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les uns et les autres sont des belligérants et c'est assez! Si l'on se souvient que Christian de Wolff 1 soutenait que tout État est tenu de porter secours à tout autre qui combat pour une juste cause, et qu'aucun État, dont la guerre est injuste, ne deyrait trouver assistance, on voit le changement dans les idées qui s'est accompli depuis le xvIIIe siècle. Notre regretté Henri Lammasch a dit très justement que la conception que l'on se faisait alors des droits et des devoirs des neutres était celle qui correspondait le plus parfaitement à l'éthique. Nous avons vu que Grotius avait déjà soutenu les mêmes idées. Grotius voit dans la guerre un crime, le crime du pays qui la déchaîne, et un châtiment exécuté par le pays qui use de la force pour mettre à la raison l'État criminel. L'État qui est en dehors du différend doit aussi, selon Grotius, participer à l'exécution du châtiment, même quand cela lui coûte des sacrifices. S'il est dans l'impossibilité d'y prendre parti, il doit en tout cas favoriser le justicier, jamais le criminel. C'est à la doctrine du Moyen Age que nous devons cette conception.

Si nous laissons de côté les difficultés pratiques, ce point de vue moral d'autrefois était en tout cas le plus élevé. Il cherchait encore à répondre aux idées de la justice.

Étant donné toutes ces constatations, nous ne devons pas rougir vraiment de nous rappeler les idées du droit international d'autrefois et d'y recourir, le cas échéant, dans nos efforts pour développer le droit international.

A vrai dire, le droit des gens se trouve encore au commencement de son développement. On pourrait très bien fixer le point de départ de ce nouveau droit des gens vers le milieu du XIXe siècle, depuis que le monde a reconnu les principes fondamentaux sur lesquels ce nouveau droit est établi. Les Conférences de la paix de la Haye et la Société des Nations ont été les premières tentatives pour l'établir solidement dans le monde des États. Quelle que soit donc l'ancienneté de ce droit en général, son développement essentiel dans les États modernes ne fait que commencer. On est dès lors justifié de poser la question fondamentale de savoir si les principes de ce droit sont du point de vue moral vraiment solides, ou s'ils nécessitent une revision complète, parce que le développement se trouve être en mauvaise voie. Assurément le droit des gens contemporain se présente comme un progrès imposant. Toutefois ce progrès doit aussi satisfaire aux exigences fondamentales de la morale, si l'on ne veut pas orienter le développement du droit international dans une fausse direction, si l'on ne veut pas qu'à la place d'une croissante prédominance de l'idée du droit dans la vie internationale, l'égoïsme des États garde, après comme avant, la haute main sur les relations entre les peuples.

1. Christian von Wolff, Jus gentium methodo scientifica partractatum, 1749.

Étant donné cette situation, nous nous trouvons en face de la question capitale sur quelles bases et dans quelles directions le dévelopement futur du droit des gens doit-il s'accomplir? L'histoire nous enseigne qu'il a besoin d'une base morale plus forte. Mais elle nous apprend encore une autre chose qu'il a besoin d'une forme extérieure qui lui donne la force nécessaire pour pouvoir se faire valoir dans la vie des États. Et voilà ce qui nous mène au second grand problème que l'histoire nous a laissé le soin de résoudre, le problème de l'organisation internationale. Ces deux problèmes, le problème moral et le problème de l'organisation, ont un lien étroit car ils se conditionnent l'un l'autre.

Nous avons comparé plus haut la Haye et Genève. La Haye représente le système de la liberté, qui ne peut reposer que sur la confiance mutuelle. Genève représente le système de l'organisation, il suppose une certaine contrainte qui remplace la confiance absente. Telles sont les deux possibilités devant lesquelles se trouve placé le développement futur du droit des gens. États et peuples se trouvent en quelque sorte au carrefour et doivent se décider pour l'un ou l'autre de ces systèmes.

Il est clair que le système de la liberté suppose un état moral plus élevé. Si une atmosphère de confiance réciproque règne, si le niveau moral du droit des gens est élevé, il n'y a pas de doute alors qu'il n'y a pas besoin d'une organisation internationale. Mais si, à l'inverse, la confiance réciproque fait défaut, si le niveau moral du monde et aussi du droit international ne se trouve pas à la hauteur où on souhaiterait le trouver, la solution du problème de l'organisation internationale paraît alors d'autant plus nécessaire.

De ces deux situations, quelle est celle qui existe aujourd'hui? Les qualités morales du droit des gens, en vigueur aujourd'hui, ne sont pas particulièrement grandes. Mais où est la confiance mutuelle? La confiance règne-t-elle entre les États, entre les gouvernements et les peuples?

