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CHAPITRE II

LES TRAITÉS

L

I. Négociation et conclusion des traités.

Es traités sont conclus entre les États par les personnes quali

fiées à cet effet. Au temps de la monarchie absolue, les souverains, maîtres des États, avaient qualité pour engager l'État et pour l'engager seuls. S'ils négociaient eux-mêmes un traité, leur signature au bas du texte liait immédiatement l'État. Les traités conclus directement entre souverains absolus n'ont été que des exceptions. Habituellement les souverains chargeaient leurs ministres ou leurs agents diplomatiques de négocier et de conclure les traités. Ils y trouvaient l'immense avantage d'éviter la surprise des demandes imprévues auxquelles ils avaient qualité pour répondre, le péril des engagements irréfléchis et l'embarras des refus désobligeants. En donnant à leurs mandataires pouvoir de préparer et de signer des conventions, ils ne leur donnaient pas pouvoir de lier l'État. Ils ne donnaient qu'un mandat limité, très différent du mandat du droit civil, qui permet au mandataire d'obliger son mandant. Ils se réservaient un contrôle sur les actes passés en leur nom; ils réservaient à leurs mandataires des ressources précieuses contre les solutions improvisées, en leur permettant de s'abriter derrière l'insuffisance de leurs pouvoirs et le silence vrai ou supposé -de leurs instructions pour ajourner les réponses délicates, prendre conseil du souverain ou tout au moins de leurs propres réflexions. Ministres et diplomates, liés par les instructions qu'ils avaient reçues, ne les devaient point dépasser et n'étaient point tenus de les faire connaître; la nécessité de se pourvoir d'instructions nouvelles pour répondre à des demandes nouvelles servait naturellement de raison ou de prétexte pour différer les décisions et les concessions. Si les négociations en étaient plus lentes, le résultat en était plus sûr. L'accord conclu, le traité signé, le souverain était encore libre; il pouvait désavouer son négociateur et rejeter l'œuvre de celui-ci. La ratification dont il était maître l'engageait seule et la nécessité et la ratification pour donner vie et vigueur au traité était

une garantie contre l'erreur, la maladresse ou l'infidélité des négociateurs.

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Les changements opérés dans la constitution des États ont modifié les conditions dans lesquelles se négocient, se concluent et se ratifient les traités. La souveraineté à changé de mains. Elle est passée du monarque à la nation, du moins en théorie, et la théorie voudrait que le peuple souverain donne ses instructions, suive les négociations ou du moins s'en fasse rendre compte et se prononce sur leur résultat. L'infortuné peuple souverain est parfaitement incapable d'exercer ainsi sa souveraineté et tout essai de plier la pratique à la théorie pure se tournerait contre ses intérêts. C'est une faiblesse des principes démocratiques de se heurter sans cesse à la nature des choses et des hommes, de ne pouvoir être suivis en leurs exigences logiques, sans méconnaître les exigences plus impérieuses de la vie et du gouvernement de toute société humaine. Les adeptes les plus fervents du système démocratique ont réclamé parfois la « diplomatie sur la place publique, » ce qui est pure métaphore pour signifier que les projets, délibérations des gouvernements et des diplomates devraient, par la publicité des journaux, être portés quotidiennement à la connaissance de tous. Mais il est impossible de conduire des négociations sérieuses et fructueuses en livrant d'avance toutes ses pensées à un adversaire qui peut garder les siennes, qui peut ne faire état des concessions annoncées que pour en demander d'autres ou pour refuser les compensations qu'il n'eût accordées qu'en échange de ce qu'il n'a plus à disputer, mais simplement à recueillir. Il est impossible de conduire des négociations délicates au milieu des clameurs d'une presse qui grossit les antagonismes, exagère les prétentions et envenime les malentendus.

