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l'infraction commise ou la gravité des circonstances l'exigent, l'État lésé peut, indépendamment de ses réclamations et sans en attendre les résultats, prendre d'urgence les mesures de précaution qui s'imposent pour mettre fin à un scandale ou prévenir une action dangereuse pour sa sécurité. Il peut remettre à l'agent coupable ses passe-ports, ce qui met fin à la mission de celui-ci en l'invitant à quitter le pays; il peut même, s'il est nécessaire, ordonner l'expulsion de l'agent et le faire conduire à la frontière. L'immunité de juridiction subsiste, mais le privilège d'inviolabilité disparaît. Et le maintien de la première, la suppression du second indiquent bien que les mesures de contrainte n'ont point pour raison le grave manquement de l'agent aux devoirs les plus élémentaires de sa charge, mais la nécessité pour l'État de se défenare contre le péril qui pourrait résulter pour lui de la présence et de la liberté d'action d'un diplomate qui agit en criminel ou en ennemi.

Comme l'immunité de juridiction en matière pénale est fondée non sur l'intérêt des agents diplomatiques, mais sur l'intérêt de l'État dont ils relèvent, cet État pourrait renoncer à cette immunité, en autorisant l'État qui se plaint à juger lui-même l'agent coupable. En fait, les États ne pratiquent point cette renonciation.

L'immunité de juridiction en matière civile n'a pas un caractère aussi absolu que l'immunité de juridiction en matière pénale. Elle couvre tous les actes qui sont les conséquences nécessaires ou simplement naturelles de la mission des agents diplomatiques; elle ne couvre point les actes qui ne peuvent, d'aucune manière, se rattacher à cette mission, qui n'ont pas été accomplis à cause d'elle mais en dehors d'elle, et malgré elle. Ainsi l'agent diplomatique ne peut pas être traduit devant les tribunaux locaux à raison des contrats passés pour subvenir aux besoins de son existence durant sa mission, mais il peut être assigné à raison de contrats passés concernant un immeuble dont il serait propriétaire dans le pays où il exerce ses fonctions, ou à raison d'actes de commerce faits par lui, parce que la qualité de propriétaire d'immeubles est absolument étrangère à ses fonctions et que les actes de commerce ne le sont pas moins.

L'immunité de juridiction, en matière civile comme en matière pénale, est indispensable en ce qui concerne les actes commis dans l'exercice et pour l'exercice des fonctions. Une note officielle, considérée comme diffamatoire, publiée par un agent diplomatique, ne pourrait pas plus donner lieu à une action en dommages-intérêts qu'à des poursuites pénales, parce que le principe de souveraineté et d'égalité des États s'oppose, aussi bien que la nécessité de l'indépendance des agents diplomatiques, à ce que l'État auprès duquel l'agent est accrédité s'érige en juge des actes de l'État qui a envoyé celui-ci. La même nécessité n'existe pas en ce qui concerne les

actes personnels des agents, qui se rattachent simplement à l'exercice de leurs fonctions sans être des actes de leurs fonctions mêmes, tels que les contrats relatifs à la fourniture des objets dont ils ont besoin pour vivre. Ce ne serait pas juger les actes de l'État étranger que juger les actes personnels de ses agents, et la menace pour la liberté des agents qu'entraînait autrefois l'éventualité de l'emprisonnement pour dettes a disparu avec la contrainte par corps.

C'est pourquoi diverses propositions ont été faites en vue de restreindre l'étendue de l'immunité de juridiction en matière civile. Ces propositions n'ont point ébranlé jusqu'ici les anciennes coutumes et de sérieux motifs justifient la conservation des anciennes règles. Si le respect de la souveraineté et de l'égalité des États n'exigent strictement l'immunité de juridiction que pour les actes qui ont le caractère d'actes d'État, soit qu'ils aient été accomplis par ordre, soit qu'ils aient été faits spontanément dans la limite des attributions des agents, il convient de tenir compte, en ce qui concerne les agents diplomatiques, de leur caractère de représentants ou d'assistants de représentants d'États étrangers, pour tous les actes qui se rattachent à l'accomplissement de leur mission. La distinction admise entre les actes commis à raison de leur mission et les actes absolument étrangers à cette mission est claire; la ligne de démarcation est aisée à établir. L'immunité de juridiction ne couvre pas l'agent diplomatique qui est propriétaire d'immeubles dans le pays où il exerce ses fonctions ou qui s'y livrerait à des actes de commerce, parce que la qualité de propriétaire foncier est tout à fait étrangère à leur mission et que les opérations commerciales sont peu compatibles avec celle-ci. La distinction serait parfois moins facile entre les actes de la fonction et les actes connexes à la fonction. Dans les cas douteux, ce n'est pas aux tribunaux locaux mais à l'État de qui l'agent relève, qu'il appartiendrait de tracer la ligne de démarcation. Il vaut mieux, sans doute, donner à l'immunité un caractère général que d'ouvrir la porte à des contestations qui permettraient à l'État étranger, d'arrêter à son gré, les poursuites. Si l'immunité de juridiction peut donner lieu à quelques abus de la part de diplomates indélicats, ces abus sont rares et il y peut être porté remède. Il est évidemment dérisoire, pour un fournisseur impayé, d'intenter une action en justice devant les tribunaux d'un pays lointain, mais des plaintes fondées auprès du ministère des Affaires étrangères dans le pays où l'agent incriminé exerce ses fonctions peuvent et doivent donner lieu à réclamation par la voie diplomatique et, le cas échéant, à la remise des passeports à l'agent qui refuse de payer ses dettes.

