Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

gyars avaient, en ce moment, à choisir entre deux lignes de conduite. Ils pouvaient envoyer des députés au reichsrath de Vienne et y former avec les oppositions tchèque et polonaise une majorité qui leur aurait donné une influence prépondérante sur les destinées constitutionnelles de l'empire. Ils ont préféré demeurer dans leur isolement et maintenir le débat sur le terrain légal ou plutôt historique. Le premier usage qu'ils ont fait de la liberté de parole qui leur était rendue a été l'exposé de leurs nombreux griefs. Suivant les termes de l'adresse votée par les deux chambres hongroises le 22 juin, le nouvel ordre de choses enlève à la Hongrie son vieux droit constitutionnel, en vertu duquel toutes les questions d'impôt et de recrutement militaire sont de la compétence de sa propre diète, et la nation se trouve privée de la faculté de faire des lois et de régler elle-même ses intérêts. C'est là, suivant la doctrine des Magyars, un attentat contre la pragmatique sanction, ce pacte fondamental conclu en 1723 entre la Hongrie et la dynastie des Habsbourg. Se fondant sur ce que leurs ancêtres ont alors stipulé de la manière la plus formelle que le roi est tenu de respecter les lois et les libertés du pays, de se faire couronner lors de son avénement au pouvoir, de signer le diplòme royal d'inauguration et de prêter le serment du couronnement, ils soutiennent que la couronne impériale et celle de saint Étienne, bien que réunies sur la même tête, sont complétement distinctes, et qu'il ne doit pas y avoir entre l'Autriche et la Hongrie une union plus étroite qu'entre la Suède et la Norvége. Un autre grief des Magyars, c'est que la Transylvanie, l'Esclavonie, la Croatie, les confins militaires et la ville de Fiume n'ont pas été convoqués à la diète de Pesth, tandis que la pragmatique sanction, les diplômes d'inauguration et les sermens de couronnement proclament le maintien en tout temps de l'intégrité du pays. Enfin les députés se plaignaient dans l'adresse de la. suspension des lois de 1848, de l'ordonnance qui prescrivait de faire rentrer les impôts même par la force des armes, en un mot de tout ce qui pouvait porter atteinte au caractère autonome et souverain de la nation.

Il était difficile qu'une entente pût s'établir sur de telles bases. L'Autriche n'oubliait point que les lois de 1848 avaient dénaturé le caractère de ses rapports avec les Magyars, et que ces lois, en fondant un ordre de choses contraire aux traditions, en organisant une armée spéciale, en établissant à Pesth un ministère responsable devant la diète, avaient créé une Hongrie nouvelle et complétement indépendante. Le gouvernement autrichien admettait, il est vrai, la partie de la législation hongroise de 1848 qui avait consacré des réformes sociales, telles que la suppression des charges et des cor

vées des paysans, le devoir imposé à chacun de servir dans l'armée et de payer l'impôt, le droit de posséder des immeubles et de remplir des fonctions publiques pour toutes les classes, sans distinction de naissance. Ces dispositions avaient été formellement reconnues par l'empereur dans les actes d'octobre et de février; mais il n'en était point de même de celles des lois de 1848 qui avaient occasionné la rupture du pacte fondamental entre la Hongrie et la dynastie des Habsbourg.

En conséquence, l'empereur répondit à l'adresse de la diète par un rescrit qui réfutait les prétentions magyares. Suivant les paroles impériales, l'autonomie hongroise était incontestable, mais devait se concilier avec l'indivisibilité des couronnes que Charles VI assura au moyen de sa pragmatique sanction; ce caractère indivisible ne pouvait exister qu'avec le commandement commun des armées, la direction centrale des finances, la représentation unique de l'empire au dehors; ces conditions indispensables à l'indissolubilité de la monarchie avaient toujours été respectées jusqu'au moment où des lois révolutionnaires étaient venues briser entre la dynastie et la nation hongroise les liens mêmes de l'union personnelle. En ce qui touche la Transylvanie, dont l'annexion à la Hongrie avait été consommée en 1848 sans le libre consentement des Roumains, qui forment près des deux tiers de la population, l'empereur déclarait ne pouvoir consacrer une réunion repoussée par les habitans et contraire aux précédens de l'histoire. Quant à la Croatie et à l'Esclavonie, il ne niait pas que ces provinces eussent été autrefois soumises à la couronne de saint Étienne; mais elles s'en étaient volontairement séparées, et tout ce que pouvait faire le gouvernement autrichien, c'était de laisser parfaitement libre telle entente qui pourrait s'établir entre la diète de Pesth et la diète d'Agram. L'empereur François-Joseph terminait en exprimant le regret de n'avoir pas été encore couronné comme roi de Hongrie, et en annonçant qu'il procèderait avec bonheur à cette solennité le jour où un accord, objet de tous ses vœux, ferait cesser tous les griefs des sujets de son royaume et deviendrait le signal d'une complète amnistie.

