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donc un conseil dans lequel, indépendamment des ministres, tous les hauts fonctionnaires de l'État furent admis, et ce conseil, à la majorité de quarante-deux voix contre trois, rejeta les dernières propositions de la Russie, dont les tendances étaient trop évidentes pour qu'on pût s'y tromper.

Avis de cette décision ayant été donné à l'ambassadeur extraordinaire, il dut se reconnaître vaincu; la retraite était donc le seul parti qu'il eût à prendre, et il s'y résigna d'autant plus facilement que c'était, de la part de la Russie, chose prévue et peut-être même désirée; car, pendant que toutes ces jongleries s'accomplissaient, le czar n'avait pas cessé de caresser la France et l'Angleterre et de leur prodiguer des assurances de modération et des promesses de toute nature, tout en cherchant à les désunir.

Le prince Menchikoff quitta Constantinople le 21 mai 1853, et il devint évident dès lors que tous les efforts de la diplomatie européenne seraient impuissants à empêcher la guerre d'éclater. Ce n'était pas que le sultan Abd-ul-Medjid se fît illusion sur les forces matérielles de la Russie; mais, confiant en son bon droit et sentant bien que sa chute frapperait d'un stigmate ineffaçable les puissances occidentales, il résolut de faire tête à l'orage et de tomber avec honneur plutôt que de s'incliner ignominieusement devant le colosse du Nord.

Tandis que les diplomates européens, réunis à Vienne, continuaient à s'agiter dans le vide, entassant protocoles et ultimatum les uns sur les autres, et que M. de Nesselrode, ministre des affaires étrangères de Russie, signifiait aux puissances européennes la résolution prise par le czar de maintenir par tous les moyens possibles le protectorat qu'il prétendait lui être acquis sur les sujets du sultan appartenant à l'Église grecque, des préparatifs de guerre se faisaient de toutes parts,

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Le 26 juin 1853, l'empereur Nicolas, s'appuyant sur le refus du traité demandé par le prince Menchikoff, publia contre la Turquie un manifeste menaçant; sept jours après, le 3 juillet, cent cinquante mille Russes passaient le Pruth et envahissaient la Moldavie et la Valachie, sans aucune déclaration de guerre préalable. Peut-être le czar s'attendait-il, de la part de la Turquie, en réponse à cet acte agressif, à quelque démonstration d'impuissante colère; il n'en fut rien ce fut avec le calme que donne le sentiment du bon droit que le cabinet ottoman se disposa à opposer la force à la force.

Le 25 septembre, le gouvernement ottoman convoqua un grand conseil où furent admis, indépendamment des dix-sept ministres composant le cabinet, deux cents membres civils et militaires, tous dignitaires de l'État et chefs d'administration. A ces hommes vieillis dans les affaires fut soumise la grande question de la paix ou de la guerre, et telle était l'évidence du bon droit de la Porte qu'après deux séances de dix heures chacune l'assemblée se déclara, à l'unanimité, pour le maintien des droits du sultan contrairement aux stipulations de la note de Vienne. Il fut en outre décidé que, tant que les Russes n'auraient pas repassé le Pruth, la Turquie devait se considérer en état de guerre contre eux.

Cette déclaration de guerre fut officiellement constatée dans le Journal de Constantinople du 4 octobre; le 8 du même mois, le grand vizir l'annonça par une proclamation pleine de dignité, de modération et du sentiment du bon droit qui l'avait dictée.

« Qu'il soit bien compris, était-il dit dans cette pièce, que cette guerre est une guerre contre un gouvernement qui, sans la moindre provocation, a violé les droits de l'indépendance de l'empire ottoman. Les relations amicales qui existent entre la Sublime Porte et les autres nations amies ne doivent pas souffrir la moindre altération par suite des con

séquences de cette situation. Personne donc ne doit molester les marchandises ou les sujets de ces puissances, quelle que soit leur religion. La vie, l'honneur et les propriétés des raïas doivent être sacrés comme les nôtres.

