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La piraterie.

La traite des noirs.

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l'invoquer pour couvrir des actes contraires au droit des gens, tels que les attaques contre la sûreté de l'État ou des violences contre les particuliers. En pareils cas, il ne peut plus être question de juridiction, mais bien de défense légitime, et l'État menacé ou attaqué a le droit et le devoir de ne prendre conseil que des exigences commandées par la situation.

Ce principe salutaire a été affirmé en ces termes par la Cour de cassation de Paris en 1832: « Le privilège établi par le droit des gens en faveur des navires amis ou neutres cesse dès que ces navires, au mépris de l'alliance ou de la neutralité du pavillon qu'ils portent, commettent des actes d'hostilité; dans ce cas, ils deviennent ennemis et doivent subir toutes les conséquences de l'acte d'agression dans lequel ils se sont placés. »

Dans l'espèce il s'agissait, il est vrai, d'un navire de commerce, du vapeur sarde Carlo Alberto; mais dans l'arrêt la doctrine, loin d'être émise comme restreinte au cas particulier, est posée comme règle d'une application générale sans distinction du caractère public ou privé du navire.

§ 485. Au nombre des crimes qui, par leur caractère spécial et la généralité des intérêts qu'ils affectent, rentrent dans le domaine du droit des gens, c'est-à-dire sont punissables partout sans relever directement et exclusivement de la juridiction d'un État plutôt que de celle d'un autre, on doit ranger la piraterie.

Dans le langage international, il faut entendre par ce mot tout vol ou pillage d'un navire ami, toute dépradation, tout acte de violence commis à main armée en pleine mer contre la personne ou les biens d'un étranger, soit en temps de paix, soit en temps de guerre.

A cette définition générale; empruntée au droit des gens, vient s'en ajouter une seconde, qui dérive exclusivement des lois particulières édictées par chaque État pour réprimer la piraterie, et en vertu desquelles on a assimilé à ce crime, pour les rendre passibles des mêmes peines et justiciables des mêmes tribunaux, des faits qui, au point de vue international, n'ont pas intrinsèquement un caractère criminel ni même délictueux, la traite des noirs, par exemple, dans les pays qui n'ont pas aboli l'esclavage.

§ 486, Les faits suivants constatent la manière différente d'envisager la traite en Angleterre et aux États-Unis, et en Angleterre même selon les circonstances et la personne du juge:

En 1810, l'Amadie, navire américain, employé au transport d'esclaves des côtes d'Afrique à une colonie espagnole, fut arrêté par un croiseur anglais, qui s'empara du navire et des esclaves. La

cour de vice-amirauté établie à Tortola en prononça la confiscation au profit du capteur, et cette sentence fut confirmée par la cour d'appel chargée de prononcer sur les affaires maritimes.

Sir

W. Grant,

<< Aussi longtemps, dit le juge Sir William Grant, que la traite Opinion de a été tolérée par le gouvernement anglais, un tribunal anglais ne pouvait la condamner chez les autres nations; mais depuis son abolition par l'Angleterre la traite ne peut plus, à ses yeux, avoir d'existence légale... Ce n'est pas à dire qu'on ait le droit d'influer sur les décisions des nations qui n'ont pas la même manière de voir que le gouvernement anglais; mais dans ce cas il faut exiger des hommes qui s'y livrent la preuve que leur gouvernement l'autorise. » Et le juge concluait que « puisque le gouvernement de l'Union américaine n'autorisait pas la possession d'esclaves », le propriétaire de l'Amadie ne pouvait demander qu'on lui restituât ce qu'on lui avait enlevé.

Wheaton s'étonne, et non sans raison, que Sir William Grant ait de Wheaton, pu avancer que le gouvernement des Etats-Unis n'autorisait pas la possession d'esclaves plusieurs États de l'Union possédaient encore légalement des esclaves, et vers la même époque des bâtiments espagnols et portugais, employés dans le commerce de la traite, alors que les lois de l'Espagne et du Portugal toléraient ce trafic, ayant été saisis par des croiseurs américains et conduits dans des ports des États-Unis, la cour suprême de l'Union en avait ordonné la mise en liberté, en s'appuyant sur ces principes:

« Une nation, dit M. Marshall, président de la cour, ne peut de Marshall, prescrire une règle de conduite à une autre nation; encore moins peut-elle en faire une générale pour toutes les nations, et le droit de pratiquer la traite reste entier pour les sujets des gouvernements qui ne l'ont pas prohibée. Si ce commerce est permis d'après le droit des gens, il ne saurait être considéré comme constituant le crime de piraterie selon ce même droit. »