Ce langage, loin d'opérer une réconciliation, ne fit qu'irriter davantage l'opposition magyare, et la diète de Pesth répondit au rescrit du 21 juillet par une nouvelle adresse, en date du 12 août, plus explicite encore que le premier manifeste: « Nous ne pouvons accepter, y était-il dit, ni le diplôme impérial du 20 octobre, ni l'application à la Hongrie de la patente du 26 février. Nous protestons solennellement contre la prétention que le reichsrath de Vienne puisse avoir, sous quelque rapport que ce soit, un pouvoir législatif ou dispositif sur notre pays, et nous déclarons que nous n'y en

verrons point de députés. Nous tenons pour inconstitutionnelles et non avenues ses ordonnances touchant le royaume et les pays annexés. Nous restons attachés au droit en vertu duquel le pouvoir législatif, tant pour décréter de nouvelles lois que pour interpréter ou abroger des lois déjà existantes, n'est exercé que par le souverain du pays et la diète légalement convoquée. Nous ne pouvons considérer comme constitutionnel l'exercice unilatéral du pouvoir législatif, ni accepter des lois octroyées. Nous ne pouvons pas admettre que des lois sanctionnées puissent être suspendues, modifiées ou supprimées unilatéralement. C'est pourquoi nous maintenons la législation de 1848 dans toute sa plénitude, vu que ces lois ont été votées conformément à la constitution et sanctionnées solennellement par la confirmation royale; nous les considérons comme existant de plein droit. Nous déclarons enfin que nous ne pouvons, tant que la diète sera incomplète, participer à aucun travail législatif, ni à aucune négociation touchant le diplôme inaugural. »

Dans cet état de choses, le gouvernement autrichien crut devoir dissoudre la diète, par un rescrit du 21 août, en ajournant à six mois, s'il y avait lieu, la convocation d'une nouvelle assemblée. C'est à cette occasion que l'empereur François-Joseph dut se féliciter d'avoir à Vienne un parlement qui le dégage en partie de la responsabilité des résolutions les plus graves. Le reichsrath approuva la conduite du monarque par une adresse où il était dit: « Nous déplorons profondément que la représentation nationale cesse de fonctionner en Hongrie par suite de la dissolution de la diète magyare; mais nous croyons devoir déclarer ouvertement que la mesure prise par votre majesté est parfaitement fondée en droit, et qu'elle était impérieusement commandée par les circonstances. »

:

Au même moment, la diète de Pesth se séparait après une protestation unanime, et déclarait, dans sa dernière séance, qu'elle regardait comme une mesure urgente « la satisfaction à donner aux prétentions des nationalités demeurant sur le sol hongrois, pourvu qu'elles ne fussent pas en opposition avec l'intégrité territoriale et politique du pays. » Ainsi donc à Pesth et à Vienne il y avait identité entre les principes qu'on invoquait de part et d'autre, on réclamait la centralisation, et l'on demandait l'unité du royaume de même que l'unité de l'empire; mais les Slaves se soucient aussi peu de dépendre des Magyars que les Magyars des Autrichiens, et le gouvernement impérial rencontre dans les aspirations contradictoires des races diverses de la Hongrie un levier d'influence dont il sait adroitement se servir. Il a opposé à la diète de Pesth celle d'Agram, et cette assemblée a décidé qu'elle n'entrerait dans une

union plus étroite avec les Magyars qu'autant que la Hongrie aurait reconnu sans condition l'autonomie et l'indépendance du royaume triple et un. Enfin ce dernier royaume, en dépit de son nom, n'est demeuré ni un ni triple, et les Dalmates ont refusé de se joindre aux Croates et aux Esclavons. Ainsi la diète d'Agram est restée incomplète comme le reichsrath de Vienne et comme la diète de Pesth, et les efforts de la Hongrie pour se rattacher les provinces autrefois annexées à la couronne de saint Étienne se sont heurtés contre des obstacles que les souvenirs de 1848 peuvent rendre insurmontables. Il est possible que cet état de fractionnement fasse sentir le besoin d'un pouvoir central dans les grandes affaires, et que le gouvernement autrichien parvienne, après avoir surmonté de pénibles épreuves, à trouver son salut, non pas dans la force matérielle, dont les triomphes sont transitoires, mais dans la force morale, qui se fonde sur des institutions civilisatrices et durables.

