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mais par contre le concours de ces harceleurs invisibles, qui avaient fini par mettre littéralement l'envahisseur hors de lui, impliquait la présence de ces voleurs de grand chemin si fort redoutés par nos compatriotes du théâtre de leurs exploits. Or, pour la plupart de nos concitoyens, il ne faut pas songer à le dissimuler, le remède était pire que le mal.

IV

Je m'empresse de revenir à Paris, d'abord parce que naturellement je crois mieux savoir ce qui s'y est passé, puis parce qu'en définitive, la psychologie de l'investissement de la capitale de la France est seule propre à faire comprendre le mal dont nous souffrons, à en suggérer le remède et à dicter les mesures qui pourront nous en éviter peut-être le retour. Ce mal est tout intérieur et moral; le remède ne saurait, du reste, en être cherché dans une imitation plus ou moins heureuse du militarisme prussien.

Parmi les manifestations les plus caractéristiques de cette anarchie générale d'idées à laquelle était en proie la capitale assiégée, il ne faut point oublier les violations de domicile, les arrestations illégales, les séquestrations arbitraires, qui s'opéraient sous les plus vains prétextes et rendaient, dans certains quartiers, la sécurité privée extrêmement précaire : la manie de voir partout des espions prussiens ou des Français entretenant des intelligences avec l'ennemi, notamment au moyen de signaux diurnes et surtout nocturnes, a été particulièrement préjudiciable à des citoyens complétement inoffensifs; car je ne sache pas que, malgré le développement inouï de l'espionnage grassement payé par M. de Bismarck, on ait pris beaucoup d'individus faisant cet utile et déshonorant métier. Il est même vraisemblable que le nombre des prévenus, toujours relâchés à défaut de preuves suffisantes, a paralysé ultérieurement l'énergie déjà peu active des conseils de guerre. Par exemple, ils renvoyaient simplement en police correctionnelle, pour vagabondage, des maraudeurs à l'égard desquels un peu d'arbitraire n'aurait point été stérile, pour entraver les informations souvent si précises de l'assiégeant.

Non-seulement, l'autorité municipale a donné le mauvais exemple; tel maire a même été l'objet d'une demande en dommages-intérêts à raison d'une perquisition faite, sur son ordre, par la garde nationale, dans le domicile d'un de ses administrés, et à la suite de laquelle la foule, envahissant ce domicile, avait traîné le propriétaire à la mairie. Mais encore le moindre garde national, gradé ou non gradé, s'intitulant délégué (titre, aujourd'hui trop connu, qu'il

se décernait ordinairement lui-même et qui néanmoins jouissait de la vertu magique du Sézame, ouvre-toi!), suffisait parfois à mettre la force armée en mouvement pour des perquisitions de cette nature, que les tribunaux civils ou militaires ne réprimaient qu'avec une mollesse réellement inconcevable. Or combien de misérables, profitant de la débauche d'uniformes d'une fantaisie plus ou moins théâtrale où le Parisien s'était plongé avec délices, usurpaient des grades et des décorations, dont ils exploitaient sans scrupule le prestige pour se livrer à de malhonnêtes entreprises, non moins réprouvées quelquefois par le Code pénal que par la morale! Que d'escroqueries et d'abus de confiance, perpétrés en semblables conjonctures, ont eus à juger les tribunaux de police correctionnelle ! Il n'est pas besoin d'aller jusque-là pour trouver bien des actes répréhensibles, qui ont été commis sous des prétextes mensongers. Par exemple, un marchand de légumes de la banlieue, qui s'était réfugié à Paris, s'est vu arrêter comme espion, après perquisition domiciliaire, par le concierge de sa maison, sergent de la garde nationale. Le trop zélé patriote, qui semblait au fond n'agir que par de vilaines rancunes, ne trouvait pour se justifier rien de mieux à dire que ceci : « Ce citoyen m'était suspect; le propriétaire l'avait accepté sans me consulter; sous-officier chargé de défendre le pays en auxiliaire de la justice, je ne pouvais trouver çà naturel et j'ai usé des droits que le peuple m'a donnés, en m'élisant son sergent, pour vérifier ce dont je doutais dans ma vigilance» (1). Si l'élection ne s'était guère égarée cette fois qu'au point de vue des notions juridiques sur la liberté individuelle, elle a pris fréquemment pour ses favoris des personnages dont les sommiers judiciaires étaient trop bien garnis.