L'année suivante, un autre magistrat anglais, lord Stowell, se basa sur le précédent de l'Amadie pour condamner un autre bàtiment américain, la Fortuna, également arrêté pour fait de traite. En rendant son jugement, lord Stowell déclara qu'un navire américain devait être relâché dès qu'il prouvait sa nationalité; que toutefois il pouvait perdre ce droit par divers actes coupables; or, la décision concernant l'Amadie avait proclamé le principe que tout bâtiment faisant un commerce quelconque contre le droit des gens pouvait être confisqué, et le précédent de l'Amadie engageait la conscience du tribunal au point de lui faire prononcer la confiscation.

de lord Stowel.

Cas dn na

Louis.

1820. § 487. Cependant le même juge se prononça d'une façon toute vire français différente dans l'affaire du navire français Louis, capturé en 1820 par un bâtiment anglais et confisqué en vertu d'une sentence de la cour d'amirauté de la côte d'Afrique. Lord Stowell cassa cette sentence. Rejetant entièrement le précédent établi dans le cas de l'Amadie, il soutint que la traite des noirs ne constituait pas le crime de piraterie d'après le droit des gens, quoiqu'elle fût interdite par les lois anglaises; pour considérer la traite comme crime de piraterie, il faudrait qu'elle fût regardée comme telle par une convention entre les diverses nations...

Divergence de législation

rie.

§ 488. Cette divergence entre le droit des gens et les lois insur la pirate-térieures de certains États, quant à ce qui caractérise la piraterie proprement dite, ne doit pas être perdue de vue; car c'est pour n'en avoir point suffisamment tenu compte qu'ont surgi entre quelques gouvernements ces conflits qui avaient pour cause première la prétention d'ériger des maximes de philosophie et des doctrines de droit public en axiomes et en règles impératives de droit international.

Législation en France.

Il ne sera donc pas hors de propos d'analyser séparément la législation spéciale qui régit la piraterie chez les grandes puissances maritimes.

§ 489. Aux termes de la loi française du 10 avril 1825, «< sont poursuivis et jugés comme pirates: tout individu faisant partie de l'équipage d'un navire quelconque armé et naviguant sans être ou avoir été muni pour le voyage de passeport, de rôle d'équipage, de commissions ou d'autres actes constatant la légitimité de l'expédition...; tout individu faisant partie d'un navire français qui commettrait à main armée des actes de déprédation ou de violence soit envers des navires français, soit envers des navires d'une puissance avec laquelle la France n'est pas en état de guerre...; tout individu faisant partie de l'équipage d'un navire étranger qui, hors de l'état de guerre et sans être pourvu de lettres de marque ou de commissions régulières, commettrait lesdits actes envers des navires français. >>

Cette loi en résumé définit le crime de piraterie dans des termes tellement larges qu'elle embrasse évidemment des actes qui n'ont aucun titre à cette qualification: c'est ce que fait judicieusement remarquer M. Royer-Collard, professeur de droit des gens à la Faculté de Paris, quand il dit : « La piraterie peut être poursuivie par toutes les nations et jugée par leurs tribunaux conformément à leurs lois. Personne donc ne pensera que les tribunaux français, en

temps de paix, puissent juger et condamner l'équipage d'un navire étranger qui, n'ayant commis aucun acte de violence ou d'hostilité, naviguerait armé et sans passeports légitimes et réguliers, ou serait muni de commissions de différents États. >>

Etats-Unis.

§ 490. La législation de l'Angleterre et celle des États-Unis ont Législation de Ï'Angleégalement rangé parmi les actes de piraterie des faits et des délits terre et des qui ne doivent pas avoir cette signification. Ainsi, comme nous venons de le voir, elles attribuent à la traite des nègres le caractère de piraterie; cette doctrine a été d'ailleurs reconnue en 1841 par l'Autriche, la Prusse et la Russie.

espagnole.

§ 491. Les articles 27 et 29 de l'ordonnance espagnole de 1801 Législation sur la course établissent qu'on doit tenir pour pirate tout navire muni d'une fausse patente ou qui n'en a aucune, celui qui combat sous un autre pavillon que le sien, qui s'arme en course sans licence de son gouvernement, ou qui, sans y avoir été autorisé, reçoit patente d'un autre État, même allié de l'Espagne.

