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LA GUERRE DU NORD.

"Toutes les autres batailles auxquelles je me suis trouvé," disait à François Ier l'illustre connétable de France la Trémouille après la bataille de Marignan, "étaient des jeux d'enfants, mais celleci est une bataille de géants." Nous en pouvons dire autant de la grande lutte de la Russie contre la France, comparativement à l'impertinente guerre que les enfants des Etats-Unis font aujourd'hui à la Grande-Bretagne pour satisfaire les criailleries et l'avidité de quelques négociants de tabagies, rebuts de toutes les nations, voleurs sans emploi, qui sont épars sur le Continent Américain depuis la Balise du Mississipi jusqu'à la baye de Penobscot. Aussi estce, sinon avec une espece de plaisir, au moins avec un sentiment d'exaltation, que nous passons de cette dégoûtante guerre, qui n'inspire que le déboire, aux grands tableaux, aux catastrophes imposantes que nous offre l'invasion contre nature du Nord de l'Europe. Ici tout se réunit pour inspirer l'écrivain et émouvoir le lecteur; on y trouve tout ce qui peut y frapper les esprits de terreur et les cœurs de pitié. Les souvenirs du passé, les espérances de l'avenir, la barbarie remontée vers son berceau, la civilisation suspendue tout-à-coup dans tout le continent de l'Europe, la flamme du patriotisme brûlant au pays de l'esclavage, les pays des républiques antiques fournissant à leur tour des esclaves. et les enfants des arts transformés en bourreaux pour aller répandre le meurtre et la désolation dans les régions hyperborées, et y recevoir et donner gratuitement la mort: tout se rattache à ce tableau coloré de sang et éclairé par les flammes depuis Wilna jusqu'à Moscou.

Nous possédons aujourd'hui une très-grande VOL. XXXIX

R

quantité de matériaux sur la campague du Nord. Quatre malles de Gothenbourg arrivées presque coup sur coup, plusieurs dépêches de l'ambassadeur britannique à St. Pétersbourg, l'arrivée de Riga de l'amiral Martin, et celle de l'ancien chargé d'affaires de Russie en Anglettere, M. le baron de Nicolaï, nous ont procuré des renseignements exacts et des rapports authentiques, tant sur la bataille de Borodino que sur l'entrée des Français à Moscou, sur les mouvements subséquents des armées Russes, et par-dessus tout sur la sensation patriotique que ces événements ont excitée à Pétersbourg dans le cœur de l'Empereur comme dans celui des nobles et des derniers des sujets Russes, Nil desperandum, a été le cri universel. Si le monstre qui désole l'Europe croyait par la menace da sac de Moscou intimider le Souverain et le gouvernement Russes, et extorquer à la faiblesse de l'un et de l'autre une troisieme odalisque pour son sérail, quelques provinces pour ses bachas, de l'or pour ses eunuques, et même des janissaires pour ses projets de conquêtes ultérieures, il s'est trompé, tous ses calculs auront été déjoués. Quelque crainte ayant été témoignée à S. M. l'Empereur Alexandre, pour tenter sa fermeté, Je suis à cheval, a dit ce prince, je n'en descendrai que vainqueur, Telle a été sa noble réponse aux premieres tentatives de la pusillanimité et de la perfidie. Tout son pays d'une extrémité à l'autre lui a répondu amen: ainsi il n'y a point de soumission à craindre, le feu de Moscou a brûlé tous les radeaux de la Russie.

Par un hasard singulier, les nouvelles de France et celles du Nord descendent également jusqu'au 25 de Septembre. Fideles à notre usage constant, nous donnerons les unes et les autres. Nous commencerons par les bulletins français. On y a joint cette fois-ci plusieurs pieces russes publiées, dit-on, à Moscou avant l'occupation de cette capitale. Si les bulletins français sont constamment des monuments d'imposture et de fraude, nous ne croyons pas qu'on

en puisse dire autant des pieces qui y ont été antiexées. Elles respirent une piété si tendre, elles portent an caractere si brûlant de patriotisme et des traces si frappantes de cette sainte colere, la seule qui puisse être permise par le Dieu des vengeances, que nous n'avons aucune raison de les croire supposées. Plus leur monstrueux éditeur a cru rendre les Russes ridicules par leur publication, plus il s'est rendu odieux lui-même. Tout ce qu'il fait, tout ce qu'il publie depuis qu'il a vu échapper de ses mains la proie qu'il se promettait à Moscon, porte l'empreinte de la rage et du délire. Il croyait finir la guerre tout d'un conp, et il a vu qu'elle ne faisait que commencer. Le Kremlin n'est pour lui qu'un nouveau Buen Retiro. Il n'est pas plus avancé par la prise de Moscou qu'il ne l'est encore aujourd'hui en Espagne par la prise qu'il fit de Madrid en persoune il y a cinq ans. S'il n'a pas encore senti le poids des guerillas tartares, il est au moment de l'éprouver. Il est obligé de dire dans ses bulletins qu'il a maintenant des munitions de guerre pour deux campagnes. I compte donc encore au moins sur deux années de guerre. Au nombre des provisions qu'il dit avoir trouvées en abondance parmi les ruines enflammées de cette capitale, il mentionne avec complaisance le sucre et lecafé,et c'était cependant pour priver tout l'empire de Russie de ces denrées, qu'il en a fait l'invasion !* Quand sa proie lui échappe, il rugit, il écume de colere; ceux qui brûlent ses ressources, il leur donne le nom de ces criminels de la Belgique qui donnaient nagueres la question à leurs victimes. Ce ne sont point seulement des incendiaires, ce sont des chauffeurs! il a oublié Binasco et les villages d'Egypte !