De même, l'impossibilité où l'on se trouvait de s'enquérir des antécédents de ceux qui sollicitaient leur entrée dans les rangs de la garde nationale, jointe à la nécessité de donner des fusils à tous ceux qui étaient en état de les manier, en a fait remettre à des hommes auxquels il aurait été désirable qu'on les enlevât au plus vite. Je ne fais pas, bien entendu, une puérile allusion à la multitude d'accidents, individuels et isolés, qu'occasionnait pour ainsi dire quotidiennement l'imprudence des gardes nationaux et même des soldats; il ne pouvait en être autrement et chacun prévit immédiatement que l'inexpérience de la défense nationale se payerait par plus d'un homicide involontaire; toutefois on n'avait certainement pas songé à la possibilité d'une chasse aux passereaux dans les rues

(1) Gazette des Tribunaux du 24 janvier 1871.

de Paris! Je veux parler des individus dangereux et trop nombreux de la catégorie de ces trois délégués qui comparaissaient, dans les premiers jours de l'année, devant un conseil de guerre permanent de la garde nationale. L'un était failli, l'autre avait été condamné en police correctionnelle et le troisième « vivait irrégulièrement. >> En s'associant, tous trois étaient « arrivés à se faire, dans leur compagnie et dans leur bataillon, une situation des plus redoutées, en raison de leur caractère de délégués et surtout en raison de la distribution des secours, qu'ils s'étaient arrogée (1) en cette qualité. Après avoir renversé un capitaine, ils ont prétendu à la haute main sur son successeur. Absents à tous les exercices, ne remplissant aucun des devoirs de la garde nationale, ils répondaient à cet officier qu'ils n'avaient ni ordre ni permission à recevoir de lui. »> Bref ils en firent tant et tant que leur désarmement fut prononcé, et c'est alors qu'ils commirent les actes d'insubordination (refus de remettre leurs fusils, menaces de résistance à main armée, désobéissance écrite au général du secteur et citée élogieusement dans la Patrie en danger, exécution tardive et forcée du désarmement) dont avait à connaître le conseil de guerre aux débats duquel j'emprunte ces détails. La tourbe déshonorante des gens de cette sorte dégoûterait pour toujours de la République le républicain le plus convaincu! Si vous lisez la protestation de nos trois héros, datée du 18 frimaire an LXXIX (2 décembre 1870), vous y trouvez des déclarations de principe comme celles-ci : « Jusqu'à ce que ce fait nous soit prouvé que nous sommes indignes de conserver les armes qui nous ont été confiées au nom de la République, nous les gardons. Le commandant a le droit de faire tout ce que vous lui laisserez faire.... Et nous, si nous sommes réellement des républicains, notre devoir est d'aviser; c'est notre droit » (2).

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(1) La classe de lecteurs à laquelle s'adresse la publicité du Journal des économistes me dispense d'insister sur les déprédations vulgaires qui ont accompagné toute distribution de ce genre; avec les inconvénients, inhérents au communisme, qui se sont délictueusement manifestés, je remplirais aisément un chapitre de cette étude obsidionale, mais je le crois inutile.

(2) Ne convient-il pas de rapprocher de cette doctrine ce passage final de l'arrêté relatif aux élections récentes de la garde nationale : « Le Comité central rappelle aux gardes nationaux qu'ils ont le droit de révoquer leurs chefs, dès qu'ils ont perdu la confiance de ceux qui les ont nommés. » Une telle recommandation doit être éminemment favorable à la constitution de cette hiérarchie sévère qui fait la force d'une armée et qui nous a peut-être seule manqué dans notre lutte avec l'envahisseur.