Le même jour, 8 octobre, Omer-Pacha, généralissime des troupes turques en Roumélie, écrivait au prince Gortchakoff, commandant en chef des troupes russes qui avaient envahi la Moldavie et la Valachie :

« Monsieur le général, c'est par ordre de mon gouvernement que j'ai l'honneur d'adresser cette lettre à Votre Excellence.

¢ Tandis que la Porte épuisait tous les moyens de conciliation afin de maintenir la paix en même temps que son indépendance, la cour de Russie n'a cessé de faire naître des difficultés, et elle a été jusqu'à violer les traités par l'occupation des Principautés de Moldavie et de Valachie, qui forment partie intégrante de l'empire.

« Fidèle à son système pacifique, la Sublime Porte, au lieu d'user de son droit de représailles, s'est bornée alors à protester, sans s'écarter de la voie qui pouvait encore mener à un arrangement. La Russie, au contraire, se gardant bien de montrer des sentiments analogues, a fini par rejeter les propositions recommandées par les augustes cours médiatrices et nécessaires à l'honneur comme à la sûreté du gouvernement ottoman. Il ne reste, par conséquent, à celui-ci que l'indispensable obligation de recourir à la guerre. Mais, puisque l'invasion des Principautés et la violation des traités qui l'accompagne sont les causes inévitables de la guerre, la Sublime Porte, pour dernière expression de ses sentiments pacifiques, invite Votre Excellence, par mon intermédiaire, à évacuer los deux Principautés, et elle vous accorde pour vous conformer à cette invitation un délai de quinze jours. C'est ce que j'ai l'honneur de faire savoir à Votre Excellence,

en saisissant cette occasion pour lui offrir les assurances de ma parfaite considération. »

Le prince Gortchakoff, ainsi qu'on devait s'y attendre, se borna à répondre qu'il ne pouvait qu'obéir aux ordres de l'empereur, son maître, en vertu desquels il occupait les Principautés.

Il ne s'agissait donc plus de négocier, mais de combattre. C'est alors que le gouvernement ottoman donna une preuve de sagesse et de modération digne d'être enregistrée dans l'histoire. Instruit que l'empereur Nicolas devait se rendre à Olmutz pour y avoir une entrevue avec le roi de Prusse et l'empereur d'Autriche, et que les diplomates espéraient encore que cette entrevue pourrait amener une solution pacifique, il s'empressa d'envoyer l'ordre à Omer-Pacha de rester sur la défensive jusqu'au 1a novembre, dans le cas où les hostilités ne seraient pas commencées lorsque cet ordre lui parviendrait. Mais lorsque le général ottoman reçut ce message le sang avait déjà coulé: le jour même où expirait le délai accordé au prince Gortchakoff pour évacuer les Principautés, attaqués dans le fort d'Issatchà qu'ils occupaient, sur la rive gauche du Danube, les Turcs, bien qu'inférieurs en nombre, s'y étaient vigoureusement défendus, et deux compagnies russes avaient été battues près de Tourtoukaï par un détachement d'infanterie égyptienne.

La lutte ainsi engagée devait avoir des conséquences immenses; ses résultats pouvaient changer non-seulement la face de l'Europe, mais celle du monde entier. Évidemmen l'heure de la réalisation des vastes et ambitieux projets de Pierre er n'était pas venue, et il était aisé de prévoir, à l'attitude des puissances occidentales, qu'elles avaient le sentiment de leur force et qu'elles étaient loin de cette décadence de l'empire romain qui avait amené l'invasion des barbares; mais la prospérité a cela de fatal qu'elle aveugle ses favoris,

et il arrive que les meilleurs esprits ne savent pas se garantir de l'espèce de mirage qu'elle produit. Telle était la situation morale de Nicolas et de son cabinet la fortune semblait s'être efforcée pendant quarante ans d'épaissir le bandeau qui couvrait leur vue.

L'étoile de la Russie commençait à pâlir,

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