Les États démocratiques suivent et ont raison de suivre, la pureté des principes en fût-elle altérée, les formes et les traditions du passé, en les adaptant, par quelques compromis, à leur nouvelle organisation politique. Le souverain populaire n'exerce sa souveraineté que par délégation, et ses délégués se partagent les attributions que la monarchie absolue concentrait aux mains du souverain héréditaire. Le chef de l'État, le chef du pouvoir exécutif qui représente l'État a qualité, comme représentant suprême de l'État, pour conclure et pour ratifier les traités, il désigne les plénipotentiaires et peut parfois négocier lui-même; mais, le plus souvent, il ne peut ni diriger seul les négociations, ni choisir seul les négociateurs, ni ratifier seul les traités. L'assentiment et le concours d'un ministre est requis, pour tous ses actes, dans les États soumis au régime parlementaire. L'assentiment et le concours d'une ou plusieurs Assemblées sont nécessaires pour qu'il puisse ratifier les traités, au moins certains traités, dans les États soumis au régime constitutionnel.

Plus qu'autrefois, il est aujourd'hui désirable que la négociation des traités surtout des traités importants et difficiles soit remise aux mains des diplomates. Les dangers que comportaient jadis les négociations entre souverains se sont étendus aux négociations entre ministres. Si les ministres ne peuvent, en droit, engager l'État, ils peuvent, en fait, décider des clauses à insérer dans les traités. Ils n'ont pas la ressource de gagner le temps nécessaire à la réflexion, sous prétexte de demander des instructions quand ce sont eux qui les donnent. Il leur est plus malaisé d'éviter les réponses irraisonnées et les concessions prématurées qui risquent d'être la rançon coûteuse de leur puissance accrue. La prudence leur commande, pour conserver le contrôle des négociations, d'en laisser la charge aux diplomates. Il leur importe d'éviter surtout les négociations collectives où l'influence du milieu, le désir d'un succès au moins apparent, la crainte d'être jugé trop peu zélé pour l'entente, risquent de troubler leur jugement et d'égarer leur volonté.

Les diplomates sont beaucoup mieux garantis contre les entraînements et les impulsions, par la dépendance, où ils sont, des instructions qui les lient et du ministre qui les guide. Ils sont plus libres vis-à-vis de leurs interlocuteurs parce qu'ils sont moins libres vis-à-vis d'eux-mêmes. Ils peuvent réfléchir, informer et faire réfléchir ceux à qui il appartient de décider avant d'accorder ou de contredire. Ils peuvent être désavoués, sans que le désaveu implique l'affront que se ferait un ministre à lui-même, en se reniant par le refus de signer ce qu'il aurait concédé ou de ratifier ce qu'il aurait signé.

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La nécessité de la ratification qui se fondait autrefois sur l'intérêt du prince à se couvrir contre les défaillances de ses agents puise une raison nouvelle dans l'impuissance du chef de l'État à assurer, par lui-même, l'exécution des conventions qu'il approuve. S'il est des conventions dont le pouvoir exécutif peut, à son gré, assurer l'observation, il en est d'autres qui exigent, sous peine de demeurer lettre morte, l'assentiment du pouvoir législatif, soit que la Constitution requière, en termes exprès, cet assentiment, soit qu'elle la demande implicitement. Il n'appartient plus au pouvoir exécutif de faire ou de défaire la loi. Si donc un traité suppose, pour être mis en exécution, une modification des lois en vigueur, l'intervention du Parlement est nécessaire et la ratification ne doit pas être donnée par le chef de l'État avant que les modifications requises n'aient été accomplies par le pouvoir législatif.

Aux termes de l'article 8 de la loi constitutionnelle française du

16 juillet 1875, « le président de la République française négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'État le permettent. Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'État, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger ne sont définitifs qu'après avoir été votés par les Chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peuvent avoir lieu qu'en vertu d'une loi. » Ce texte ne vise expressément qu'une partie des traités qui doivent être soumis à l'approbation des deux Chambres. Tous les traités dont l'exécution requiert un changement dans la législation, que ce soit par suppression, addition ou autrement, doivent être également votés par les assemblées législatives. Le texte même de ces traités est présenté aux Chambres et voté par elles, de telle sorte que ce texte devient loi française du fait même que les deux Chambres ont autorisé le président de la République à le ratifier.

Peuvent seuls être ratifiés par le président de la République, avec le contre-seing du ministre ou des ministres compétents, les traités dont l'exécution peut être assurée par décret, sans modification d'aucune loi.

