverain ne peut aller à l'encontre de la nature des choses ni faire que le faux soit le vrai, et que l'injuste soit juste. S'il prétend forcer son talent et décréter l'impossible, il se brise contre les lois naturelles qui enserrent son illusoire et fallacieuse toute-puissance, fragile jouet d'un sot orgueil et d'une fantaisie désordonnée. Il ordonne en vain, s'il ordonne sans souci des réalités qui le dominent. Il peut ordonner que la fausse monnaie sera tenue pour bonne, mais il ne peut faire que cette fausse monnaie soit bonne et les lois économiques l'écrasent en évaporant, en dépit de ses ordres, la valeur de sa monnaie sans valeur. Il peut édicter des lois spoliatrices; il ne peut faire que la spoliation produise la richesse et que la poule tuée ponde des œufs d'or.

La souveraineté n'est pas plus le droit de tout faire que le pouvoir de tout faire. Et le sophisme de l'idolâtrie de la force qui confond, le droit avec la puissance, est un défi à l'intelligence autant qu'à la moralité il contredit à la raison en même temps qu'à la justice; il détruit la notion d'ordre aussi bien que celle de devoir. Et ce sophisme exerce cependant ses ravages sans que l'humanité, lasse d'en subir l'outrage, consente à reconnaître en lui la source de ses maux. Les États, observe M. David Jayne Hill, « continuent à réclamer le droit, contraire à toute conception juridique, d'agir comme il leur plaît. Tandis que leur raison d'être est de défendre le droit, ils refusent d'entrer dans aucun système juridique défini et obligatoire. Ils emploient le mot de « souveraineté » à deux fins; ils en font la base de leur autorité et un prétexte pour s'affranchir eux-mêmes de toute autorité. En ce qui concerne leur droit d'imposer

l'obéissance, ils prétendent être l'incarnation du droit; mais, en ce qui concerne leurs obligations mutuelles, ils affirment qu'ils sont au-dessus de la loi. Ils réclament le privilège de définir eux-mêmes leur droit, mais ils refusent de s'attribuer ou de se laisser attribuer par d'autres Puissances des devoirs correspondants. Ils sont la loi à eux tous seuls » 1.

4

C'est la théorie de l'absolutisme de la souveraineté, que Bossuet distinguait du pouvoir absolu du prince, en la désignant du non de gouvernement arbitraire 2. Elle a ses sources dans l'imperium romanum, ses titres plus récents dans les doctrines du xvre siècle, issues de la Renaissance des idées païennes, dans la doctrine de Jean-Jacques Rousseau qui a voulu changer le souverain sans changer la souveraineté, en transférant l'autorité sans limites du prince au peuple. Elle a son corollaire naturel dans le droit de guerre illimité, attribut de la souveraineté, et ce corollaire, accueilli avec empressement par la politique dont il servait les desseins de conquête, a été admis par la doctrine, après ce que M. Van Vollenhoven a appelé la grande trahison de Vattel à l'égard de Grotius. Comme les théologiens dont il était l'héritier, Grotius distinguait les guerres justes des guerres injustes, pour réprouver ces dernières. Vattel fait une révérence à la doctrine de Grotius; il proclame que la guerre doit être juste et que, si elle ne l'est pas, elle ne confère aucun droit à l'État qui l'entreprend contre l'État qui en est victime, mais il relègue la justice dans le domaine idéal du droit naturel, pour la bannir du droit positif, quand il ajoute : « la guerre en forme (c'est-à-dire faite par un souverain et selon les règles admises pour l'ouverture et pour la conduite des hostilités), quant à ses effets, doit être regardée comme juste de part et d'autre. » Ce qui revient à dire la guerre injuste est blåmable au point de vue de la morale, mais elle est licite au point de vue du droit positif. Il est étrange que doctrine et pratique aient également accepté, sans en apercevoir les conséquences logiques, cette solution qui a été et est encore,

:

1. L'Etat moderne et l'organisation internationales, p. 22. 2. Voir supra, p. 350.

3. Le caractère le plus frappant de l'époque de la Renaissance, écrit M. Ramsay Muir, est l'extraordinaire relâchement des obligations morales par où elle se signale, et ceci fut dû à l'importance extrême que les Humanistes attribuèrent à la valeur de la personnalité et à leur idolâtrie pour la puissance, la puissance de l'artiste imposant ses propres conceptions à des matériaux résistants et celle de l'homme d'État imposant sa volonté à ses concitoyens doués de plus de résistance encore. S'exprimer, tel fut l'idéal des meilleurs esprits de l'âge nouveau, comme se réprimer avait été l'idéal des meilleurs esprits à la période médiévale. ▾ Nationalisme et internationalisme, p. 171. 4. Les trois phases du droit des gens, p. 22 et 28 et suiv.

5. Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et des souverains, édition Pradier-Fodéré, 1863, t. III, p. 64 et suiv.

6. Ibid., p. 70.

« ZurückWeiter »