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LIVRE V

PROPRIÉTÉ ET DOMAINE PUBLIC

Propriété de l'Etat.

§ 260. D'après l'esprit des lois romaines, il faut entendre par droit de propriété celui de faire usage, de jouir et d'abuser d'une chose, suivant sa nature. Nous n'avons pas à débattre ici les justes critiques dont cette définition a été l'objet de nos jours, ni à rechercher l'origine et la nature du droit de propriété. Pour le plan que nous nous sommes tracé, il suffit d'établir, en termes généraux, que la propriété est le droit exclusif à la possession d'une chose reconnue et sanctionnée par la société. Lorsque la chose sur laquelle repose ce droit appartient à une personne, à un groupe, ou à un corps particulier, il constitue ce qu'on appelle une propriété privée; quand il s'agit d'un Etat, il prend le nom de propriété et de domaine public, et est absolument distinct de la souveraineté et des prérogatives des gouvernants, ainsi que de la personne dans laquelle Distinction réside le pouvoir suprême; cependant on confond souvent dans le maine et la langage usuel le mot souveraineté avec celui de domaine dans divers cas où le terme « domaine complet» eût été mieux approprié. Sir Travers Twiss explique ainsi cette inconséquence consacrée par l'usage populaire :

entre le do

souverai

nete.

Les juristes romains n'ont pas marqué la distinction entre le dominium supremum (domaine souverain) et le dominium directum (domaine direct), adopté par l'école féodaliste, qui employait le premier de ces termes pour indiquer « le droit d'empire, autrement dit le droit conservé par le prince souverain, qui avait dévolu le dominium directum aux vassaux de son empire, en leur

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accordant des portions de son territoire. C'est ainsi que le mot dominium (domaine), auquel les juristes romains donnaient communément le sens de possession, est venu jusqu'à nous avec une signification incertaine que lui avaient attribuée les usages du moyen âge; et depuis que les tenures féodales ont été abolies, le dominium directum a pris place en quelque sorte parmi les droits de propriété, tandis que le dominium eminens (domaine éminent) du prince souverain a été désigné sous la dénomination de souveraineté, qui peu à peu a fini par signifier un rapport personnel entre un prince et ses sujets, et non un incident juridique de possession territoriale.

Le droit international est quelquefois embarrassé par les divergences qui existent entre le droit romain et le droit féodal, relativement à l'emploi des mots auxquels le droit romain, par droit de primogéniture, avait donné une signification scientifique, contre laquelle le droit féodal n'a pas osé se révolter ouvertement; mais il s'est contenté d'en dénaturer le sens rigoureux par des biais qu'il n'est pas toujours aisé de découvrir.

L'application du mot souveraineté à la question du Congo n'est pas sans précédent.

La République de Venise, à l'époque où elle acquérait des droits d'empire sur la Morée et sur la plupart des îles de la mer Egée et de la mer du Levant, ne reconnaissait point de souverain personnel.

La République française, qui en ce moment acquiert des droits d'empire sur de vastes territoires dans l'Afrique occidentale ne reconnaît point de souverain personnel.

C'est l'autonomie d'un Etat qui est le criterium de son indépendance, et non la circonstance qu'il est régi par un prince souverain; et c'est une tradition des temps passés, tombée en désuétude, qui prétend qu'il n'y a que des princes, souverains ou des associations munies par ces princes de chartes ou de lettres patentes qui puissent fonder, hors de l'Europe, des colonies ayant droit à être reconnues par les États étrangers le jour où elles auront les ressources nécessaires pour soutenir le caractère et remplir les devoirs d'États indépendants.

Certains publicistes ont, à tort suivant nous, attaché une valeur différente aux mots de propriété et de domaine; nous comprenons plutôt, à cause des conséquences qui en peuvent découler, la division de la propriété de l'Etat en biens dont il jouit en vertu du droit public intérieur, et en biens dont les lois ou des stipulations

Usucapion et prescription.

Opinion des publicistes.

les publicistes, nous ne traiterons ici que des moyens d'acquérir la propriété dont l'application se rencontre le plus fréquemment dans les rapports entre États constitués *.

