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ou de paraître une diplomatie d'abandon et de capitulation. Si elle sait concéder, elle sait aussi résister. Elle sait qu'il est des cas où la résistance est nécessaire, non seulement pour la sauvegarde des intérêts nationaux mais encore pour la sauvegarde de la paix. Elle ne saurait oublier que Talleyrand, venu à la conférence de Londres de 1830 pour affermir la paix chancelante, résolu à tout faire pour atteindre ce noble but, ne craignait pas de proclamer hautement. « Nous ne voulons pas la guerre, mais nous sommes prêts à la faire et nous ne la craignons pas 1. »

Talleyrand a exprimé une idée juste lorsqu'il a défini le traité de paix «< celui qui, réglant l'universalité des objets en contestation, fait succéder non seulement l'état de paix à l'état de guerre, mais encore l'amitié à la haine. » Il n'a point hésité à signer, le traité du 3 janvier 1815, pour tenir en échec, le cas échéant, par la force des armes, les ambitions de la Prusse et de la Russie parce qu'il jugeait les dispositions prussiennes et russes comme incapables de faire succéder l'amitié à la haine en Europe et comme très capables de faire succéder la haine à l'amitié entre les Puissances qui avaient vaincu Napoléon.

Les concessions ne servent qu'entre États enclins à la conciliation. Elles sont vaines pour arrêter l'esprit de domination; loin de l'arrêter, elles l'excitent et le développent. C'est pourquoi, attentive aux traditions du passé qui expliquent souvent et aident toujours à comprendre les actes, les préjugés et les passions du présent, la diplomatie de modération doit exercer sa perspicacité pour juger de la confiance qu'elle peut accorder ou des précautions qu'elle doit prendre. Elle doit prévoir, elle doit préparer par des combinaisons, que l'on dénomme à tort combinaisons d'équilibre, l'union des forces nécessaires pour prévenir ou arrêter les excès de la force. Ce n'est pas d'équilibre, en effet, qu'il s'agit, mais de supériorité des forces pacifiques sur les forces belliqueuses.

C'est à tort qu'un préjugé aujourd'hui très répandu englobe toutes les alliances dans une réprobation sans discernement. Ce préjugé semble un effet de cette sorte de matérialisme politicojuridique qui cherche les garanties dans les mécanismes au lieu de les chercher dans l'esprit. Les alliances peuvent être également sources de guerre ou de paix selon le but qu'elles poursuivent et selon l'esprit dans lequel elles sont pratiquées. Elles peuvent être des associations de brigandage pour le dépouillement des faibles. Elles peuvent être des assurances contre les entreprises belliqueuses des puissants et des violents. La véritable formule - parce qu'elle

1. Talleyrand au comte Sebastiani, 13 juin 1831, Pallain, Correspondance diplomatique de Talleyrand, Ambassade de Talleyrand à Londres, p. 406, et Mémoires du prince de Talleyrand, t. IV, p. 219.

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ne se borne pas au mot mais s'attache à l'esprit devrait être : suppression des alliances offensives, toute latitude pour les alliances purement défensives.

IV. Les modalités de l'action diplomatique.

Si l'on envisage non plus le but mais les modalités de l'action diplomatique, on peut résumer ces modalités en trois mots : la diplomatie doit observer, protéger, négocier.

La diplomatie doit observer les faits et les tendances qui peuvent faciliter le développement des relations pacifiques ou qui risquent d'altérer les rapports entre les États. Les diplomates doivent renseigner leur gouvernement pour lui faire connaître les événements et les hommes, les idées, les passions, les intérêts qui agitent et mènent la politique des États auprès desquels ils sont accrédités. Ils doivent, d'autre part, faire connaître et faire comprendre leur pays au gouvernement auprès duquel ils sont envoyés; ils ne doivent pas oublier que, s'ils observent, ils sont observés et que de leur attitude dépend en grande partie l'opinion que le gouvernement de l'État auprès duquel ils exercent leurs fonctions se fera du pays qu'ils représentent. La clairvoyance, le sang-froid, le détachement des passions, des préjugés et des partis pris, la courtoisie et la loyauté dans les rapports sont les qualités nécessaires pour rendre l'observation juste, ample et aussi complète que possible.