En outre, l'immunité de juridiction, en matière civile comme en matière pénale, étant établie dans l'intérêt de l'État et non dans celui de l'agent, l'État dont l'agent est incriminé peut toujours

renoncer à l'immunité et autoriser les tribunaux locaux à juger. La renonciation à l'immunité de juridiction en matière civile n'est pas rare en fait. En droit, elle ne peut provenir que de l'État dont relève l'agent. En fait, elle est opérée par l'agent lui-même qui est présumé le faire sur l'ordre ou avec l'assentiment de l'État dont il relève. Elle peut être expresse et formelle ou tacite et implicite.

Pendant longtemps, le droit pour le chef de mission d'avoir une chapelle dans l'hôtel de la légation et le droit pour tous les agents diplomatiques de pratiquer leur religion a été compté parmi les privilèges essentiels des agents diplomatiques. Le droit de chapelle subsiste; il est d'ailleurs, à certains égards, une conséquence naturelle de la franchise d'hôtel. Mais il a perdu beaucoup de son importance dans la plupart des pays, par suite du développement de le liberté des cultes.

Les privilèges et immunités de pure courtoisie, qui ne sont point indispensables consistent surtout dans l'exemption de certains impôts, notamment des impôts qui ont un caractère personnel.

Les privilèges et immunités diplomatiques ne couvrent pas seulement les chefs de mission; elles s'étendent à tout le personnel officiel des ambassades et légations: conseillers, secrétaires, attachés militaires, navals et commerciaux; ils s'étendent même aux membres de la famille des agents qui en jouissent. Cette extension se justifie par la raison que l'indépendance des agents ne serait pas complète si les membres de leur famille étaient exposés aux contraintes, poursuites ou molestations dont ils sont eux-mêmes exempts.

III. Le rôle de la diplomatie.

La diplomatie, au sens large du mot, comprend non seuleinent l'action particulière et technique des agents diplomatiques proprement dits, mais l'action du ministre des Affaires étrangères, du chef de l'État et des autres personnes qui la dirigent ou lui prêtent leur concours. La diplomatie a la charge de toutes les relations extérieures, de toute la politique extérieure des États. Elle a un rôle d'une grandeur et d'une importance incomparables. Elle agit dans le cadre du droit des gens mais elle peut le déborder et le rompre. Elle exerce une influence considérable et souvent décisive sur la formation, le développement, les progrès et les reculs, sur l'exécution ou sur la violation du droit des gens. Elle est bienfaisante ou malfaisante selon les principes dont elle s'inspire et selon la manière, habile ou maladroite, dont elle applique les principes. Elle exerce une action beaucoup plus politique que juridique, parce qu'elle doit régler, avant tout, les questions politiques et parce que la

politique domine le droit positif dont les règles fragiles et changeantes, lorsqu'elles heurtent les intérêts puissants et les passions violentes, n'ont d'assises solides que dans l'assentiment général des États convaincus de leur justice et de leur utilité. Le droit positif, qui devrait toujours s'inspirer de la justice et traduire le droit naturel en action, n'est souvent qu'un compromis entre des forces contraires et variables, et ce compromis n'a de garanties que dans la fidélité aux engagements souscrits ou dans le maintien de l'équilibre des forces qui l'ont dicté. La politique peut se mouvoir dans le cadre du droit positif, pour régler les cas particuliers que ce droit, impuissant à tout prévoir et tout décider, laisse à son action quotidienne; mais elle ne se fait point scrupule de poursuivre ses desseins à l'encontre du droit, quand elle se croit assez forte pour abattre les fragiles barrières que le droit positif a dressées pour limiter les abus de la force. La diplomatie, parce qu'elle est un instrument politique, peut servir le droit, s'en servir ou le briser.