§ 264. Peut-on, pour les peuples et les États, considérer l'usucapion et la prescription comme des modes réguliers et normaux d'acquérir la propriété? Si l'on admet que ces deux formes d'acquisition sont fondées et légitimes en droit naturel, on est logiquement conduit à soutenir qu'elles sont également conformes aux principes du droit des gens et que, dès lors, elles doivent aussi s'appliquer aux nations.

L'usucapion et la prescription sont mêmes, jusqu'à un certain point, plus nécessaires entre États souverains qu'entre particuliers. En effet, les démêlés qui s'élèvent de nation à nation ont une tout autre importance que les querelles individuelles: ces dernières peuvent se régler devant les tribunaux, tandis que les conflits internationaux aboutissent trop souvent à la guerre il faut donc, dans l'intérêt de la paix comme dans celui de la bonne harmonie entre les nations et des progrès du genre humain, écarter tout ce qui pourrait jeter le trouble dans le droit de possession des souverains, lequel, lorsqu'il a reçu sans conteste la consécration du temps, doit être regardé comme imprescriptible et légitime. S'il était permis, pour établir la possession primordiale d'un État, de remonter indéfiniment le cours des années et de se perdre dans la nuit des temps les plus reculés, peu de souverains seraient sûrs de leurs droits, et la paix ici-bas deviendrait impossible.

§ 265. Vattel fait remarquer à ce sujet que « puisque la prescription est sujette à tant de difficultés, il serait très convenable que les nations voisines se missent en règle à cet égard par des traités, principalement sur le nombre d'années requis pour fonder une prescription légitime, puisque ce dernier point ne peut être déterminé en général par le droit naturel seul. Si, à défaut de traités, la coutume a statué quelque chose en cette matière, les nations entre lesquelles cette coutume est en vigueur doivent s'y conformer. >>

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Grotius, Le droit, liv. II, ch. III, IV; Vattel, Le droit, liv. II, ch. vII, XI, XVIII; Wheaton, Elém., pte. 2, ch. IV, §§ 1, 4, 5; Martens, Précis, §§ 35 et seq.; Phillimore, Com., vol. II, §§ 221-227; Twiss, Peace, § 109; Heffter, §§ 69, 70; Ortolan, Domaine, §§ 53 et seq.; Rutherforth, Inst., b. I, ch. III, VIII; b. II, ch. Ix; Bowyer, Com., p. 370; Klüber, Droit, §§ 125, 126, Bello, pte. 1, cap. 1; Riquelme, lib. I, tit. 1, cap. 11; Halleck, ch. vi, §7; Burlamaqui, Droit de la nat., t. IV, pte. 3, ch. v; Vergé. Précis de Martens, t. I, pp. 125-128, 130-132; Creasy, First Platform, § 212,

Wheaton, qui prend pour base les principes du droit civil, admet aussi la parfaite légitimité de l'usucapion et de la prescription dans leur application aux États, et soutient que la possession non interrompue, durant un temps déterminé, d'un territoire ou de biens quelconques par un État exclut les droits de tout autre État sur le même territoire ou sur les mêmes biens.

Quant à nous, nous ne saurions partager les scrupules théoriques de certains juristes, et, pleinement d'accord sur ce point avec les deux autorités que nous venons de citer, nous sommes d'avis que l'usucapion et la prescription sont pour les États des titres tout à faits légitimes d'acquisition *.

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§ 266. L'acquisition d'un territoire peut aussi avoir lieu par la conquête, ou par une cession amenée par les nécessités de la guerre. tats fondent Ces modes d'acquérir sont considérés comme légitimes, surtout lorsqu'ils sont consacrés par des traités et par le consentement des populations, lequel peut s'exprimer sous différentes formes.

Les habitants peuvent être appelés à choisir, à opter entre l'ancienne et la nouvelle nationalité, de sorte que quiconque ne déclare pas vouloir conserver son ancienne nationalité est considéré comme ayant accepté la nouvelle. Par contre, les personnes qui font la déclaration requise, sont désormais considérées comme des étrangers dans le pays cédé, et peuvent être, en certains cas, contraintes à le quitter. C'est sur cette base que l'option a été accordée aux habitants des portions de l'Alsace et de la Lorraine annexées à l'Empire d'Allemagne, par le traité de paix de Francfort du 10 mai 1871.

