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Mais déjà l'esprit inventif des soldats avait paré à cet inconvénient les zouaves particulièrement, toujours aventureux, avaient dès le premier jour pénétré par petits groupes assez avant dans le pays; ils s'emparèrent d'abord d'un convoi de voitures chargées de bois; puis ils visitèrent quelques riches maisons de campagne situées à peu de distance des côtes, et bientôt les provisions de bouche arrivèrent de toutes parts; on ne s'en tint même pas aux vivres seulement, et dès le premier jour un zouave arrivait au bivouac salué par les éclats de rire de l'armée entière : coiffé d'un chapeau de femme des plus élégants, les épaules couvertes d'un riche cachemire et doucement assis dans un wiski attelé d'un cheval superbe, il s'avançait avec une gravité bouffonne capable de désopiler la rate des plus tristes spectateurs de cette apparition. Il raconta qu'étant entré dans une charmante habitation pour s'y rafraîchir il avait été obligé de se servir lui-même, n'ayant trouvé personne à qui parler; et pourtant les maîtres de cette maison ne pouvaient être loin, car un châle et un chapeau de femme étaient posés sur un piano, et, dans la cour, le cheval attelé attendait évidemment son maître,

• Ayant vainement appelé, ajoutait le hardi fourrageur, j'ai fini par me persuader que tout avait été ainsi préparé par mon hôte invisible en vue de m'être agréable et de m'éviter la fatigue du retour à pied; or, ayant l'esprit trop bien fait pour prendre la chose du mauvais côté, j'ai accepté de bonne volonté, et après une visite à la cave et une station à la cuisine je suis monté en voiture, et me voici (1)..

(1) Une grande partie des événements que nous rapportons nous ayant été rapportés par un zouave témoin oculaire, ainsi qu'on l'a vu au commencement de cet ouvrage, nous avons cru devoir ne pas passer sous silence ces petits détails, qui peignent si bien nos soldats.

(Note de l'Éditeur.)

Il y eut bien quelques coups de fusil tirés dans ces excursions non autorisées, et çà et là les Cosaques se montrèrent; mais nulle part ils ne tinrent pied. L'apparition des alliés avait produit un tel effet que, dès le 16, un poste russe de cinquante hommes, chargé de la garde d'un magasin, jetait les armes et se mettait à genoux à l'aspect de quelques-uns de nos fantassins n'ayant d'autres armes que leurs baïonnettes. Il est juste de dire cependant que cette panique dura peu : le prince Menchikoff, qui commandait alors l'armée russe de Crimée, parvint promptement à remonter le moral de ses soldats, et le moment approchait où les Français et leurs braves alliés allaient rencontrer des adversaires dignes d'eux.

Nous croyons devoir rapporter, en terminant ce chapitre, la lettre suivante d'un brave et jeune officier qui, deux jours après l'avoir écrite, mourait glorieusement sur le champ de bataille de l'Alma, lettre qui peint parfaitement l'esprit et l'ardeur de notre armée :

<< Au bivouac près Eupatoria, camp d'Old-Fort, 15 septembre.

«Ma chère sœur, nous avons tous débarqué en Crimée sans être inquiétés par l'ennemi. Nous partons demain à sept heures avec les Anglais et les Turcs; nous devons effectuer le passage d'une rivière défendue, dit-on, par vingt mille Russes. Tous les villages nous fournissent des bœufs, des moutons et des voitures avec la meilleure grâce possible. Les femmes d'Eupatoria, toutes habillées à la française, sont charmantes et nous baisent les mains, nous regardant comme des sauveurs. Le maréchal a prévenu que quiconque serait pris à marauder serait fusillé sur-le-champ et sans jugement.

Nous n'avons, depuis trois jours, que de l'eau de mer un peu dessalée par la filtration pour toute boisson; aussi espérons-nous boire demain de l'eau potable au nez de MM. les Russes,

« Le maréchal, en passant la revue hier, m'a dit : « Mon«sieur, vous portez un drapeau; mais j'espère bien que vous m'en apporterez un russe avec celui-là. » Je lui ai répondu que je ferais mon possible pour le contenter.

