Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

CHAPITRE II.

Question des Lieux Saints. Prétention de Nicolas au protectorat des chrétiens sujets du sultan. Le prince Menchikoff, ambassadeur extraordinaire à Constantinople. Conduite étrange de cet ambassadeur. tions. Menchikoff quitte Constantinople.

[ocr errors]

[ocr errors]

Rupture des négociaManifeste de l'empereur Nicolas.

Les Russes passent le Pruth. - Déclaration de guerre de la Turquie au czar. — Lettre d'Omer-Pacha au prince Gortchakoff. Modération du gouvernement ottoman. - Commencement des hostilités. ;

Examinons maintenant cette question des Lieux Saints qui a fait tant de bruit dans le monde et que la diplomatie semble avoir entourée à dessein d'un imbroglio inextricable. La voici dans toute sa simplicité.

Tout le monde sait que, depuis des siècles, les lieux consacrés par la naissance, la vie et la mort du Sauveur sont sous la domination de l'empereur de Turquié.

Par une tolérance qui fait le plus grand honneur aux enfants de Mahomet, les sultans ont constamment admis les chrétiens des diverses communions à faire leurs dévotions dans ces sanctuaires. Cela était bien; mais l'esprit de secte ne tarda pas à tout gâter, et depuis lors jusqu'à ce jour chrétiens du rite grec et chrétiens du rite latin n'ont cessé de réclamer, chacun de leur côté, des droits exclusifs et qui, en raison même de cette exclusivité, ne pouvaient pas avoir de durée. Appelés à prononcer sur des contestations sans cesse

renouvelées, les sultans, dont près de la moitié des sujets sont du rite grec, étaient naturellement portés à favoriser ces derniers; de leur côté les latins en appelaient au souverain de la France, seul capable de leur prêter un véritable appui.

Cette querelle sans cesse renaissante s'était considérablement envenimée dans ces dernières années, grâce à la Russie, qui, sous le prétexte de soutenir son Église prétendue orthodoxe, faisait tous ses efforts pour rendre le mal incurable.

Certes il était déraisonnable, absurde de rendre le sultan responsable de ces querelles en quelque sorte intestines; ce fut pourtant ce que fit le cabinet de Saint-Pétersbourg, et Nicolas, s'appuyant sur ces dissensions, prétendit imposer au souverain de la Turquie un traité qui lui eût donné, à lui czar, le protectorat de tous les sujets chrétiens de la Sublime Porte et dont les termes étaient tels qu'il eût presque équivalu à une abdication du sultan Abd-ul-Medjid en faveur du czar. Repoussées avec indignation, ces prétentions n'en furent pas moins maintenues par Nicolas, qui, pour les soutenir, nomma, vers la fin de 1852, le prince Menchikoff ambassadeur extraordinaire à Constantinople (1).

Cette nomination fut considérée comme un événement politique de la plus haute importance, et le prince ambassadeur, obéissant aux instructions qu'il avait reçues, ne négligea rien pour en augmenter l'apparente importance. Parti de Saint-Péterbourg vers le milieu de février, il se rendit d'abord en Crimée, où il passa en revue avec beaucoup de bruit et d'éclat l'immense flotte rassemblée dans la rade de Sébas topol, et où se trouvait rassemblée une armée de plus de cent mille hommes prête à entrer en campagne; puis à la

(1) Voir à la partie biographique de cet ouvrage la notice sur le prince Menchikoff.

suite de ces menaçantes démonstrations, il s'embarqua à bord du vapeur le Foudroyant, qui le conduisit à Constantinople, où il arriva le 28 février 1853.

. Rien n'avait été négligé, dit un historien, pour que l'entrée du prince dans cette capitale produisît une grande sensation. Stipendiés par les agents russes, plus de dix mille Grecs l'attendaient à Top-Hané, et lui firent, dès qu'il fut à terre, un immense cortége, aux acclamations duquel il se mit en marche pour se rendre à son hôtel, accompagné du prince Galitzin, aide de camp de l'empereur, du comte Dimitri de Nesselrode, fils du ministre des affaires étrangères, et de tout le personnel de la légation russe.

«En même temps que cette marche triomphale mettait Constantinople en rumeur, le bruit se répandait dans cette ville que la formidable flotte de Sébastopol se disposait à mettre à la voile; que plusieurs corps d'armée se concentraient en Bessarabie, et qu'une nombreuse avant-garde étajt arrivée sous les murs d'Iassy.

