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PHILOSOPHIE.

D'UNE APPLICATION DE L'ONTOLOGISME

A LA CERTITUDE,

A PROPOS D'UN OUVRAGE DE M. UBAGHS.

{ Legione sen Philosophiae naturalis Elemonia)

Quinta editio.

I.

La logique formelle n'envisage les idées que sous un point de vue abstrait, elle ne les considère qu'autant qu'elles sont les principes régulateurs des opérations de l'esprit, abstraction faite de toute réalité extérieure. La pensée pure n'atteint pas par elle-même la réalité; toutes les fois que la pensée s'applique à une vérité objective, elle la suppose acquise par une perception antérieure de la raison. On pourrait consumer toute sa vie à penser sans jamais rien connaître; si l'on n'admet la réalité à priori la pensée ne pourra jamais y conduire. Il est nécessaire que les réalités sensibles et intelligibles, que le monde, que Dieu, que tout l'ordre métaphysique et moral soient connus dans une perception directe de la raison, sinon il nous sera impossible de jamais y atteindre. « L'unique moyen d'arriver à la réalité, dit Tits, c'est de partir de la réalité. » Si le principe n'est que subjectif, si l'idée n'est qu'un tout purement idéal, que voulez-vous que l'analyse, même la plus subtile, y découvre, sinon des éléments d'une nature également idéale, sinon des notes constitutives d'une notion logique? Sans doute l'analyse est d'une admirable valeur, d'un singulier secours pour faire l'inventaire

de nos richesses intellectuelles, pour mettre de la liaison, de l'ordre dans nos connaissances; alors toutes les existences étant données, l'analyse se borne à en tirer ce qui s'y trouve contenu, et à mettre dans un plus grand jour ce qui est comme caché et renfermé dans l'intuition primitive.

Les arguments ne produisent pas la lumière, n'enfantent pas l'évidence, ils ne font que la montrer aux yeux de l'esprit. Ainsi quant à l'existence de Dieu, l'idée en étant admise comme réelle, toutes les preuves que l'on apportera en sa faveur auront une valeur incontestable pour présenter cette idée sous un aspect plus saisissant, pour la préciser, la déterminer. L'existence de Dieu est une vérité primitive et originaire de la raison et naturellement connue de l'homme avant que l'homme songe à philosopher. L'idée de l'infini c'est la base même de la raison, la lumière qui illumine tout homme venant en ce monde, véritable soleil de l'intelligence, dont les rayons divins, répandus sur l'universalité des choses rendent les choses intelligibles. La véritable raison pour laquelle l'homme est sûr de l'existence du bien, c'est cette idée même du bien. Mais cette idée n'est ni inférieure, ni postérieure à toute autre idée. Elle n'est pas postérieure à une autre idée, elle est au contraire primitive, puisque c'est par l'idée de l'infini que l'on conçoit le fini, le parfait précède l'imparfait, comme la lumière précède les ténèbres; le néant ne se conçoit que par l'ètre. « Comment entend-on la privation, dit Bossuet, si ce n'est par la forme dont elle prive? Comment l'imperfection, si ce n'est par la perfection dont elle déchoit? » L'idée de Dieu n'est pas non plus inférieure à une autre idée ; les idées absolues en général, loin d'être plus compréhensives que l'idée de Dieu, ne sont pour ainsi dire elles-mêmes que des faces de Dieu, que les différents points de vue sous lesquels notre esprit envisage l'infini. Si elle est la plus compréhensive des idées, il s'en suit qu'on ne saurait la déduire d'une autre. Il suit de là aussi à parler rigoureusement, que l'existence de Dieu ne saurait être démontrée, parce que pour cela il faudrait un principe supérieur à la chose à démontrer, principe qui devrait renfermer en soi Dieu comme conséquence. Or, un pareil principe n'existe pas, et ne peut exister en aucune façon, la lumière divine n'admettant pas de flambeau antérieur à elle-mème. Hâtons-nous de dire aussi que

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Dieu n'a pas besoin d'être démontré pour que l'homme soit assuré de son existence. En effet, l'idée de l'infini est une idée de la raison; toute intelligence dans son état normal jouit du bienfait de cette idée qui nous est intime, et qui luit sans cesse aux regards de la raison. Et néanmoins tous les philosophes donnent des démonstrations de l'existence de Dieu. C'est vrai, et ce n'est pas nous qui les blâmerons de tourner les spéculations de la pensée vers ce noble but. S'il est vrai de dire qu'une démonstration de l'existence de Dieu est impossible en ce sens que la connaissance de Dieu nous manquerait avant la démonstration même et devrait être considérée comme un résultat de cette dernière, il faut d'autre part reconnaître que la réflexion peut beaucoup quand elle s'exerce sur l'idée primordiale, que tous les arguments apportés par elle ont une grande force quand ils ont pour base la perception immédiate de la vérité divine.

II.