C'est une erreur grave, encore qu'elle soit assez répandue aujourd'hui, que l'observation doit porter surtout sur les faits d'ordre économique, parce que ces faits domineraient actuellement toute la politique et que les hommes d'affaires sont particulièrement qualifiés, à raison de leur compétence, pour s'acquitter de cette mission.

Cette erreur semble issue, pour une large part, de l'abus de la doctrine de l'évolution. Autrefois, a-t-on dit, les questions dominantes étaient les questions politiques, les ambitions territoriales, les vues de domination, les rivalités d'amour-propre et d'orgueil; par suite des transformations survenues dans l'organisation politique et sociale par suite du développement des moyens de transport et des échanges entre les peuples, les passions qui inspiraient la politique des princes se sont évanouies; ce sont les intérêts économiques qui préoccupent désormais les nations; ce sont eux qui dominent tous leurs rapports et qui doivent, par suite, guider et dicter la conduite des gouvernements démocratiques.

C'est une double erreur d'imaginer que les questions économiques n'aient rien été dans le passé et qu'elles soient tout dans le présent. S'il est vrai qu'elles aient pris, du fait de l'accroissement des échanges, une importance plus grande, il n'est pas moins vrai qu'elles ont

toujours été des facteurs essentiels de la politique internationale. Des souverains absolus ont fait la guerre pour des raisons d'ordre économique; ce fut le cas de Louis XIV lorsqu'il fit, en 1672, la guerre à la Hollande, et c'est pour des motifs économiques que la Hollande a si longtemps veillé à la clôture de l'Escaut, afin de supprimer la concurrence d'Anvers. A l'heure actuelle comme autrefois, les problèmes d'ordre économique ne forment qu'une partie de la politique qui embrasse tout et qui domine tout. Les nations ne sont pas exemptes des passions politiques qui entraînaient souvent les princes dans des voies funestes aux autres et à eux-mêmes. L'esprit d'ambition et de domination, les susceptibilités et les rivalités d'orgueil n'ont pas été bannis, par la vertu démocratique, des conseils des gouvernements. Les passions humaines n'ont pas disparu avec la chute des trônes et Albert Sorel a pu noter, avec justesse, que les mêmes passions ont souvent revêtu plus de rudesse et plus d'âpreté en descendant dans la foule, en devenant nationales et populaires 1.

Il n'en est que plus nécessaire de ne confier les missions diplomatiques qu'à des hommes instruits des traditions politiques de leur pays et des autres, ayant des vues d'ensemble puisées dans l'étude de l'histoire, aptes à donner, dans la vaste complexité des choses et dans l'étroit enchevêtrement des formes diverses de l'activité des nations, la place qui convient à chacun des facteurs de la politique des États. L'essai de « la diplomatie sans diplomates >> a été la meilleure réhabilitation que pussent souhaiter les plus décriés des diplomates. La diplomatie ne saurait se réduire à une diplomatie d'affaires et les hommes d'affaires sont aussi mal préparés que possible à comprendre ce qu'est la diplomatie. Leur compétence n'est pas universelle mais spéciale et souvent bornée à un étroit horizon dans le très large domaine des questions économiques. Leur spécialisation les rend peu aptes à s'élever aux vues d'ensemble et à saisir l'enchaînement et la subordination des questions économiques aux questions politiques. Le risque est grand pour eux de mutiler et d'abaisser la diplomatie, en donnant à l'accessoire le pas sur l'essentiel, et à des intérêts particuliers le pas sur l'intérêt général. La diplomatie doit, au-dessus des intérêts privés comme audessus des intérêts de partis, observer tout ce qui touche les intérêts des États dans leurs rapports mutuels. C'est une tâche assez ample, assez ardue et assez difficile pour qu'elle doive se garder de s'égarer dans les chemins de traverse et les bas-fonds qui la détourneraient des grandes voies et des sommets d'où elle doit tout embrasser et tout coordonner.

