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QUELQUES

RÉFLEXIONS SUR L'ANNÉE 1855.

Il existe dans le monde deux grandes choses dont les destinées sont étroitement unies : c'est l'Église et l'État; c'est la société religieuse et la société civile. Quand l'Église souffre, l'État est ébranlé; et quand l'État est ébranlé, il tourne instinctivement ses regards vers l'Église dont il attend son secours et son salut. Il y a ainsi entre eux une action et une réaction réciproques dont le mouvement compose toute l'histoire de l'humanité.

Envisagée à ce point de vue, l'année 1855 n'est plus ce tableau tristement monotome d'une guerre formidable, de batailles gagnées ou perdues, de villes ruinées, de sang répandu; ce n'est plus le spectacle dérisoire, s'il n'était avant tout affligeant, de l'agitation stérile d'une diplomatie impuissante. Aux regards de l'observateur attentif, s'offre quelque chose de plns élevé, de plus imposant que tout cela; c'est la marche et les destinées de l'humanité à travers toutes les révolutions et toutes les catastrophes.

On n'attend pas de nous que nous essayions de dresser le bilan politique et religieux de la période qui vient de se clore. En supposant même que cette tâche ne soit pas au-dessus de nos forces, nous ne saurions circonscrire un pareil travail dans les limites d'un bulletin périodique. Tout ce que nous pouvons faire, après avoir indiqué le point de vue sous lequel l'année 1855 doit être considérée pour apparaître dans toute son importance sociale, c'est de soumettre à nos lecteurs quelques aperçus sur la grande question du moment. Nous aurons ainsi l'avantage de répondre aux préoccupations du public, tout en inaugurant la chronique que nous nous proposons de publier à la fin de chaque numéro de cette Revue.

L'homme s'agite et Dieu le mène, cette grande pensée semble être faite tout exprès pour notre temps. Jamais événements plus grandioses et plus terribles n'avaient absorbé l'activité de l'homme d'État et les préoccupations du citoyen; et jamais non plus la conduite de la Providence n'a été plus visible et plus éclatante.

Depuis quelques années, le schisme prédominait politiquement dans le monde.

La Russie tenait sous ses pieds l'empire ottoman, imposait son influence à l'Allemagne, et la faisait reconnaitre par l'Europe tout entière. L'Angleterre agitait les petits États au profit de son égoïsme, opprimait les faibles, encourageait les menées révolutionnaires en Italie, faisait de la propagande protestante directement par ses missionnaires et ses bibles, indirectement par ses libelles contre le Saint-Siège. La France et l'Autriche, la fille ainée de l'Église et l'Empire apostolique, assistaient presque immobiles à ce spectacle, obligées qu'elles étaient de se replier sur elles-mêmes, de renoncer à toute initiative au dehors pour faire face aux dangers qui les menaçaient à l'intérieur.

Voilà la situation de l'Europe il y a trois ans. Qu'on l'examine aujourd'hui et qu'on juge!

La Russie a perdu son influence extérieure. Elle subit la loi de ceux à qui elle aurait pu la dicter. L'Église grecque que les Czars espéraient s'asservir tout entière, reste libre en Turquie. La Pologne est l'objet de sages ménagements. Le schisme russe en un mot a perdu son arrogance, son ascendant, et plus que tout cela sa puissance d'extension.

Voyez l'Angleterre. Elle est humiliée à ses propres yeux et l'Europe qu'elle dominait de concert avec la Russie, la contemple maintenant étendue sur ses plages, blessée au cœur, s'efforçant de ranimer la vie dans son sein, après avoir troublé si longtemps le continent de son exubérante vigueur. Associée à la France conservatrice dont elle n'est en quelque sorte que le satellite, elle n'ose plus patroner ouvertement la révolution, et elle se voit forcée de donner des gages à l'ordre européen jusque sur son propre sol.

La France et l'Autriche par contre ont grandi de tout l'abaissement de la Russie et de la Grande-Bretagne. En proie à l'agitation révolutionnaire il y a quelques années, presque sans influence dans les conseils de l'Europe, elles jouissent maintenant d'un calme serein à l'intérieur, et d'un ascendant irrésistible au dehors. Ce qu'elles veulent, les autres puissances n'oseraient pas ne pas le vouloir.