Il n'est malheureusement pas difficile de répondre à cette question. On ne peut parler aujourd'hui de confiance dans les relations entre les États; il est donc impossible de fonder aujourd'hui le droit des gens sur la confiance. En politique assurément elle ne règne pas, il n'y a pas lieu de perdre du temps à le démontrer. Pour que cette confiance renaisse, la politique contemporaine devrait d'abord changer complètement de caractère : une politique de solidarité devrait succéder à la politique de rivalité. Les États devraient prendre conscience de leurs devoirs vis-à-vis de la communauté internationale. Peut-on, après tout ce que la guerre a apporté d'infractions au droit des gens, s'attendre véritablement à une pareille attitude des États? Il est permis d'en douter. Des hommes d'État ont affirmé encore, il y a quelques mois, que l'État a le droit d'agir

contre le droit. Il s'est trouvé même des représentants de la science qui ont tenté de justifier une pareille théorie. Aussi longtemps que des hommes d'État professeront de pareilles idées et chercheront à les faire passer dans la pratique, la confiance ne saurait régner dans la politique internationale et le droit des gens manquera de cette base que la confiance pourrait créer pour son développement.

La confiance ne manque du reste pas seulement entre les gouvernements; elle fait aussi défaut aux peuples. Les expériences de la dernière guerre nous ont appris combien les peuples acceptent aveuglément tout ce qu'on leur sert sous le nom de vérité, au moyen d'une presse et d'une propagande sans conscience. J'ai déjà parlé de ce regrettable travers au début de cette étude. Le problème de la psychologie des peuples, de la suggestion des masses est un des plus importants à résoudre aujourd'hui; car aussi longtemps qu'il demeurera sans solution, la confiance entre les peuples fera défaut. Dans les écrits de Le Bon, Christensen, Friedländer, Gauss et d'autres 1 encore, il a été question, déjà avant la guerre, de ce malheureux état de fait. Depuis la guerre la situation est devenue bien pire.

Mais comment une amélioration pourra-t-elle jamais se produire? Par quel moyen peut-on espérer créer entre les peuples et les gouvernements une atmosphère de confiance? La seule réponse à faire à cette question, c'est qu'il est besoin pour les peuples et pour leurs gouvernants d'une éducation, qui ne saurait donner des fruits pendant une seule génération, mais qui a besoin de plusieurs générations pour atteindre un résultat. La vraie confiance ne sera rétablie ni maintenant, ni dans la prochaine génération probablement; il faudra plusieurs générations pour la voir renaître entre les peuples et les États. Une confiance ne peut s'imposer que peu à peu, elle veut être acquise, elle a besoin de trouver une base dans les sentiments, dans la mentalité des individus et des hommes d'État.

L'état moral d'après guerre ne sera pas si vite surmonté. Il était à prévoir que les conséquences morales de la guerre seraient surtout difficiles à vaincre. Le problème psychologique est de tous les problèmes d'après guerre le plus important; mais il est aussi celui dont la solution demande le plus de temps. C'est seulement quand les hommes d'État et les peuples auront partout reconnu que le droit des gens est inséparable des exigences de la morale et de la justice, que la confiance nécessaire reviendra.

Pour le moment, il n'y a donc pas à compter sur une atmosphère de confiance. Mais peut-on et doit-on retarder la consolidation de la

1. Voir surtout Christensen, Politik und Massenmoral, 1912; Le Bon, Psychologie des foules, Psychologie politique, 1912; Enseignements psychologiques de la guerre européenne, 1916; Friedländer, Die Bedeutung der Suggestion im Völkerleben, 1913; Gauss, Wahn ùnd Irrtum im Leben der Völker, 1916; Nicolai, Die Biologie des Krieges, 1917.

paix jusqu'au rétablissement de cette confiance? Certainement non Car alors le monde irait assurément au-devant de nouvelles guerres. L'affermissement de la paix ne doit pas être différé et c'est pourquoi l'autre problème, le problème de l'organisation internationale, réclame une solution immédiate.

Cette nécessité, du reste, ne nous est pas seulement affirmée par la faiblesse de la morale chez les peuples à l'heure présente et par le fait du manque de confiance. L'histoire nous montre aussi cette nécessité. Regardons les siècles passés, nous verrons que tous les grands projets de l'histoire qui visaient à un renforcement du droit des gens et au raffermissement de la paix, ont proposé dans ce but une grande organisation.

Considérons le Moyen Age et la période du début de xive siècle, au temps où Philippe le Bel et Albrecht d'Autriche luttaient contre le pape Boniface VIII, époque où tous combattaient contre tous, oì régnait une politique qui a perdu toute importance pour notre temps et n'appartient plus qu'à l'histoire. En ce temps-là, Pierre Dubois écrivait son livre De recuperatione terre sancte1 par lequel il voulait créer un règlement de la paix pour l'Europe.