« Le porte-drapeau titulaire est passé lieutenant; mais, comme nous n'avons pas encore eu l'inspection générale, il est probable que celui qui était proposé pour cet emploi l'année dernière est nommé (il est au dépôt); dans tous les cas il arrivera après la bataille; et, si je ne suis pas tué, on ne sait pas ce qui peut arriver. Le choléra n'existe plus dans l'armée.

« Nous espérons commencer le siége de Sébastopol le 21 ou le 22; on dit que nous avons des intelligences dans la place. Toute la population de la Crimée est pour nous; à chaque instant les villages font leur soumission et apportent du bétail. Tu crois alors que nous faisons des économies, détrompe-toi; les habitants ne peuvent pas tout nous fournir, et les Grecs nous vendent de mauvais vin trois francs la bouteille juge du reste.

Je t'écrirai de Sébastopol ou de la tranchée.

« Ton frère qui t'aime,

« C.-W. POIDEVIN,

« sous-lieutenant au 39o de ligne.

CHAPITRE VI.

Position de l'armée russe. --- L'armée des alliés se met en marche. -Bataille de

l'Alma. Belle conduite du prince Napoléon.

Froide bravoure et héroïsme des Anglais.

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Intrépidité des zouaves. Lettre du maréchal de Saint-Arnaud

à l'empereur. Rapport du maréchal au ministre de la guerre récit d'un marin sur la bataille de l'Alma.

Curieux

Le choléra, qui avait si cruellement décimé nos soldats à Varna et à Gallipoli, disparut complétement de notre armée dès qu'elle eut mis le pied sur le territoire ennemi. Il n'en était pas de même parmi les Russes: le fléau continuait à sévir à Sébastopol. Menchikoff néanmoins se trouvait à la tête d'une armée nombreuse, aguerrie et parfaitement approvisionnée. Ce fut avec toutes ses forces qu'il prit position sur l'Alma, où il se retrancha de la manière la plus formidable; aussi disait-il, le 29 septembre au matin, en apprenant que l'armée alliée s'avançait, « qu'avant que le soleil fût couché il aurait jeté tous ces aventuriers à la mer. »

Ce jour-là aussi il écrivait au czar Nicolas :

« La position que j'occupe est telle, qu'une armée de deux cent mille hommes ne parviendrait pas à m'en déloger, » Et il devait ce jour-là même expier cette forfanterie. L'armée des alliés s'était mise en marche le 18, se diri

geant sur Sébastopol, mais espérant bien ne pas aller jusque-là pour rencontrer l'ennemi; car elle savait qu'elle aurait trois rivières à traverser, l'Alma, la Katcha et le Belbeck ; et il n'était pas probable que l'ennemi ne tentât point de profiter de ces obstacles. On fit peu de chemin ce jour-là à cause du manque d'eau, qui obligeait à faire de longues haltes là où il s'en trouvait quelque peu. Le 19, l'étape fut plus longue, et, lorsque l'on fit halte le soir, on n'était plus qu'à trois ou quatre kilomètres de l'ennemi.

Les Russes, ainsi que nous l'avons dit, étaient formidablement retranchés sur la rive gauche de l'Alma, à peu de distance de la mer. Cette rive est très escarpée; elle n'est en quelque sorte que la fin de la falaise qui borde la mer et qui se continue le long de l'Alma jusqu'à une grande distance dans les terres. Le camp retranché des Russes occupait la hauteur, ayant au centre une batterie de trente pièces de canon; c'était le centre de leur ligne. L'aile gauche n'atteignait pas la mer; le gros de leur armée formait l'aile droite. Soixantedix pièces de canon appuyaient les deux ailes. Les rampes étagées qui, du haut du plateau, descendaient jusque vers la rivière étaient occupées par dix bataillons, dont plus de la moitié portait le casque évasé de la garde impériale; une nuée de tirailleurs, armés de carabines, était répandue sur les flancs de la colline. Un corps nombreux de cavalerie se tenait à l'aile droite et à la réserve. En tout cinquante mille hommes à peu près.

C'est dans cette formidable position que l'armée francoanglo-turque trouva les Russes le 20 au matin. A onze heures et demie, elle était sur la rive droite de l'Alma. Le centre était formé par la troisième division, commandée par le prince Napoléon. L'aile droite, appuyée à la mer, se composait de la deuxième division, commandée par le général Bosquet, et de quatre mille Ottomans; et, à notre gauche, en face

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