*Un journaliste anglais a beaucoup fait rire en remarquant que le vin que Buonaparté dit avoir trouvé, dans les caves de Moscou, qui n'avaient pas été endommagées par le feu, ne donnerait pas de crudités à ses soldats, l'incendie lui ayant donné une cuisson parfaite,

Dans un de ces paragraphes dont l'insertion'est autorisée dans les petits journaux, comme supplément à ses bulletins, il compare à l'étendue de Bruxelles la portion de Moscou qui a échappé à la conflagration générale, à l'océan de flammes qui, l'autre jour, entourait le Kremlin. Peut-être en introduisant ainsi le nom de la ville de Bruxelles, a-t-il eu intention d'y associer dans l'esprit de ses conscrits, l'idée que les champs qui environnent les ruines de Moscou, sont aussi eux couverts de cette luxuriante végétation, de cette abondance qu'offrent à chaque pas les environs de la capitale de la Belgique. Il ne leur parle pas du climat, des brouillards, des exhalaisons, des approches de l'hyver, de la sévérité du froid, de la difficulté de vivre et des ha biller à Moscou, qu'ils éprouveront pendant la saison des neiges qui est au moment de commencer. Il faut en imposer à ces 137 mille nouvelles victimes dont il leve le tribut sur les familles de France et d'Italie; ce n'est que pour eux qu'il a trouvé du vin et du sucre à Moscou! dat crustula blandus doctor. Il semble entendre ces anciens racoleurs du quai de la Féraille promettant à leurs recrues, qu'ils trouveront à la garnison le rôti, le café et la liqueur. Il se vante, le brigand, que c'est sa générosité qui a sauvé le quart de Moscou! mais envers qui a-t-il été généreux? Envers ses soldats qui avaient besoin de quartiers d'hyver; et non envers les habitants de Moscou, qui avaient fait le sacrifice de leurs maisons, et qui probablement ne voudront jamais réhabiter ce qu'il en a sauvé, et les brûleront pour les purifier d'avoir donné un asile momentané à ces généreux bourreaux. D'ailleurs à quel prix honteux leur en aurait-il rendu les murailles nues? En les brûlant, les Russes n'auront point à sacrifier pour y rentrer une grande duchesse, un Tyrol, un Hofer, tout leur numéraire. Ils auront gagné à les brûler tout ce que les autrichiens ont perdu à conserver les leurs, et ce n'est pas

peu dire. Dans quel historien de l'antiquité a-t-on vu traiter de misérables et de chauffeurs les habitants de Sagunte et de Numance, dont le sublime dévouement, en se brûlant eux-mêmes sur le bûcher formé de leurs meubles et de leurs édifices, a fourni les plus belles pages à l'éloquence des Tite-Live, des Paterculus, des Strabon? Qu'il sache, ce barbare Corse, que lorsque le désespoir des habitants de Sagunte les eût portés à détruire par le feu leurs propres maisons, l'histoire n'en a jamais accusé leur gouverneur : le véritable chauffeur en cette occasion fut leur ennemi. Hujus tantæ cladis autor Annibal poscitur, dit Florus.* Oppressa civitas nullum de se gaudium reliquit. Tous les nobles, marchands et artisans de Moscou avaient fui. Unus enim vir Numantinus non fuit qui in catenis duceretur.. præda ut de pauperibus nulla.. triumphus fuit tantum de nomine.

Espérons de même que le triomphe actuel de Buonaparté ne sera qu'un avantage nominal, et qu'ayant à combattre un ennemi d'une espece toute nouvelle, il recevra cette fois un châtiment exemplaire de la témérité avec laquelle il s'est porté à 700 lieues de sa propre frontiere, sans magasins, sans approvisionnements, et en laissant ses derrieres, à plus de 120 lieues, menacés et exposés chaque jour à être coupés. Il n'est couvert jusqu'à présent, à sa droite que par les Autrichiens et les Saxons, et à sa gauche par les Bavarois et les Prussiens. On a vu comme les Autrichiens ont déjà sacrifié les Saxons à l'affaire de Kobryn. Les Bavarois ont été sacrifiés de même à celle de Polotzk. Oudinot et St. Cyren ont fait, pour ainsi dire, litiere. En vain Buonaparté a-t-il eu le charlatanisme de décréter hautement une pension de 30 mille florins au général Deroi qu'il savait être mort, il est peu à croire que les re

* Lib. 11. cap. 6 et 18.

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