La Turquie enfin est pénétrée de toutes parts de la civilisation occi

dentale, et comme le constatait dernièrement une feuille protestante allemande, le mahométisme se dissout sous l'influence du spectacle éloquent des vertus chrétiennes, en regard de la dégradation irrémédiable de l'islamisme.

Le doigt de Dieu n'est-il pas là! le schisme et l'erreur avaient dans la Russie et l'Angleterre les instruments le plus formidables d'influence et de conquête; la Turquie encore ouverte à l'action civilisatrice de l'occident, paraissait à la veille de subir l'autocratie religieuse des czars; la Grande-Bretagne se livrait avec une égoïste ardeur à un immense travail de propagande révolutionnaire et religieuse; la France et l'Autriche ne se sentaient pas assez fortes pour arrêter ce débordement, et voilà que deux ou trois années suffisent pour changer complétement la face des choses et renverser toutes les combinaisons de la politique humaine. Encore une fois, le doigt de Dieu n'est-il pas là !

Il ne faut rien moins que le calme de ces perspectives chrétiennes pour ne pas se sentir trouble à la pensée de ce qui se passe autour de nous. La guerre engloutit des milliards avec le sang le plus généreux de l'Europe, et personne n'en entrevoit le terme ni l'issue. La Russie est humiliée bien plus encore que vaincue, et l'on a rappelé éloquemment à la tribune anglaise que le courage moscovite s'est retrempé à la vue des flammes de Moscou.

La paix sortira-t-elle des négociations que l'on s'efforce de renouer en ce moment, c'est le secret de Dieu. Mais pour qu'elle puisse se faire et durer, il ne faut pas qu'elle soit achetée au prix de l'humiliation de la puissance moscovite. L'orgueil irrité peut bien céder à la force; mais il nourrit des rancunes qui font tôt ou tard explosion.

La paix ne sera durable et définitive que si la Russie, châtiée et abattue par ses désastres, renonce d'elle-même à sa politique d'envahissement, ou trouve dans la résistance unanime de l'Europe une barrière insurmontable. Hors de là, il ne peut y avoir qu'une trève plus ou moins prolongée, car personne ne songe à maintenir éternellement le blocus de ses cotes, au milieu de l'instabilité des gouvernements et de la mobilité des principes qui les dirigent. Ce qui importe donc surtout dans la fixation des exigences de l'Europe occidentale, c'est qu'elles aient pour elles l'assentiment de toutes les puissances qui comptent pour quelque chose, et dès lors il faut qu'elles ne dépassent pas ce que peut prétendre une légitime préoccupation des intérêts de l'avenir. Arracher par la force à la Russie des concessions que refuserait son amour-propre, ce serait lui inoculer un ressentiment qui éclaterait par un essai de tar

dive vengeance. Lui imposer des conditions qui ne seraient pas acceptées moralement par toute l'Europe, ce serait lui laisser un vague espoir de complicité future et l'encourager ainsi dans ses prétentions.

A ce point de vue, se présente tout naturellement l'idée d'un congrès général, sorte de jury européen qui prononcerait dans le conflit et infligerait à la partie condamnée une légitime réparation. Si tous les états. représentés à cette diète solennelle formulaient ensemble les griefs et les exigences de l'Europe, il semble que le gouvernement russe puisse accepter avec moins de honte son échec et en porter plus facilement la responsabilité devant la nation. D'un autre côté si les conditions des puissances occidentales étaient exagérées, elles trouveraient quelque modération dans la prudence et la sagesse des gouvernements moins absolus. En tout état de cause ce verdict porté par l'Europe tout entière aurait un caractère si solennel et si obligatoire, que les parties belligérantes ne pourraient s'y soustraire.