§ 492. Mais si, d'après les vrais principes du droit des gens, ni la traite des nègres, ni le fait de naviguer sans patente ou avec une patente fausse ne peuvent être considérés comme des actes de piraterie, il est beaucoup d'autres faits délictueux qu'on doit de toute justice assimiler à ce crime. Ainsi, par exemple, le vol et l'homicide commis à bord d'un navire en pleine mer ne constituent que des délits ou des crimes ordinaires, justiciables des seuls tribunaux du pays auquel le navire appartient; mais lorsque ces mêmes actes sont imputables à un équipage révolté, qui s'est violemment emparé du navire et dont la situation a par suite cessé d'être régulière et normale, ils se transforment en véritables faits de piraterie clairement et catégoriquement définis.

§ 493. La cour anglaise du Banc de la Reine (Queen's Bench) a eu, il y a quelques années, à juger une affaire de cette espèce. Il s'agissait du brick américain le Gerity, expédié de Matamoros en novembre 1863 avec un chargement de coton à destination de New York. A vingt-cinq lieues environ de la côte mexicaine plusieurs matelots se révoltèrent, s'emparèrent du navire, abandonnèrent le capitaine à la merci des flots dans un des canots du bord et se dirigèrent sur Belize (colonie anglaise), où ils vendirent le chargement, puis laissèrent là le navire. Trois des révoltés furent plus. tard découverts à Liverpool. Arrêtés en vertu du traité de 1842 (1), à la demande du ministre des États-Unis à Londres, ils alléguèrent

(1) Hertslet, v. VI, p. 853; State papers, v. XXX, p. 360; MartensMurhard, t. III, p. 456.

Résumé.

Jugements des tribu

naux.

Affaire du Ge

rity, navire

des Etats

Unis.

Affaire du navire fran

çais

qu'ils avaient agi comme citoyens des États confédérés du Sud, à qui la Grande-Bretagne avait reconnu le caractère de belligérants, et que par conséquent ils n'étaient pas responsables du crime qui leur était imputé. La cour refusa d'admettre cette exception de droit; elle qualifia de piraterie les faits accomplis à bord du Gerity, déclara que, selon le droit des gens, ils rentraient à ce titre dans la compétence des tribunaux qui s'en étaient saisis, et maintint les poursuites contre les coupables.

§ 494. Cependant, dans les cas de révolte et d'homicide commis A en pleine mer par des équipages de la marine marchande, la conEtats- naissance du crime n'appartient pas invariablement et de plein droit

lexandre

aux Unis.

Résumé,

au pays dans les eaux duquel le navire est fortuitement amené; elle peut être revendiquée, à la demande des intéressés, par l'État duquel le navire et les coupables dépendent en raison du pavillon, ainsi que les États-Unis l'ont eux-mêmes reconnu dans l'affaire du trois-mâts français l'Alexandre. Ce navire revenait de l'Inde à Bordeaux avec une riche cargaison, lorsque, par le travers du cap de Bonne Espérance, l'équipage excité par le subrécargue se révolta, massacra le capitaine et ses officiers, s'empara des espèces qui se trouvaient à bord et conduisit le bâtiment à New York, où il l'abandonna; les coupables se dispersèrent ensuite dans l'intérieur du pays. Instruit de ces faits, qui avaient aussitôt éveillé l'attention des autorités américaines, le gouvernement français, saisi d'une plainte formelle des armateurs de l'Alexandre, réclama auprès du cabinet de Washington la restitution du navire ct la remise des coupables avec toutes les valeurs dont ils s'étaient emparés. Le gouvernement des États-Unis n'hésita pas à faire droit à cette double demande; l'Alexandre, rendu aux intéressés, fut ramené à Bordeaux, et les révoltés, après avoir été extradés diplomatiquement, furent livrés à l'autorité française compétente, conduits à Brest, et finalement condamnés en cour d'assises au châtiment que méritaient leurs forfaits.

§ 495. On peut ainsi résumer la règle du droit des gens qui prévaut à l'égard des pirates :

Les pirates, n'ayant ni pavillon ni nationalité et étant ennemis de toutes les nations, peuvent être attaqués, pris et jugés partout et par tous les États.

Dans les cas de piraterie, la puissance qui les constate a le droit de les poursuivre et de les punir.

Le bâtiment et les individus qui le montent, étant dénationalisés, ne peuvent réclamer aucun privilège de nationalité.

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