C'est donc ainsi que vous entendez la liberté ? leur disait un sergent. C'est aussi en ces termes qu'apostrophait la foule un garde national, lors d'une scène répugnante qui a failli donner, sur la place de la Concorde, un pendant à la scène épouvantable qui s'était passée, quelques jours auparavant, sur la place de la Bastille et qui devait presque s'y renouveler, quelques jours après : Vous parlez sans cesse de république et de liberté, et vous violez constamment la liberté individuelle. Une femme, qualifiée à tort ou à raison d'amie des Prussiens, était poursuivie, huée, frappée même par une bande de gavroches. Ce garde national, pour avoir tenté de s'opposer à cette infamie, faillit se faire faire un mauvais parti, tant il est vrai qu'à Paris, une agglomération quelconque, sur un point quelconque, à un moment quelconque, ne renferme qu'une infime minorité de gens sensés, hors d'état par conséquent d'entrer en lutte avec la grosse majorité des indifférents ou des pusillanimes, paralysée par une minorité de violents! Et c'est là la population qui s'indignait que l'ennemi vainqueur lui jetât continuellement à la tête sa sauvage maxime: La force prime le droit! - Cet épisode de l'entrée à Paris du corps de troupes allemandes qui est venu faire le simulacre d'une revanche de l'entrée des Français à Berlin, en 1806, n'a point été, du reste, un fait isolé. Une vingtaine de femmes, victimes de la brutalité et aussi de l'erreur de la foule populaire (car quelques-unes étaient certainement de simples et honnêtes curieuses), ont été insultées, aux Champs-Elysées, et même traitées comme le fut Théroigne de Méricourt sur la terrasse des Tuileries. «C'était un spectacle écœurant, immonde, écrit un témoin oculaire, que celui de ces malheureuses femmes, à moitié nues, les vêtements lacérés, les cheveux en désordre, tiraillées en tous sens, en butte aux opprobres et aux crachats, le visage couvert d'une pâleur mortelle, la terreur et l'égarement dans les yeux, poursuivies par une foule hurlante et féroce. » Etait-il moins immonde, moins écœurant, moins démoralisateur, le spectacle, donné au peuple parisien durant les premiers jours de l'investissement, de soldats coupables d'avoir fui devant l'ennemi et traînés à travers les rues, où ils étaient hués et couverts de crachats par une foule en délire? Comment ne pas rapprocher de ces faits épouvantables le meurtre horrible du propriétaire périgourdin; le hideux épisode des officiers de Perpignan; l'assassinat monstrueux d'un chef de bataillon de la garde nationale, à Lyon; celui de ces deux braves généraux de l'armée et de la garde nationale, par lequel a débuté, à Paris, l'injustifiable mouvement insurrectionnel du 18 mars; celui de l'infortuné préfet de la Loire. Ah! M. Bersot avait raison, quand il parlait, dès le commencement de la guerre, de la « bête féroce » qu'on

venait de réveiller dans la classe illettrée et qu'on aurait bien de la peine à rendormir (1). Nous venons de le voir et nous ne pouvons nous empêcher de nous souvenir, en même temps, de ce paradoxe à outrance échappé à un publiciste, intelligent cependant: Quand tous ont des fusils, c'est comme si personne n'en avait! On le vit bien aux journées de juin 1848 et on le revoit au moment où s'imprime ce résumé de toutes les horreurs belliqueuses indirectes. Cet armement général de la population, sous prétexte de la faire concourir à la défense nationale, n'est-il pas une des conséquences les plus déplorables de la guerre et ne constitue-t-il pas une des difficultés les plus graves de la situation, politique et sociale, où cette guerre a placé notre malheureux pays? Le suffrage universel et la garde nationale y seront longtemps, grâce à l'ignorance et à la légèreté françaises, deux lourdes pierres d'achoppement !

V

Se rappelle-t-on, durant la période d'investissement, les deux mentions quotidiennes du Journal officiel, -elles occupaient ordinairement une fraction fort importante des colonnes de la feuille simple qui le constituait : « Remboursements (journée du ... . .) par suite d'interprétation erronée des décrets ayant alloué une indemnité journalière de 1 fr. 50 aux gardes nationaux qui en auraient spécialement fait la demande. Reversements pour nonpayement à des gardes absents?» Je n'ai ni le courage ni le temps de totaliser avec méthode les chiffres effrayants de ces documents, qui, pour moi, témoignent beaucoup plus du coulage exorbitant auquel a donné lieu la création d'ateliers nationaux militaires, — à la dissolution difficile desquels il faudra pourtant procéder, - que de l'excellence du contrôle des détails d'exécution de cette mesure si populaire. Puis la question de quotité, quelle qu'en soit l'importance financière, est bien insignifiante vis-à-vis de la question psychologique. C'est en pareille matière qu'il ne faut pas perdre de vue la règle ab uno disce omnes, quitte à appliquer à l'occasion un coefficient de réduction plus ou moins considérable.

Ainsi, quand, dans un procès engagé à propos de loyer, je vois celui qui en refusait le payement convaincu de toucher, par mois, 1° 167 francs (appointements d'employé de chemin de fer), 20 45 francs au moins (garde national à 1 fr. 50 par jour),

(1) Voir la livraison de novembre dernier, p. 141.

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