Mais les puissances qui s'agitent en ce moment, veulent-elles sincèrement la paix, et n'est-ce pas la bonne volonté qui manque aux moyens de conciliation, plutôt que les moyens de conciliation à la bonne volonté ! Si je considère la France, désormais remise en possession du rang et de l'ascendant qui lui appartiennent dans le monde, illustrée par ses victoires, à peine détournée par les préoccupations de la guerre, des préoccupations de l'industrie et du commerce, je ne puis croire qu'elle désire la continuation d'uue lutte qui n'ajoutera rien à sa gloire et qui par contre pourrait faire sortir une crise politique de la crise alimentaire et financière dont elle souffre plus ou moins d'une manière presque permanente. La Russie, accablée de ses revers, presque à bout de sacrifices, ne peut pas ne pas désirer une paix honorable. L'Allemagne a tout tenté pour ne pas sortir de l'expectative. Ce n'est pas elle qui fera jamais obstacle à des négociations pacifiques.

Reste l'Angleterre. Au ton de ses journaux et au langage de ses hommes d'État, il est facile de comprendre qu'elle ne croit pas encore le moment venu pour elle de suspendre les hostilités. La Grande-Bretagne a perdu en influence morale ce que la France a gagné, et elle ne peut pas se résigner à déchoir de son rang, sans tenter un grand effort pour se relever aux yeux de l'Europe.

La paix pour elle n'arriverait pas à son heure, si elle venait clore les événements, sous l'impression laissée au monde par l'impuissance des armes anglaises, et par le scandale des divisions parlementaires.

Là est le grand obstacle à une entente qu'appelle de ses vœux l'opi

nion publique. L'Angleterre se montrera toujours absolue dans ses exigences, raide dans ses procédés, et si les autres gouvernements n'imposent pas silence à son amour-propre, la paix ne se fera pas, avant de nouveaux efforts, de nouvelles ruines, et de nouveaux flots de sang. Qu'arrivera-t-il dès lors? Voilà la question qui se pose au fond de tous les cœurs en ce moment. Si les probabilités ne sont pas démenties, n'est-il pas à craindre que la poursuite d'une lutte dont personne ne saisira plus bien ni le caractère ni l'objet, ne tourne au profit de la révolution ! Le sentiment public livré à ses inspirations intimes, désire la paix. Il attribue à la guerre certain ralentissement dans le travail, la cherté des objets de première nécessité, la gène financière de l'Europe. Supposez que ce sentiment ne soit plus contenu par la considération de la justice des efforts des puissances occidentales, et plus encore par l'espoir de la paix, croit-on qu'il n'y ait pas là pour les peuples une formidable tentation de se jeter dans les bras de ceux qui exploitent avec un art infernal la misère et tous les mauvais instincts publics à leur profit!

L'hydre aux cent tètes n'est pas écrasée. L'échauffourrée d'Angers, les coups de feu ou les coups de poignard, les appels incendiaires, l'émeute, l'assassinat et le cri de guerre montrent bien que sous un calme apparent s'agitent et rugissent les passions auti-sociales. Et par un de ces aveuglements qui semblent une punition de la Providence, ceux-là mêmes que la révolution menace le plus, semblent s'attacher à lui faciliter la réalisation de ses sanguinaires projets.

Tandis que l'Autriche cherche sa sauvegarde et son refuge dans l'action et l'influence religieuse, le Piémont et l'Espagne, placés sur un volcan mal éteint, donnent aux adversaires de l'ordre social des armes contre les gouvernements qu'ils combattent, et minent eux-mêmes la vieille forteresse de l'Église. Là est le grand danger de l'avenir, car l'Église est la colonne des États, et la colonne ne peut être renversée sans que croule l'édifice tout entier. La révolution reste toujours le nuage menaçant qui plane à l'horizon. Elle a des complices secrets dans ceux qui voudraient pousser les peuples à l'extrémité par une guerre sans issue et sans terme; elle a ses pionniers les plus ardents dans les états qui travaillent à renverser le principal boulevard qui la contient. Elle triomphera infailliblement si peuples et gouvernements ne s'unissent dans le sentiment d'un péril commun et ne reconnaissent que la loi et le cri de salut de la société, c'est : Paix aux nations, paix à l'Église.

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