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rapport a été même poussé à un point tel que M. Thiers n'a pas craint de faire entendre du haut de la tribune du Corps législatif français, les paroles suivantes :

« A l'époque de l'expédition de Saint-Jean d'Ulloa (1839), le gouvernement français avait diminué considérablement le montant des réclamations de nos compatriotes; il les avait réduites à trois millions. Eh bien! lorsque le ministère des affaires étrangères dut faire la répartition de ces trois millions, il trouva qu'en réalité il n'avait que deux millions à payer. Il restait donc un million! qui plus tard fut employé à soulager d'autres souffrances (1).

Ces indemnités pécuniaires accordées sans liquidation ni examen préalable de leur légitimité, pour ainsi dire en bloc et à l'aventure, quoique toujours sous la menace d'un recours éventuel à la force. pour les faire prévaloir, se retrouvent à l'origine de tous les démêlés que l'Europe a suscités à l'Amérique pendant ces trente dernières années.

La question de principe ou de droit qu'impliquent les affaires d'indemnités pécuniaires se rattachant à l'examen des devoirs mutuels des États, qui font le sujet du livre XV (2), nous nous contenterons de faire remarquer ici qu'en droit international strict le recouvrement de créances et la poursuite de réclamations privées ne justifient pas de plano l'intervention armée des gouvernements, et que, comme les États européens suivent invariablement cette règle dans leurs relations réciproques, il n'y a nul motif pour qu'ils ne se l'imposent pas aussi dans leurs rapports avec les nations du Nouveau Monde.

et non-inter

§ 206. De l'exposé historique de l'intervention et des doctrines Intervention développées par les interprètes du droit international, il résulte que vention. l'intervention aussi bien que la non-intervention sont considérées. comme des principes du droit des gens; la discussion roule uniquement sur la question de savoir laquelle des deux est la règle. Il est permis toutefois d'augurer que, si l'on écarte la position exceptionnelle de la Turquie à l'égard des puissances de l'Europe dont elle a accepté la garantie, le système de la non-intervention paraît généralement prévaloir dans les relations politiques des États entre eux. § 207. Il est un point qu'il importe ici d'établir nettement. L'intervention étant l'emploi, la plupart du temps sans être

(1) Moniteur universel, no 191: Discours de M. Thiers sur l'expédition du Mexique, prononcé au Corps législatif dans la séance du 9 juillet 1867. (2) Voir le livre XV, Devoirs mutuels des États, § Un gouvernement n'est pas responsable des préjudices que les factions causent aux étrangers.

Demande

d'aide. Alliance.

Résumé sur le principe de l'intervention.

Droit de conservation.

demandé, de la force morale ou matérielle, ou des deux forces à la fois, pour obliger un peuple ou un gouvernement à changer de conduite politique, à modifier ses institutions, à renoncer à une révolution, etc., étant, en somme, une atteinte portée à l'autonomic nationale d'un État, il ne faut pas la confondre avec l'aide qu'une nation demande à une autre et en reçoit à l'appui d'un droit, dans le but, au contraire, de sauvegarder, de défendre cette autonomie, cette nationalité. Ce n'est plus là une intervention, mais une alliance contractée entre deux nations amies.

C'est dans ce sens, par exemple, que Pierantoni, dans son Histoire de l'étude du droit international en Italie, apprécie la participation de la France à la lutte engagée entre le Piémont et l'Autriche en 1859 : « Quoiqu'on dise improprement que la France est intervenue en 1859 dans la Lombardie, pour n'énoncer que le fait matériel de la descente des Français en Italie, et il est manifeste qu'il s'agissait d'une aide donnée à titre d'alliance par le gouvernement français. >>

En résumé, du principe de nationalité découle comme conséquence le principe absolu de la non-intervention; mais celui-ci n'exclut pas chez les nations le droit d'appeler l'aide d'autrui, quand elles manquent des forces suffisantes pour défendre leur indépendance ou pour reconquérir leur autonomie sur une domination étrangère.

Il ne faut pas non plus confondre la médiation avec l'intervention (1).

La pratique des nations autorise un État à proposer ses bons offices ou sa médiation pour apaiser soit les différends survenus entre deux ou plusieurs Etats, soit les dissensions intestines d'un pays. Lorsque la médiation offerte est librement acceptée, et, à plus forte raison, quand elle a été sollicitée, l'intervention qui peut s'ensuivre se justifie d'elle-même.

§ 208. Un des droits essentiels inhérents à la souveraineté et à l'indépendance des États est celui de conservation. Ce droit est le premier de tous les droits absolus ou permanents, et sert de base fondamentale à un grand nombre de droits accessoires, secondaires ou occasionnels; il constitue, on peut le dire, la loi suprême des nations ainsi que le devoir le plus impérieux des citoyens, et une société qui néglige les moyens de repousser les agressions extérieures manque à la fois à ses obligations morales envers les

(1) Voir livre XIX.

membres qui la composent et au but même de son institution *.

§ 209. Le droit de conservation comprend l'accomplissement de tous les actes indispensables pour repousser une agression et pour éviter un danger imminent. Ainsi, un Etat a le droit d'élever des forteresses dans l'intérieur de son territoire ou sur ses frontières extérieures, d'augmenter selon qu'il le juge convenable son armée et sa flotte, et de conclure des traités d'alliance et de subsides.