avec le

« Le droit des gens, a écrit Montesquieu, est naturellement fondé sur ce principe que les diverses nations doivent se faire dans la paix le plus de bien et dans la guerre le moins de mal qu'il est possible, sans nuire à leurs véritables intérêts 1. » Cette formule, très claire et très haute, traduit, sous une forme plus précise et plus élégante, la même idée qui est exprimée, en termes plus vagues, dans le pacte de la Société des Nations, dont le préambule fait appel à la coopération des Nations et donne cette coopération comme le but maintien de la paix — de la nouvelle organisation internationale. La diplomatie devrait s'inspirer du principe sur lequel Montesquieu entend fonder le droit des gens et sur lequel il entendait, sans doute, à plus juste titre encore, fonder les relations internationales et la politique extérieure des États. La diplomatie est loin d'avoir toujours suivi ce principe; elle est loin d'en être actuellement pénétrée.

La Bruyère a tracé, dans ses Caractères 2, un portrait du diplomate, dont les traits vigoureux, acérés et amers trahissent, dans leur réalisme peut-être quelque peu outré, une conception de la diplomatie diamétralement opposée à celle de Montesquieu.

« Le ministre ou le plénipotentiaire, dit-il, est un caméléon, est un protée; semblable quelquefois à un joueur habile, il ne montre ni humeur ni complexion; soit pour ne point donner lieu aux conjectures, ou se laisser pénétrer, soit pour ne rien laisser échapper de son secret par passion ou par faiblesse. Quelquefois aussi, il sait feindre le caractère le plus conforme aux vues qu'il a, et aux

1. Esprit des lois, livre I, chapitre III.

2. Les Caractères ou mœurs de ce siècle, Édition Garnier, p. 196 et suiv., au chapitre du Souverain ou de la République.

I.

1924.

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besoins où il se trouve, et paraître tel qu'il a intérêt que les autres croient qu'il est en effet. Ainsi, dans une grande puissance, ou dans une grande faiblesse qu'il veut dissimuler, il est ferme et inflexible, pour ôter l'envie de beaucoup obtenir; ou il est facile, pour fournir aux autres les occasions de lui demander, et se donner la même licence. Une autre fois, ou il est profond et dissimulé, pour cacher une vérité en l'annonçant, parce qu'il lui importe qu'il l'ait dite et qu'elle ne soit pas crue, ou il est ferme et ouvert, afin que, lorsqu'il dissimule ce qui ne doit pas être su, l'on croie néanmoins qu'on n'ignore rien de ce que l'on veut savoir, et que l'on se persuade qu'il a tout dit.... Il sait parler en termes clairs et formels; il sait encore mieux parler anbigument, d'une manière enveloppée, user de tours ou de mots équivoques, qu'il peut faire valoir ou diminuer dans les occasins et selon ses intérêts. Il demande peu quand il ne veut pas donner beaucoup. Il demande beaucoup pour avoir peu, et l'avoir plus sûrement. Il exige d'abord de petites choses, qu'il prétend ensuite lui devoir être comptées pour rien et qui ne l'excluent pas d'en demander une plus grande; il évite, au contraire, de commencer par obtenir un point important, s'il l'empêche d'en gagner plusieurs autres de moindre conséquence, mais qui, tous ensemble, l'emportent sur le premier. Il demande trop pour être refusé, mais dans le dessein de se faire un droit ou une bienséance de refuser lui-même ce qu'il sait bien qui lui sera demandé, et qu'il ne veut pas octroyer: aussi soigneux alors d'exagérer l'énormité de la demande, et de faire convenir, s'il le peut, des raisons qu'il a de n'y pas entendre, que d'affaiblir celles qu'on prétend avoir de ne lui pas accorder ce qu'il sollicite avec instance; également appliqué à faire sonner haut et à grossir dans l'idée des autres le peu qu'il offre et à mépriser ouvertement le peu que l'on consent à lui donner.... Il ne parle que de paix, que d'alliance, que de tranquillité publique, que d'intérêt public, et, en effet, il ne songe qu'aux siens, c'est-à-dire à ceux de son maître et de sa république.... Il va jusqu'à feindre un intérêt secret à la rupture de la négociation, lorsqu'il désire le plus ardemment qu'elle soit continuée; et, si, au contraire, il a des ordres précis de faire les derniers efforts pour la rompre il croit devoir, pour y réussir, en presser la continuation et la fin. Il prend conseil du temps, du lieu, des occasions, de sa puissance ou de sa faiblesse, du génie des nations avec qui il traite, du tempérament et du caractère des personnes avec qui il négocie; toutes ses vues, toutes ses maximes, tous les raffinements de sa politique tendent à une seule fin, qui est de n'être point trompé et de tromper les autres. >>

La Bruyère a peint des diplomates de son temps et de tous les temps; il a décrit les procédés contre lesquels les diplomates doivent se mettre en garde pour n'en être point dupes de la part de leurs

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