1. Albert Sorel, L'Europe et la Révolution française, Introduction, t. I, p. 5 et suiv.

La diplomatie doit protéger. Elle doit protéger les intérêts de l'État et les intérêts de ses ressortissants. Elle doit veiller à l'observation des traités et veiller à l'observation des règles du droit des gens. Elle doit intervenir pour prévenir, s'il se peut, pour réparer, s'il se doit, les infractions au droit et les torts aux intérêts légitimes. Elle doit le faire avec tact et souplesse, en variant ses procédés selon l'humeur de ceux à qui elle s'adresse, en préférant, s'il est possible, les suggestions discrètes aux protestations vigoureuses, en recourant, s'il est besoin, à des réclamations fermement présentées. Elle doit être convaincue que c'est une force d'avoir raison. Elle doit faire valoir cette force; elle le fera avec d'autant plus de chances de succès qu'elle aura acquis une autorité plus grande par la droiture de ses procédés et par la dignité de son attitude.

La diplomatie doit négocier. Elle négocie sur les objets les plus variés et pour les motifs les plus divers, tantôt pour prévenir des conflits, tantôt pour les apaiser, tantôt pour régler le passé, tantôt pour pourvoir à l'avenir. Elle négocie les traités et c'est ce genre de négociation qui attire surtout les regards sur son action. Son éclat éclipse et fait souvent oublier les négociations inaperçues grâce auxquelles se maintiennent les bons rapports et se résolvent les difficultés.

Les négociations diplomatiques sont le mode normal de solution des conflits qui s'élèvent entre États et l'on peut dire qu'il n'est point de conflit, de quelque ordre et de quelque importance qu'il soit, qui ne puisse être résolu par les négociations diplomatiques entre les États en litige, si ces États sont animés de dispositions conciliantes et si les négociations sont habilement conduites de part et d'autre.

L'esprit de conciliation chez les États en litige est la condition indispensable de toute solution pacifique des conflits internationaux. Mais cette condition nécessaire ne suffit pas. Les intentions conciliantes peuvent être desservies par les fautes ou les maladresses des négociateurs; elles peuvent être paralysées par la timidité d'un ministre ou d'un gouvernement qui craignent de se compromettre devant leur Parlement ou devant l'opinion de leur pays, en prenant la responsabilité de solutions qu'ils jugent acceptables et désirables.

C'est une des faiblesses du régime démocratique que la crainte des responsabilités devant les Assemblées ou le corps électoral insuffisamment instruits de ce dont ils sont appelés à juger. Et c'est une des raisons qui ont accru l'importance des modes de solution indirectes des conflits internationaux : médiation, commissions internationales ou procédure internationale d'enquête, arbitrage, recours au Conseil de la Société des Nations ou à la Cour permanente de justice internationale.

Mais alors, même que l'échec, acquis ou éventuel, des négociations diplomatiques entre États en conflit conduit les États de bonne volonté à user de moyens indirects de solution pacifique, la diplomatie a encore à jouer son rôle et à négocier. S'il s'agit de médiation, les négociations se poursuivent entre médiateurs et Puissances en litige; s'il s'agit de constituer arbitres ou commissions internationale d'enquête, c'est entre diplomates des États en litige eux-mêmes que se poursuivent les négociations pour conclure l'accord nécessaire, pour donner existence et pouvoirs à un tribunal arbitral ou à une commission d'enquête. Ce n'est que dans le cas où, en vertu d'une clause ou convention antérieures, un des États en litige a le droit de saisir, directement et sans assentiment de l'autre, un Conseil ou une juridiction déterminés à l'avance, que l'action de la diplomatie devient inutile pour assurer le recours à un mode de solution indirect. Son action devient alors inutile, car elle a été supplée à l'avance par l'accord antérieur qui la rend superflue.

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