Pendant que les deux grandes puissances allemandes entrent résolûment dans la voie constitutionnelle, la confédération germanique tout entière cherche à résoudre les problèmes qu'elle s'est vainement posés depuis 1848, et l'Allemagne semble vouloir prendre sa revanche d'Olmütz, comme l'Italie sa revanche de Novare. Les populations germaniques, peu satisfaites de la nature du pouvoir fédéral, élaborent et discutent, avec la consciencieuse patience qui est le propre de leur caractère, des plans de réforme multiples et compliqués, et les querelles théoriques occasionnées par ces projets sont l'indice d'un conflit de principes et d'influences. Tandis que l'Autriche espère maintenir, au prix de certaines concessions, le statu quo actuel, et désire mème rendre ses confédérés allemands solidaires d'intérêts extra-germaniques, la Prusse aspire à faire prévaloir l'organisation désignée sous le nom d'union restreinte. Reprenant ainsi la politique du parlement d'Erfurt et de M. de Radowitz, le cabinet de Berlin voudrait assurer au roi de Prusse, qui ne changerait point de titre, la suprématie militaire et diplomatique sur ceux des souverains qui consentiraient, pour le profit de l'hégémonie prussienne, à l'abandon des plus effectifs de leurs droits. La convention militaire conclue entre le roi Guillaume et le duc de Saxe-Cobourg-Gotha, les dispositions analogues du grand-duc de Saxe-Weimar et du duc d'Altenbourg, la politique franchement prussienne du grand-duc de Bade, la centralisation à Berlin des sommes recueillies pour fonder la flotte de l'Allemagne, enfin l'agitation causée par les doctrines du National Verein, ont augmenté les inquiétudes de la plupart des gouvernemens secondaires. Les quatre rois de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg et de Hanovre, qui

aspirent à constituer une sorte de troisième groupe destiné à maintenir l'équilibre entre la Prusse et l'Autriche, se sont émus des tendances qui se manifestaient, et le plus actif agent de leur politique, M. le baron de Beust, ministre dirigeant de Saxe-Royale, a pris l'initiative d'une démarche qui, sous prétexte d'un plan de réformes, avait pour véritable but de contraindre la Prusse à se prononcer sur ses intentions, et les autres gouvernemens à protester contre les principes du cabinet de Berlin. Au pouvoir fédéral, dont l'unique organe est la diète de Francfort, M. de Beust proposait de substituer quatre rouages distincts: un pouvoir exécutif, confié à l'Autriche, à la Prusse et à un délégué de toutes les autres cours allemandes; une assemblée fédérale composée à peu près de la même manière que la diète actuelle et se réunissant deux fois par an, à Ratisbonne, sous la présidence de l'Autriche, puis à Hambourg, sous la présidence de la Prusse, afin de régler la marche du pouvoir exécutif; une chambre des députés se composant de délégués des différentes assemblées constitutionnelles allemandes, espèce de parlement consultatif, convoqué, prorogé ou dissous par l'autorité fédérale, et investi d'attributions à peu près analogues à celles que l'article 6 de l'acte final de Vienne confère à la diète réunie en plenum; enfin un tribunal suprême appliquant une disposition de la constitution actuelle, qui stipule pour certains cas litigieux survenant entre les gouvernemens et les corps constitués ou les populations la formation d'un tribunal d'arbitres désigné sous le nom de tribunal austrégal. Telle était la substance du plan élaboré par le baron de Beust et officiellement communiqué aux divers cabinets de l'Allemagne par le gouvernement saxon. La Prusse ne fit pas attendre sa réponse. Dans une dépêche du 20 décembre 1861, le comte de Bernstorff déclara qu'il considérait à priori comme impraticable tout projet de réforme dont le caractère général embrasserait l'ensemble de l'Allemagne. Loin de vouloir resserrer les liens du pacte fédéral, il aurait désiré n'en maintenir que les dispositions qui garantissent l'intégrité territoriale de la confédération. Il ajoutait qu'un alternat entre les deux grandes puissances allemandes, ayant pour effet de subordonner périodiquement l'une à l'autre, était incompatible avec les exigences de leur position européenne, et se fondant en droit sur l'article 11 de l'acte fédéral, qui permet aux confédérés de conclure entre eux des alliances séparées, il exprimait l'idée que la seule chance de réformes sérieuses consistait dans des arrangemens particuliers conclus entre ceux des cabinets allemands qui partageaient les mêmes principes et qui poursuivaient le même but.

L'exposé de cette théorie jetait une pleine lumière sur les aspirations du cabinet de Berlin. Évidemment la Prusse sentait que son

4

« ZurückWeiter »