On peut admettre les habitants à voter sur le fait de la cession, de sorte que si la majorité l'accepte, le vote est obligatoire pour le pays cédé tout entier. C'est ainsi que se sont consommées les annexions successives des divers États italiens au royaume de Sardaigne, devenu par suite le royaume d'Italie.

Vattel, Le droit, liv. II, ch. xI, §§ 141, 147, 151; Grotius, Le droit, liv. II, ch. Iv; Wheaton. Elém., pte. 2, ch. iv, § 4; Wolff, Jus gent., pp. 358 et seq.; Puffendorf, De jure, lib. IV, cap. xII; Phillimore, Com., vol. I, pte. 3, ch. XIII; Twiss, Peace, § 121; Martens, Précis, §§ 70, 71; Ortolan, Domaine, §§ 179-203; Klüber, Droit, § 125; Bello, pte. 1, cap. II, §6; Riquelme, t. I, lib. I, tit. 1, sect. 1, cap. II, pp. 27 et seq.; Garden, Traité, t. I, p. 397; Rutherforth, Inst., b. 1, ch. VIII; b. 2, ch. IX, §§ 3, 6 ; Rayneval, Inst., t. I, liv. II, ch. Ix; Cujas, Ad leg., 1 dig., De usucapione; Vergé, Précis de Martens, t. I, pp. 197-199; Gunther, Völkerr., t. II, p. 117; Dalloz, Répertoire, v. Prescription et Droit des gens; Merlin, Répertoire, v. Prescription; Pinheiro Ferreira, Précis de Martens, § 70; Polson, sect. 5, p. 28; Burke, Works., v. IX, p. 449; Creasy, First Platform, §§ 252-253; Dudley-Field, Projet de Code, p. 23.

leurs
de propriété.
Conquête,

cession.

Occupation de contrées désertes, d'alluvions.

Découverte.

Enfin le vote peut être limité aux représentants du pays cédé. Les conquêtes, ainsi légitimées ou reconnues ensuite par des traités, sont pour les États une des grandes sources d'acquisition et d'extension de territoire; on peut même dire que depuis les profondes atteintes portées au principe monarchique pur, qui admettait les translations de souveraineté par voie d'héritage, de donation, de vente, d'échange, de cession ou de mise en gage, la plupart des États européens n'ont pas d'autre titre que les annexions ou la conquête, suivie d'une possession prolongée, pour justifier leurs droits souverains sur ce qui constitue aujourd'hui leur domaine continental.

Toutefois, comme moyen d'agrandir le territoire national, nous mentionnerons encore le défrichement de contrées désertes qui n'en faisaient pas partie, l'occupation de terrains gagnés sur la mer, ou d'alluvions formées par les cours d'eau. Mais il peut arriver que ces dépôts de terre disparaissent emportés par les courants, que les côtes s'affaissent, que les rives des fleuves ou des rivières soient submergées, que la mer engloutisse de nouveau le terrain conquis sur elle; chacun de ces accidents a pour conséquence une diminution correspondante du territoire national.

Parfois aussi on a vu se former des îles sur des fleuves ou des rivières. Généralement ces terres nouvelles rentrent dans le territoire de l'État dont elles sont le plus proches. Si chaque rive du fleuve ou de la rivière appartient à deux États différents et que l'île, subitement créée en quelque sorte, surgisse au milieu du fleuve, les deux États riverains ont le droit de se la partager proportionnellement. Si l'île se forme à l'embouchure d'un fleuve, elle est naturellement la propriété de l'État riverain immédiat.

La découverte de l'Amérique et celles qui, vers la fin du moyenâge, ont été faites en Asie et en Afrique, ont introduit dans le droit international un nouveau mode d'acquisition et de possession: nous voulons parler de la priorité de découverte, de la première occupation et de la colonisation.

L'état des choses est bien changé depuis l'époque des grandes découvertes jusqu'à la fin du siècle dernier; il ne reste plus, à proprement parler, de contrées à découvrir, selon la portée exacte du mot; l'exploration, qui remplace la découverte, a déjà scruté presque tous les coins du globe; il n'est guère que quelques régions de l'intérieur de l'Afrique et quelques îles de l'Océanie qui aient jusqu'ici échappé à ses recherches.

Quoi qu'il en soit, il existe encore des territoires qui ne font

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