<< Tout ce fracas eut en partie l'effet qu'en attendait le prince ambassadeur, c'est-à-dire que les musulmans en parurent visiblement émus. Grâce aux Grecs soudoyés par le czar, on se faisait depuis longtemps déjà, en Turquie, un fantôme mons, trueux de la puissance militaire des Russes; on y prenait à la lettre ces énonciations hyperboliques qui portaient l'ensemble des divers corps d'armée de l'empereur Nicolas à douze cent mille hommes, et qui montraient ses flottes assez fortes pour subjuguer à elles seules le monde entier.

« Mettant à profit cette disposition d'esprit des enfants de Mahomet, le prince Menchikoff donna immédiatement essor à son humeur violente et despotique. Dès le lendemain de son arrivée il envoya ses lettres de créance à Fuad-Effendi, ministre des affaires étrangères du sultan; vingt-quatre heures après il sortit de son hôtel pour se rendre à la Porte.

On put dès lors se convaincre que le prince avait surtout compté, pour le succès de son ambassade, sur le système d'intimidation qui déjà tant de fois avait réussi au cabinet russe. Se dépouillant tout à coup de cette auréole de grandeurs dont son débarquement avait été environné, Menchikoff se rendit au palais dans un costume civil d'un négligé inouï et sans aucune décoration.

Le grand vizir, par patriotisme, se montra insensible à ces procédés outrageants. La conférence ne dura que quelques instants, après lesquels le prince sortit pour retourner à son hôtel. On lui fit alors observer qu'il était d'usage qu'un ambassadeur, après avoir été reçu par le grand vizir, fît visite au ministre des affaires étrangères.

« Ce ministère était alors occupé par Fuad-Effendi, un des hommes d'État les plus remarquables de notre temps et qui à une grande perspicacité joint une entente parfaite des affaires et des connaissances très étendues. Fuad-Effendi est commandeur de la Légion d'honneur; il parle le français et l'anglais avec une grande facilité, et dans diverses missions diplomatiques dont il a été chargé depuis dix ans il a rendu. à son pays de très grands services. C'est lui qui, en 1849, fut nommé ambassadeur extraordinaire à Saint-Petersbourg pour régler les affaires des Principautés danubiennes. Il put alors étudier la Russie, se faire une juste idée de ses forces, de ses moyens d'action, et bientôt convaincu que l'on avait partout une opinion exagérée des ressources de cette puissance, il n'avait cessé jusqu'alors de combattre les injustes prétentions de l'autocrate.

Le prince Menchikoff n'ignorait rien de tout cela; il savait parfaitement que Fuad-Effendi était, à Constantinople, l'adversaire le plus redoutable qu'il eût à combattre; aussi avait-il résolu de ne rien négliger pour le renverser. Il répondit donc à l'introducteur des ambassadeurs, qui l'invi

tait a entrer chez le ministre des affaires étrangères, dont les appartements sont situés près de ceux du grand vizir, qu'il ne voulait rien avoir à démêler avec un homme sans foi comme l'était Fuad-Effendi ; que c'était à ce dernier que l'on devait la prolongation des débats que lui, prince, avait mission de terminer, et qu'il était résolu à ne pas traiter avec lui.

«L'insulte était d'autant plus grave que ces paroles méprisantes et dédaigneuses furent prononcées à haute voix devant plusieurs grands fonctionnaires et au milieu des soldats qui faisaient la haie sur le passage de l'ambassadeur.

« Fuad-Effendi ne pouvait rester sous le coup d'un pareil outrage; ne voulant pas augmenter les embarras de la situation, il donna aussitôt sa démission, et les instances les plus pressantes ne purent le déterminer à accepter un autre portefeuille (1). >>

Gonflé de ce premier succès et continuant à s'affranchir des convenances diplomatiques et des plus simples règles de la politesse, Menchikoff fit bientôt connaître au gouvernement ottoman qu'il était venu pour obtenir un traité qui garantît au czar les priviléges qu'il réclamait en faveur du culte gréco-russe et le maintien de ce qu'il prétendait avoir toujours existé, et qui, ainsi que nous l'avons dit, eût donné à Nicolas le protectorat de la moitié des sujets du sultan.

Contrairement à l'espoir du prince Menchikoff, ses prétentions, les rodomontades, les menaces de rupture dont il les accompagna n'eurent aucun succès. Le cabinet ottoman sentit qu'il était temps d'en finir et de faire comprendre, une fois pour toutes à l'ambassadeur extraordinaire que ses efforts, tendant à compromettre l'indépendance de l'empire turc, ne pouvaient avoir aucun succès. On convoqua

(1) L'Orient défendu, par NOEL Ségur.

« ZurückWeiter »