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Ainsi que nous l'avons dit, quelques heures après avoir lu cette note Napoléon Ier gagnait la grande bataille d'Eylau; quatre mois plus tard il achevait d'écraser les Russes et les Prussiens à Friedland; mais alors, soit qu'il se crût assez fort pour braver la ruse et l'astuce de ses plus implacables ennemis, soit que l'enivrement de ses dernières victoires lui eût fait oublier la note de Talleyrand, Napoléon eut le malheur de se laisser séduire par l'apparente bonne foi d'Alexandre I", et la paix de Tilsitt fut signée. « Alexandre quitta Napoléon en le comblant de témoignages d'admiration, de protestations affectueuses. Le czar avait parfaitement joué son rôle ; il avait trompé Napoléon lui-même. . Mais, comme l'avoua plus tard un des confidents dévoués • d'Alexandre, il fallait à tout prix éloigner pour le moment « la guerre de l'Europe; il fallait gagner le temps nécessaire « pour se préparer à soutenir avec avantage une nouvelle ⚫ lutte contre un ennemi aussi habile, aussi puissant (4).

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On a vu plus haut que le cabinet russe ne perdit pas son temps et que jusqu'à nos jours, tantôt ouvertement quand il se croyait le plus fort, tantôt ténébreusement lorsque les secousses politiques de l'Europe le faisaient trembler, il ne cessa de marcher vers le but indiqué par Pierre Ia: LA DOMINATION DU MONDE !

Plus de quarante années s'écoulèrent ainsi sans que la Russie, bien que toujours prête à profiter des événements qui pourraient lui être favorables, osât pourtant frapper un coup décisif. Ce fut seulement en 1851, alors que le géninapoléonien, en étendant son égide sur la France, eut rassuré tous les souverains de l'Europe, que le czar Nicolas osa revenir tout à fait, non ostensiblement, mais sans trop de précautions oratoires, aux projets de conquête de Pierre Ier.

(1) FERDINAND DURAND, Evénements politiques et militaires contempor atns.

D'abord il chercha à insinuer à l'ambassadeur anglais, sir Hamilton Seymour, que l'empire de Turquie en était venu à un tel point de marasme que son anéantissement prochain était inévitable:

« C'est un homme gravement malade, disait le czar, qui peut mourir d'un jour à l'autre et rester sur les bras de l'Europe..... Nous ne pouvons pas ressusciter ce qui est mort; si l'empire turc tombe, il tombera pour ne plus se relever..... Je désire voir se maintenir le pouvoir du sultan; mais s'il le perd, c'est pour toujours...... L'empire ottoman est une chose qu'on peut tolérer, mais non pas reconstruire, et je vous jure que je ne souffrirais pas qu'on brûlât une seule amorce en faveur d'une pareille cause. »

Il ne fallait pas avoir une grande dose de perspicacité pour comprendre que ces paroles étaient plutôt une menace qu'une prédiction, et le czar n'annonçait ainsi la mort prochaine de l'empire ottoman que parce qu'il avait l'espoir et la volonté de l'anéantir; aussi sir Hamilton Seymour, en transmettant ces paroles à son gouvernement, faisait-il observer qu'il ne pouvait être douteux qu'un souverain qui insistait avec une telle opiniâtreté sur la chute d'un État voisin n'eût arrêté dans son esprit que l'heure était venue non pas d'attendre sa dissolution, mais de la provoquer, observation confirmée par le ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, lord Clarendon, lequel dit, après avoir lu la dépêche de l'ambassadeur, que rien n'était plus propre à précipiter la chute de la Turquie que de dire sans cesse qu'elle sera prochaine.

Ainsi la ruse et la perfidie russes commençaient à se décéler en attendant qu'elles se montrassent au grand jour, appuyées sur les immenses forces militaires que le czar rassemblait depuis longtemps.

Telle était la situation des choses vers la fin de 1852: la Russie se croyait d'autant plus şûre du succès de la spolia

tion qu'elle méditait qu'elle s'était assurée de la neutralité de la Prusse, les souverains de ces deux puissances étant unis par des liens de famille, et que l'Autriche, encore mal remise de la terrible insurrection qui l'avait mise en péril, pouvait se croire l'obligée du czar, dont les armes l'avaient si puissamment secourue dans ces derniers temps. Pour entrer en campagne il ne fallait plus qu'un prétexte; le cabinet russe le trouva dans la question des Lieux Saints, question pendante depuis longues années, que la diplomatie avait semblé prendre à tâche d'embrouiller de plus en plus, bien qu'elle fût de la plus grande simplicité, ainsi que nous essaierons de le démontrer plus loin.