En Angleterre, la couronne, c'est-à-dire en droit le Roi, en fait le cabinet, a la prérogative exclusive de la ratification des traités aussi bien que de leur conclusion. Le texte des traités n'est point soumis aux votes du Parlement. Si des modifications législatives sont nécessaires pour l'exécution d'un traité, le gouvernement présente au Parlement un bill spécial dont les termes ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux du traité lui-même. Cette manière de procéder peut avoir de grands inconvénients. Car c'est l'acte voté par le Parlement et non le traité lui-même qui devient loi britannique. S'il n'y a pas exacte concordance entre les dispositions de l'act et celles du traité, les tribunaux, en appliquant les termes de l'act, qui seuls les lient, peuvent méconnaître les stipulations du traité.

Le Président des États-Unis a « le pouvoir de conclure les traités sur et avec l'avis et le consentement du Sénat, pourvu que les deux tiers des sénateurs présents y consentent. » Le Sénat américain qui représente les États de l'Union, use très largement de son droit de contrôle sur les traités. Souvent il les rejette ou il les amende, comme ce fut le cas du premier traité Hay-Pauncefote, ce qui équivaut à les rejeter en donnant des indications pour la reprise des négociations et la conclusion d'un accord conforme à ses vues. La nécessité d'une majorité des deux tiers rend l'approbation des traités assez difficile et invite le Président des États-Unis à une grande prudence dans la négociation des traités. Le traité de Versailles n'a pas été ratifié par les États-Unis parce qu'il n'a pas

été tenu compte des quatorze réserves auxquelles le Sénat américain subordonnait l'acceptation du pacte de la Société des Nations et de quelques autres dispositions du traité 1.

La ratification est dite imparfaite ou incomplète lorsqu'elle est fournie par le chef de l'État sans que celui-ci se soit pourvu de l'approbation ou de l'autorisation du Parlement, alors que celleci était nécessaire. La question de la valeur et des effets de la ratification imparfaite est extrêmement délicate. Elle soulève un conflit entre le droit constitutionnel et le droit international. L'avantage est resté, en fait, jusqu'ici au droit constitutionnel, et il y a de grandes chances pour qu'il en soit de même à l'avenir. Les autorités administratives et judiciaires appliquent, en effet, les lois nationales et ne peuvent agir que dans les limites tracées par ces lois. Un traité qui n'est pas devenu loi nationale ne peut être exécutǝ à l'encontre des lois nationales.

Cette solution ne laisse pas de soulever de fortes objections. On peut soutenir rationnellement que le chef d'État ou le Conseil Exécutif auquel la constitution de leur pays confie le soin de représenter l'État et de ratifier les traités a, par cela même, qualité pour engager, par la ratification qu'ils donnent régulièrement en la forme, l'État, qu'ils représentent envers les autres États. C'est le devoir du chef d'État de ne donner de ratification qu'à bon. escient; ce n'est pas le devoir des États étrangers de contrôler si l'auteur de la ratification outrepasse ou non ses pouvoirs, s'il a ou non accompli toutes les conditions prescrites par la constitution qui le régit. S'il est en faute d'avoir donné une ratification irrégulière, compte devrait lui être demandé, à lui ou à ses ministres, par le Parlement dont il aurait méconnu les droits, mais l'État devrait être engagé par la ratification régulière en la forme, qui est une affirmation que le traité est accepté comme bon et valable, qu'il oblige l'État et qu'il sera exécuté. A raison même des précautions multipliées pour que l'État ne soit engagé qu'après examen, par l'autorité chargée de ratifier, des dispositions de l'accord conclu et de la convenance de leur acceptation, les traités entre États échappent aux causes d'annulation qui peuvent détruire les contrats entre particuliers: erreur, dol, violence, lésion. Il serait naturel que les mêmes précautions eussent pour effet de mettre obstacle à l'annulation ou à l'inexécution d'un traité ratifié à tort, par abus

1. Il est arrêté, portait la résolution du Sénat, que le Sénat agrée et consent à la ratification du traité de paix conclu à Versailles, le 28 juin 1919, soumis aux réserves et conditions de la résolution de ratification, ratification qui ne doit produire effet ou lier les États-Unis que lorsque ces réserves et interprétations, adoptées par le Sénat, auront été acceptées par un échange de notes, comme partie et conditions de cette résolution, par trois au moins des quatre principales Puissances alliées et associées, à savoir la Grande-Bretagne, la France, l'Italie, et le Japon (Le Temps, 7 décembre 1919).

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