Descartes ne tient aucun compte des principes que nous venons d'exposer. La perception directe et immédiate de la réalité par la raison, n'est pas un élément de la philosophie: c'est là la source de toutes les lacunes, de tous les défauts, de toutes les erreurs de son système. Descartes possédait à un haut degré l'esprit géométrique; mais l'intuition ontologique lui a fait défaut. Frappé d'une part de la stérilité, de l'impuissance de la philosophie et des nombreuses erreurs dont le tissu forme pour ainsi dire son histoire, épris d'autre part d'admiration pour l'exacte précision, pour la rigueur inflexible des calculs mathématiques, Descartes se demanda en présence des vicissitudes de la pensée humaine, s'il n'y aurait pas moyen de fonder la philosophie de manière à l'asseoir sur des bases solides et inébranlables, et de conduire enfin l'esprit humain à la terre promise de la vérité; il crut trouver dans les mathématiques la vraie méthode de philosopher. Il commence par exiler de son esprit toutes les idées, toutes les connaissances auxquelles jusqu'alors il avait ajouté foi. Écoutez-le plutôt? « Ce n'est pas d'aujour<d'hui que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j'ai reçu une foule de fausses opinions pour véritables et que ce que j'ai fonde

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depuis sur des principes si mal assurés ne saurait être que fort dou<< teux et incertain, et dès lors j'ai bien jugé qu'il me fallait entre

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prendre sérieusement une fois en ma vie de faire table rase de toutes << les opinions que j'ai reçues auparavant dans ma créance, et de commencer tout de nouveau dès le commencement si je voulais quelque << chose de ferme, de constant dans la science. Aujourd'hui donc je m'applique sérieusement et avec liberté à détruire généralement << toutes mes anciennes opinions (1). ›

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Et voilà Descartes qui s'en va doutant de tout. « Nous douterons en

premier lieu de toutes les choses qui sont tombées sous nos sens...,

« ensuite nous douterons aussi de toutes les autres choses qui nous ont

« autrefois paru très-certaines, même de démonstrations mathémati

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ques et de principes, parce que nous avons ouï dire que Dieu qui nous « a créés peut faire tout ce qui lui plait, et que nous ne savons pas en* core si peut-être il n'a pas voulu nous faire tels que nous soyons toujours trompés même dans les choses que nous croyons le mieux con« naître (2). » Il faut remarquer ici que tous les arguments que Descartes avance en faveur du doute, sont les mêmes que les sceptiques apportent contre la possibilité de s'assurer de la vérité objective. Il va jusqu'à dire : « Enfin je suis contraint d'avouer qu'il n'y a rien du tout << dont je ne puisse en quelque façon douter, et cela non pas par inconsidération et par légèreté, mais par des raisons très-fortes et mùre«ment considérées, de sorte que dorénavant je ne dois moins sérieuse<<ment m'empêcher d'y donner créance, qu'à ce qui serait manifeste«ment faux .... » « C'est du doute universel que comme d'un point fixe «<et immobile que j'ai résolu de tirer la connaissance de Dieu et de tout «< ce que renferme le monde (3). » On a peine à croire comment un esprit sérieux puisse s'oublier à ce point. Descartes doute de tout, même des principes, même des vérités mathématiques. Mais alors quel refuge lui reste-t-il? d'où tirera-t-il la certitude à la recherche de laquelle il veut se livrer, à laquelle son âme aspire? Depuis quand est-ce que le

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(1) Méd., tom. I, pag. 255.

(2) Principes de la philosophie, tom. III, pag. 54.

(3) Tom. XI, pag. 553.

néant peut produire l'être ?..... Cependant Descartes croit être parvenu à la démonstration rigoureuse de l'existence de son moi, de sa personnalité. Passons condamnation sur le paralogisme où tombe Descartes quand il prétend avoir démontré son existence, après qu'il a déclaré précédemment qu'il pouvait douter de tout, même de principes, et de mathématiques, c'est au nom de ces principes qu'il entend sortir de son doute: cela se conçoit-il? Celui qui doute en principes est condamné à rester dans son doute, à rester muet, où s'il veut dire un mot, il doit se contenter de dire: Je doute. Descartes s'imagine avoir trouvé dans le famaux, Je pense, donc je suis, le principe général du vrai critérium, la marque de la vérité, l'évidence en un mot, mais l'évidence mathématique, l'évidence qui conduit l'esprit à une certitude absolue dont le contraire est impossible, dont l'opposé emporte contradiction. « Celui

qui cherche le chemin de la vérité ne doit pas s'occuper d'un objet «dont il ne peut avoir une science égale à la certitude des démonstra«<tions mathématiques » Descartes applique ensuite le procédé géométrique à la démonstration de l'existence de Dieu : « Pour moi, dit-il,

j'ose bien me vanter d'avoir trouvé une preuve qui me satisfasse en«<tièrement et qui me fait voir plus clairement que Dieu est, que je ne «sais la vérité d'aucune proportion géométrique. » Or, cette preuve la voici : J'ai l'idée d'un être tout parfait, or l'existence est une perfection, donc l'être tout parfait existe nécessairement. Mais cet argument est dénué de toute valeur ontologique, dans le système de Descartes. En effet puisque le fondement de la philosophie est pour Descartes la conscience de soi, car de sa pensée et des idées qu'il y découvre, l'idée de Dieu est donc pour Descartes purement interne, subjective, un fait de conscience. Comme la seule règle qu'il ait admise, malgré son doute, en dépit de lui, pour reconnaître la vérité, est d'affirmer ce qui est contenu dans une idée claire et distincte, il ne pourra affirmer de Dieu son existence que pour autant que cette existence sera renfermée dans l'idée claire de Dieu; l'existence de Dieu ne sera géométriquement démontrée qu'à condition que l'existence soit une propriété nécessairement inhérente à l'idée, comme la rondeur à un cercle. Or, tout est purement formel dans la pensée de Descartes; l'idée de Dieu interne, et inhérent à l'esprit ne peut constituer dans son système, qu'un tout purement idéal; alors

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