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CHAPITRE VIII.

PROPRIÉTÉ.

La loi turque, basée sur le Koran, n'attribue qu'à Dieu la propriété absolue du sol : les hommes en sont les possesseurs, les détenteurs, les usufruitiers. L'État, étant considéré comme représentant Dieu sur la terre, se trouve, à ce titre, propriétaire du sol, dont il accorde la jouissance à certaines conditions, sans aliéner un droit de propriété découlant d'un principe supérieur.

«< A Dieu appartient tout ce qui est dans les cieux et <«< sur la terre. Un culte perpétuel lui est dù. Craignez<«<< vous un autre que Dieu ?

<< Tous les biens dont vous jouissez viennent de lui. « Qu'un malheur vous atteigne, c'est à lui que vous adres<< sez vos supplications (1). :

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« L'empire des cieux et de la terre appartient à Dieu; <«< il donne la vie et la mort; hors de lui il n'y a ni patron << ni protecteur (2). »

Ce principe, qui semble incompatible avec le droit de propriété tel que nous le comprenons, n'est pas inflexible:

55.

(1) Koran, traduction de M. Kasimirski, chap. XVI, l'Abeille, v. 54,

(2) Koran, chap. IX. L'Immunité ou le Repentir, v. 117.

il admet les interprétations, sans violer le pacte religieux,

la loi sacrée de l'Islam.

Le hatti-humayoun du 17 février 1856 le prouve.
L'art. 17 porte:

<< Comme les lois qui régissent l'achat, la vente et la disposition des propriétés immobilières, sont commu«nes à tous les sujets de mon empire, il pourra être per<< mis aux étrangers de posséder des propriétés foncières << dans mes États, en se conformant aux lois et aux rè<< glements de police, en acquittant les mêmes charges << que les indigènes, et après que des arrangements au«ront eu lieu avec les puissances étrangères.»

Cet article est clair et précis: il définit le droit de propriété; il établit, sans qu'il soit nécessaire d'autre démonstration, que les indigènes et les étrangers peuvent posséder, à la condition de se conformer aux lois et d'acquitter les charges envers l'État. La fiction religieuse s'efface possession et propriété deviennent synonymes.

Voilà le principe actuel, la règle unique : les distinctions de races, de religions, de nationalités, disparaissent et sont remplacées par l'égalité des droits et des charges.

Voyons maintenant ce qu'a été la propriété depuis que la domination musulmane existe, ce qu'elle est aujourd'hui, et ce qui s'oppose à l'application de l'art. 17 du hatti-humayoun.

A l'époque de la conquête, le territoire fut divisé en trois parties.

La première fut concédée aux mosquées.

« Sachez que lorsque vous avez fait un butin, la cinquième part en revient à Dieu, au Prophète, aux pa

«rents, aux orphelins, aux pauvres et aux voya

« geurs (1). »

L'Etat ne se chargeant pas des frais du culte, cette donation a constitué les revenus destinés tant à ces frais qu'à ceux des écoles, des hospices, etc.

La deuxième partie fut partagée entre les vainqueurs, ou laissée aux vaincus qui possédaient antérieurement. La troisième, représentant ce qui n'avait été ni concédé aux mosquées, ni partagé entre les vainqueurs, ni laissé aux vaincus, devint la propriété de l'État.

Dès l'origine de la domination musulmane, il apparaît trois genres distincts de propriétés :

La propriété religieuse,

La propriété patrimoniale,
La propriété domaniale.

La propriété religieuse est ce qu'on appelle en Turquie les vacoufs. Ils sont de deux espèces : les vacoufs légaux et les vacoufs coutumiers.

Les vacoufs légaux, lors du partage, ne représentaient que la portion territoriale concédée aux mosquées. Mais les ministres de la religion n'ont pas manqué d'élargir les domaines des temples. Les donations pieuses sont venues les arrondir; chaque génération, soit de plein gré, soit sous la pression religieuse, a payé son tribut : les sultans et les particuliers ont subi l'influence commune.

Les mosquées riches ou pauvres ont été, sans exception, élevées par la piété individuelle. Chacun a le droit de bâtir un temple sous les conditions suivantes : une mosquée ordinaire ne peut être construite que par une

(1) Koran, chap. VIII. Le Butin, v. 42.

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personne qui a déjà fondé une école primaire ; une mosquée importante ne peut être construite que par une personne qui a déjà fondé une école, une bibliothèque, et des cuisines pour les pauvres. Le fondateur d'une mosquée doit non-seulement la faire bâtir, mais en outre il doit pourvoir aux frais de son entretien et du culte. Il est donc obligé d'aliéner au profit de cette mosquée une partie des immeubles qui composent sa fortune, afin que les revenus de ces immeubles subviennent aux dépenses. Il ne suffit pas que le fondateur construise la mosquée : il faut qu'il assure son existence.

Cette organisation exonère l'Etat des dépenses relatives au culte, à l'instruction publique, et à l'entretien des bâtiments.

Si les vacoufs ne provenaient que de ces sources respectables, si leurs revenus avaient été employés en totalité conformément aux intentions des fondateurs, on ne pourrait que louer, admirer même une organisation qui substitue à l'Etat la charité individuelle, le sentiment religieux et l'amour du prochain. Hélas! en pratique, les choses ont été loin de rester en harmonie avec les volontés des donateurs !

Les vacoufs étaient régis d'abord par des intendants que les fondateurs désignaient eux-mêmes; à la mort de ces intendants, les chancelleries des hautes cours de Roumélie et d'Anatolie nommaient leurs remplaçants. Ce mode de nomination a promptement engendré les intrigues et les abus. Les intendants étaient placés sous la surveillance d'inspecteurs chargés de vérifier chaque année leur gestion. Ces inspecteurs, choisis parmi les hauts fonctionnaires de l'empire, avaient érigé l'inspection en

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droit inhérent à certaines fonctions; ces fonctions conférant le titre d'inspecteur, c'était dans les mains de ces fonctionnaires que s'arrêtait la plus grosse part des re

venus, qui quelquefois étaient énormes.

Les donations volontaires, les fondations pieuses, n'ont pas paru suffisantes aux ministres du culte; ils ont imaginé des moyens moins licites. Ils ont créé les vacoufs coutumiers.

Il a été admis que le posseseur d'un immeuble, musulman ou raya (1) (la religion n'a pas paru devoir entraîner d'exception), pouvait céder ses biens à une mosquée contre le payement comptant d'une indemnité représentant environ le dixième de leur valeur réelle. Ce payement rendait la mosquée propriétaire des biens; mais en même temps elle transférait au vendeur, par baux à durée illimitée, le droit d'exploitation moyennant une rente annuelle fixe. Cette rente, comparée au prix de vente excessivement réduit que payait la mosquée, représentait pour elle un placement de capitaux à un intérêt très élevé. L'ancien propriétaire devenait ainsi locataire. Le vendeur, se transformant en locataire à bail illimité, à des conditions invariables, plaçait ses biens sous l'égide de la mosquée; il s'affranchissait de la spoliation arbitraire, de la confiscation par l'Etat, de la cupidité des fonctionnaires, dont le passé offre de nombreux exemples; possesseur paisible, n'ayant rien à redouter ni des fonctionnaires, ni de l'Etat, ni même de ses créanciers personnels, il jouissait en paix de ses propriétés, protégé par le minaret auquel il payait la rente.

(1) On appelle rayas les chrétiens sujets ottomans.

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