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XIV

DE LA LIBERTÉ DE NAVIGATION

SUR LES FLEUVES, RIVIÈRES ET CANAUX APPARTENANT A UN SEUL ÉTAT.

En discutant au point de vue théorique le principe de l'affranchissement des fleuves possédés en commun par plusieurs puissances, j'ai incidemment émis l'opinion que les fleuves dépendant d'une seule et même souveraineté devraient également s'ouvrir à la marine universelle et partager la liberté des mers auxquelles ils s'associent par leur embouchure. La logique, le droit naturel, l'utilité publique, les tendances générales justifieraient sans doute cette assimilation.

Il est permis, je pense, d'ajouter à ces raisons d'un ordre plutôt moral que pratique, un dernier argument basé sur les intérêts matériels que la navigation est plus particulièrement appelée à satisfaire.

Que les grands cours d'eau n'aient plus leur an

tique importance, qu'ils ne soient plus, sur l'ancien continent du moins, ce qu'étaient le Gange, le Tigre et l'Euphrate pour les tribus asiatiques, ou le Nil inférieur pour les Égyptiens, leur rôle n'en est pas moins resté essentiel dans l'œuvre que la Providence a assigné à l'humanité. L'homme, sans doute, n'est plus esclave de la nature et il se crée des routes nouvelles plus courtes et plus sûres; mais l'expérience démontre que les chemins artificiels, si perfectionnés qu'ils soient, ne pourront jamais remplacer les courants naturels comme agents mis au service de l'activité sociale dans le domaine de la production et des échanges, c'est-à-dire comme auxiliaires de l'agriculture, du commerce et de l'industrie.

Si par l'usage de la vapeur, ils offrent les avantages de la célérité aux personnes et aux choses susceptibles de payer des frais élevés de traction, la navigation, lorsque le privilège ou toute autre restriction n'en entrave point l'essor, facilite la circulation économique des éléments du travail, c'està-dire des matières premières qui ne peuvent être déplacées qu'à prix réduit et que tout tarif doit nécessairement épargner.

Cette propriété particulière tient à deux causes principales qu'il est à peine besoin de relever. Les transports qui s'effectuent par une voie ferrée ne peuvent dépasser un certain maximum proportionné au matériel roulant que cette voie comporte; unc telle limite existe à peine sur les fleuves, les rivières et les canaux.

D'un autre côté, le coût des instruments de trafic est de beaucoup plus considérable sur les railways que sur les courants intérieurs (1).

La navigation a même le bénéfice de la vitesse, lorsqu'il s'agit de mettre en mouvement de grandes masses encombrantes. Ce qu'un chemin de fer n'expédie qu'en quatre ou cinq jours, un remorqueur de 60 à 80 chevaux le conduit à destination en trois jours.

A ces divers points de vue, les artères navigables contribuent plus efficacement que les réseaux terrestres au développement de la richesse et de la puissance publiques, et lors même que l'on mettrait en doute leur supériorité relative, la plus simple prévoyance conseillerait d'en favoriser l'exploitation et l'extension pour former un utile contrepoids à l'influence exclusive des chemins de fer dont les prix sont généralement excessifs et qui jouissent dans leur administration d'une redoutable autonomie.

La plus large concurrence serait évidemment, pour les transports par eau, le meilleur gage d'une activité féconde et cette condition ne saurait être mieux remplie que par l'application à toutes les voies navigables du régime libéral consacré par

(1) On a cherché à s'en rendre compte d'une manière approximative en prenant pour terme de comparaison le déplacement sur un certain parcours de 100 000 kilogrammes de marchandises et l'on est arrivé à reconnaître que ce qui revient à un million dans le premier cas, dépasse à peine 100 000 francs dans le second.

le droit public sur les courants internationaux.

L'on n'excepterait pas de cet affranchissement les simples rivières et éventuellement les canaux, dont la fréquentation rentre aussi bien que celle des fleuves proprement dits dans le cas « d'innocente utilité » et dont chacun peut profiter sans qu'il en résulte pour autrui dommage ou privation.

Déjà plus d'une convention assimile les sujets de certains pays étrangers aux indigènes sur des fleuves, rivières et canaux compris dans les limites d'un seul territoire (1). Cette égalité de traitement, il est vrai, repose sur un échange mutuel d'avantages déterminés et elle n'a point encore le caractère d'une acquisition indépendante d'engagements contractuels. Mais « les principes vaincront le particularisme (2) » et le temps n'est sans doute pas loin où un gouvernement ne se croira pas plus autorisé à fermer aux étrangers l'entrée de ses fleuves, rivières et canaux, qu'à leur interdire l'accès de ses routes terrestres.

Je conclus par ce dernier article, dont la formule est empruntée à la rédaction de l'article 5 du traité de Paris de 1814:

« Il sera examiné et décidé de quelle manière,

(1) Convention austro-bavaroise du 2 décembre 1851.- Convention austro-prussienne du 19 février 1853. - Constitution du Zollverein. Convention austro-italienne du 27 décembre 1878, etc.

(2) Heffter, Droit intern. europ.

pour faciliter les communications entre les peuples et les rendre de moins en moins étrangers les uns aux autres », l'on pourrait étendre aux fleuves, rivières et canaux n'appartenant qu'à un seul État le régime de liberté de navigation applicable aux fleuves internationaux.

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