Un Concile général doit être réuni, ayant pour tâche de fonder la paix. Ce Concile devra prévoir un traité d'arbitrage d'après lequel devront être écartés tous litiges entre les princes souverains par une Cour permanente d'arbitrage.

Le traité d'arbitrage sera confirmé par un serment de paix. En cas de conflit, chaque partie élira trois juges ecclésiastiques et trois juges laïques et le collège ainsi formé décidera de l'affaire par sa sentence. La procédure est réglée dans le détail. Si une partie ne se conforme pas à la sentence, ou se soustrait à l'arbitrage, ou envahit le territoire de son adversaire, une exécution est dirigée contre elle par tous les autres membres du Concile.

Ne se sent-on pas, à cette lecture, transporté au temps des Conférences de la Haye et de la Société des Nations? Et pourtant l'œuvre de Dubois a été publiée en l'an 1300, il y a plus de six cents ans. Ce penseur était donc de six cents ans en avance sur son siècle et ses idées, non seulement sont encore intéressantes de nos jours, mais même provoquent encore l'intérêt général. D'un œil prophétique, Dubois a saisi un problème qui n'a été reconnu dans sa pleine importance que six cents années plus tard et qui aujourd'hui et dans l'avenir joue et jouera le rôle le plus considérable dans la vie internationale. Qu'est-ce donc qui possède la plus grande valeur pour l'avenir, les luttes de la haute politique ou les ouvrages des grands penseurs de l'humanité? L'ouvrage de Dubois est la preuve la plus

1. Pierre Dubois, De recuperatione terre sancte, 1305-1307. Voir sur Dubois surtout les livres de Langlois, Scholz, Schücking, Redslob, Meyer, etc...

éclatante de ce fait que nous pouvons tirer des œuvres des grands penseurs, de la doctrine, plus de ressources pour le développement du droit des gens que des luttes politiques des hommes d'État. Oui, certes la force des idées est plus grande que toute autre, plus grande même que la force des canons 1.

Le projet de Dubois est pour nous un enseignement dont on n'a pas besoin de souligner l'importance, puisqu'il demeure encore aujourd'hui un modèle pour le droit international el pour la Société des Nations. Mais ce qui nous y intéresse encore spécialement, c'est le fait que Dubois réclame déjà une organisation pour fortifier le droit des gens.

Il faut souligner ce fait, parce que nous le retrouverons toujours dans tous les grands projets depuis le xive siècle jusqu'à nos jours. Il n'est pas dans l'histoire de grand projet, consacré au problème de la création d'un état durable de droit et de Paix, où ne se retrouve la pensée de Dubois qu'une grande organisation est nécessaire pour cela. On ne peut, si l'on veut consulter l'histoire, arriver à aucun autre résultat que le suivant : sans une solide organisation du monde des États, le problème du droit des gens et de la paix ne saurait recevoir de solution. L'idée d'une organisation a dans tous les siècles accompagné l'humanité et l'accompagnera toujours, jusqu'au jour où elle se trouvera pleinement réalisée.

Nous ne pouvons nous occuper ici de tous les grands projets pour la paix que nous rencontrons au cours de l'histoire de l'humanité. Il suffira d'illustrer l'exactitude de notre observation par quelques courts exemples.

Au Moyen Age finissant nous devons encore un autre grand plan d'organisation en 1460 Georges de Podiebrad 2, roi de Bohême, projetait une ligue perpétuelle de la chrétienté. La paix générale dans l'Occident lui apparaissait comme la condition indispensable pour s'opposer à l'avance des Turcs. Dans ce but, on devait établir une Constitution des peuples d'Europe. Tout litige parmi les membres de la ligue devait être tranché par une cour d'arbitrage. Lorsqu'un membre était attaqué par un souverain étranger, la ligue envoyait des ambassadeurs pour écarter le conflit; au cas d'échec, la ligue devait prendre parti pour le membre attaqué et lui prêter secours. Même quand des puissances non affiliées à la ligue entraient en conflit, la ligue devait s'efforcer de conserver la

1. Cela prouve une fois de plus combien Oppenheim, op. cit., p. 80, a raison quand il écrit que la tâche de l'histoire, ce n'est pas seulement de montrer comment les choses se sont passées autrefois, mais aussi de tirer des conclusions morales de ce qui est arrivé.

2. Traité d'alliance et Confédération entre le rol Louis XI, George, roi de Bohême et la seigneurie de Venise, 1460. L'auteur est Antoine Marini. Voir les livres de Schwitzky, Resdlob, Schücking, Prutz.

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