Disons ici que cette conduite du czar fut l'objet d'un blâme général, blâme à coup sûr bien mérité, ainsi que le constatent ces lignes d'un illustre écrivain, qui, lui aussi, fut pendant quelque temps l'arbitre des destinées d'un grand peuple et peut-être de celles de l'Europe entière (1) :

«La sagesse de Nicolas lui échappa tout à coup en plein repos de l'Europe. Il jeta les dés de la guerre universelle au monde; il quitta sans prétexte le beau rôle de conservateur de l'ordre européen pour prendre le rôle téméraire d'agitateur de l'univers.

« Nous ne devons pas dissimuler qu'il fut malheureusement provoqué à exercer une certaine prépotence russe à Constantinople par la prépotence inopportune et impolitique et les complaisances très intempestives que des moines exigeants de la Terre Sainte nous firent afficher nous-mêmes dans le divan....

« ..... Nous fimes une faute; mais la Russie fit un crime en représailles de cette faute. Ce crime fut d'autant plus crime que nous revinmes promptement nous-mêmes sur notre faute,

(1) DE LAMARTINE, Epilogue de l'Histoire de Russie.

et que nous enlevâmes par là tout prétexte à la Russie de persévérer dans son crime et d'attaquer la Turquie au cœur. Pourquoi ? Parce qu'elle avait été faible devant les forts et parce qu'elle avait condescendu par contrainte à quelques exigences de situation envers nous ! Etait-ce là de la justice? Non, c'était de la politique judaïque, qui se vengeait sur le faible de l'offense qu'elle avait reçue du fort.

<< Nous croyons fermement qu'après avoir honoré l'avènement de Nicolas la Russie accusera bientôt sa mémoire. L'Europe dormait, il l'a réveillée en sursaut..... Malheur à qui réveille la conscience de l'Europe. L'opinion de l'Europe aujourd'hui, c'est le destin; l'opinion du monde est unanime contre le dernier acte de la vie de l'empereur Nicolas.

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Quelle que soit la lutte plus ou moins longue, plus ou moins sanglante, plus ou moins heureuse pour nous qu'il a engagée sur l'existence de l'empire ottoman, la Russie ne peut que perdre à cette politique, perdre de l'estime, perdre des alliances, perdre du temps, perdre des hommes, perdre des mers, perdre du commerce, perdre des provinces! L'ambition qu'elle a démasquée trop tôt d'étendre sa domination sur Constantinople a noué en un seul jour la plus terrible ligue que ses ennemis pussent rêver contre elle, la ligue de la France et de l'Angleterre, la ligue des mers et du continent. Il ne fallait rien moins que le danger suprême de Constantinople aux mains des Russes pour faire disparaître ou ajourner toutes les causes de division et de rivalité secondaires entre ces deux grands peuples, et pour les unir en une seule flotte, en une seule armée, en un seul trésor. L'empereur Nicolas a accompli ce prodige.

« De ce jour, le fameux système continental, projeté par Napoléon contre l'Angleterre, est accompli; mais il est accompli contre la Russie. Elle vivait d'exportation de ses produits agricoles: elle ne peut plus ni vendre ni acheter; la

mer, qui est le bazar flottant du monde, lui est fermée par ses deux portes, la Baltique et la mer Noire. Un blocus l'étouffe à l'embouchure de ses fleuves depuis la Néva jusqu'au Don et au Danube. Tous ces ports, tous ces forts et tous ces vaisseaux qu'elle avait construits depuis un siècle sur le littoral de la mer d'Azof, de la Crimée, du Kouban, du Caucase, comme autant d'avant-postes de ses conquêtes d'Europe et d'Asie, tombent sous le canon des coalisés pour l'empire ottoman. A la place des Tartares, qu'elle méprisait ou qu'elle asservissait, elle a appelé les Français, les Anglais, les Piémontais, et elle rappelle les Turcs en Crimée. »

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