Dans la pratique toutefois, et par suite des relations de plus en plus intimes qui se sont établies entre les États, l'exercice de ce droit subit certaines restrictions, qui ne permettent pas d'ériger en principe inflexible de droit international la liberté absolue pour un État d'accroître indéfiniment des moyens de défense trop facilement transformés en moyen d'agression. Ainsi, par exemple, en vertu de la paix de Paris du 30 mars 1856 et d'une convention spéciale de la même date, la Russie a dû renoncer, d'une part, à entretenir des forces navales dans la mer Noire et à construire sur ses côtes des arsenaux de guerre, d'autre part, à fortifier les îles d'Aland, situées à l'entrée du golfe de Bosnie, à y créer et à y maintenir aucun établissement militaire ou naval.

C'est également par suite de stipulations conventionnelles qu'en 1748 on détruisit les fortifications de Dunkerque, qu'en 1831 on décida le démantèlement d'un certain nombre de forteresses belges construites en 1815, qu'en 1867 les grandes puissances concertèrent la démolition des fortifications du Luxembourg.

Les droits qui dérivent de celui de conservation trouvent également une limite dans les droits réciproques des autres États. Une nation qui sans nécessité évidente se livre à des préparatifs de guerre dans des proportions alarmantes pour la paix et l'indépendance des autres nations, autorise pleinement celles-ci à lui demander des explications et à la mettre en demeure de cesser des armements dont elle ne pourrait prouver le caractère inoffensif.

Dans les questions qui surgissent à ce sujet il convient de faire une distinction entre les armements défensifs et ceux qui ont un caractère marqué d'hostilité ou d'agression.

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Wheaton, Elem., pte. 2, ch. 1, § 2; Vattel, Le droit, liv. I, ch. xxiv, § 177; Twiss, Peace, § 99; Phillimore, Com., vol. I, § 210; Martens, Précis, § 116; Klüber, Droit, § 38; Garden, Traité, t. I, pte. 3, §5; Halleck, ch. iv, § 18; Ortolan, Régles, t. I, liv. I, ch. IV, pp. 49 et seq.; Polson, sect. 5.

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L'accroissement des forces militaires et navales d'un État au delà de certaines proportions peut, avec juste raison, éveiller l'attention des autres Etats et devenir une cause légitime de guerre. Il n'en est pas de même de la mise en état des forteresses, malgré la gravité d'une pareille mesure, parce qu'elle ne peut que bien rarement être considérée comme injurieuse, agressive ou dangereuse pour les autres Etats. On en peut dire autant de la création d'écoles militaires et du développement donné à l'instruction des troupes : pour ces objets, tout État souverain conserve une liberté absolue d'action et ne saurait être contraint de fournir des explications.

La nécessité de pourvoir à sa conservation et à la défense de ses institutions donne-t-elle à un État le droit d'empiéter éventuellement sur le territoire de ses voisins et d'y faire sentir l'action de sa souveraineté ? Quelle conduite pourra ou devra-t-il tenir dans le cas, par exemple, où le territoire contigu au sien sert de refuge, de point de ralliement aux factions politiques qui conspirent contre sa sûreté ou sa tranquillité intérieure ? Certains auteurs, et Phillimore est du nombre, soutiennent qu'en pareilles circonstances le droit de conservation domine absolument les autres droits avec lesquels il se trouve en conflit, et autorise pleinement à franchir les frontières pour disperser les rebelles ou les conspirateurs. Dans la rigueur des principes, nous croyons que c'est aller trop loin, favoriser les abus de la force et porter une grave atteinte au droit de souveraineté. Nous plaçant sur le terrain des obligations réciproques des États, nous sommes d'avis que le gouvernement qui n'empêche pas la formation sur son territoire de rassemblements hostiles à un pays voisin et ami, qui tolère des conspirations politiques, la préparation ou l'accomplissement d'actes destinés à devenir agressifs, manque à un de ses premiers devoirs internationaux et assume une responsabilité morale dont il peut lui être demandé compte. Si donc, mis en demeure de détruire de justes soupçons de négligence, même de complicité, il ne fournit pas d'explications satisfaisantes, ou n'adopte pas sans retard les mesures qui sont en son pouvoir pour faire respecter sa neutralité et conjurer les dangers qui lui sont signalés, l'État dont la sécurité est exposée à un péril imminent acquiert le droit incontestable de poursuivre jusque dans son foyer l'insurrection dont le voisin a refusé de le préserver. Sans doute l'acte qui s'accomplit alors perd tout caractère pacifique; toutefois il ne saurait être assimilé entièrement à l'état de guerre, mais plutôt classé parmi les

actes que les publicistes désignent sous le nom de guerre imparfaite *.

Wheaton, Élém., pte. 2, ch. 1, §2; Vattel, Le droit, liv. II, §§ 49,50, 52, 72; Grotius, Le droit, liv. I, ch. III, § 1; liv. II, ch. 1, § 3; Phillimore, Com., vol. I, §§ 211-213, 218, 398; Garden, Traité, t. I, pp. 254 et seq.; Martens, Précis, §§ 116-118; Twiss, Peace, pp. 144 et seq.; Bynkershoek, Quæst., lib. I, cap. xxv, § 10; Klüber, Droit, §§ 36-43; Kent, Com., vol. I, p. 22; Halleck, ch. iv, §§ 19-27; Polson, sect. 5; Vergé, Martens, t. I, pp. 318-320; Pinheiro Ferreira, Martens, § 118; Moser, Versuch, t. VI, pp. 403, 409; Burlamaqui, De la nature et des gens, t. V, pte. 4, ch. III; Rossi, Droit pénal, t. I, p. 147; Ortolan, Règles, t. I, pp. 49 et seq.; Pradier Fodéré, Vattel, t. II, pp. 20, 21; Heffter, pp. 476 et seq.; Martens, Recueil, t. II, p. 469; Cussy, Précis, ch. XII; Webster, Dip., pp. 104-120, 140-222; Jomini, Précis, ch. 11, sect. 1, § 1.

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