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qui n'étaient plus qu'un suicide, il lui marqua sa place avec la sagacité d'un augure et l'autorité d'un maître.

On était à la fin de 1840: Ozanam avait vingt-sept ans.

C'est un beau jour que celui où, parvenu à mi-chemin de la vie, tout voile levé, toutes incertitudes dissipées, le front serein et le cœur à l'aise, l'homme a le secret de Dieu sur lui et asseoit la tente où il achevera de vivre. Jusque là les plus beaux rêves sont troublés, le découragement succède à l'exaltation, et plus on a reçu de Dieu, plus ses dons, en nous ouvrant des perspectives, ajoutent au mélancolique tourment de l'avenir. Ozanam en avait souffert sa nature était inquiète et peu fébrile. Aussi dût-il éprouver une grande dilatation lorsque enfin il connut la volonté de Dieu et y eut acquiescé. Issu d'une famille honorable, mais médiocre, venu à Paris simple étudiant, il avait, en neuf années d'efforts, conquis un rang distingué dans une double carrière, la jurisprudence et les lettres, occupé une chaire de droit et mérité la suppléance d'un cours célèbre à la Sorbonne M. Ampère lui avait donné l'hospitalité, M. de Montalembert le recevait amicalement, tout ce qu'il y avait parmi les chrétiens d'hommes éminents ou en voie de le devenir pressentaient en lui un successeur ou un compagnon d'armes. La possession prématurée d'une si belle vie n'enfla point son cœur. Il demeura vrai, ouvert, cordial et laborieux, noble effet d'un naturel que la raison éclairait de toute sa lumière et que la foi avait purifié du levain de l'orgueil. Ce point si envié de l'assiette dans le succès, qui est presque toujours le signal d'une transformation égoïste dans le cœur de l'homme, avait laissé Ozanam tel qu'il était. On l'eût pris encore, allant à sa chaire de Sorbonne, pour un simple étudiant. Sa tenue n'avait pas changé, son regard était honnête et doux: il lisait volontiers en chemin, mais sans que l'application l'empêchât de voir les marques de sympathie dont il était l'objet, et il rendait toujours en honneurs plus qu'on ne lui avait accordé. Pendant vingt ans que je l'ai connu, je l'ai vu troublé, indigné, mais sans qu'il m'ait été possible d'y découvrir jamais l'ombre de hauteur ou d'affectation, ce qui est le signe certain d'une âme plus grande que la fortune et qui voit Dieu constamment.

Il y eut un piége qu'Ozanam n'évita point. Dès qu'il fut heu

reux, il voulut donner son bonheur et augmenter le sien en le partageant. Oserai-je dire, quoique Dieu l'ait absous en bénissant son union, qu'il était encore bien jeune pour une félicité si ennemie des grandes muses? Comme le prêtre, l'homme de lettres est consacré, et si le ministère des âmes exige un culte de soimême, le ministère de la pensée, quand on est digne de lui, exige aussi des austérités. Il est difficile, au milieu des joies domestiques, de conserver l'assiduité du travail et la liberté de l'intelligence, et plus difficile encore de retenir ses besoins dans la modestie de ses ressources. La pauvreté est la compagne inévitable de l'homme de lettres qui a résolu de ne vendre sa plume ni à l'or, ni au pouvoir; et la pauvreté n'est douce qu'à l'homme solitaire qui vit dans l'immortalité de sa conscience et n'a jamais. qu'un malheur à prévoir ou à porter. Mais Ozanam était d'un siècle où l'on n'attend pas, et il se laissa prendre à la certitude de rendre heureuse avec lui une chrétienne rachetée du même sang que lui. Il ne se trompait pas. Il avait amassé dans son cœur un trésor de chasteté qui était le signe d'un trésor de tendresse, et il pouvait s'exposer sans crainte à ce flot des ans qui emporte tout amour, excepté l'amour produit et gardé par la vertu. Son mariage eut lieu dans l'été de 1841. Il épousa mademoiselle Soulacroix, fille de M. Soulacroix, recteur de l'Académie de Lyon. Presque aussitôt il conduisit sa femme en Italie, pays qu'il avait déjà visité avec sa mère aux vacances de 1832, et vers lequel le rappelait le souvenir des émotions et des révélations qu'il en avait reçues. C'était à Rome, devant la fresque du Saint-Sacrement de Raphaël, à Florence, devant les tombeaux de l'église de SainteCroix, que la figure du Dante, l'Homère du christianisme, lui élait apparue, tout illuminée des obscurités de son siècle et placée par la Providence entre Virgile et le Tasse, comme le Titan de la poésie. I revit ces beaux lieux tout peuplés de grands hommes et de grandes choses, ces lienx qui sont pour nous des ancêtres, et qui, malgré les ruines du passé et celles de l'avenir, seront l'éternel pèlerinage des esprits cultivés. Il les revit, tenant d'une main sa compagne ravie, lui montrant de l'autre les horizons chers à sa mémoire, les temples, les palais, les aqueducs, les tombeaux des Romains, les reliques des martyrs, les marbres couchés

et les bronzes vivants, toute cette antique armée que l'inépuisable fécondité de l'Italie garde, accroit et tient debout. La Sicile, jetée au seuil extreme de tant de beautés comme une sentinelle et un phare, lui ouvrit aussi ses villes où le souffle des enfants du Nord a remué les cendres de l'Etna et recouvert, des inspirations du christianisme les débris du génie grec,

Au retour de cette course rapide, qui était une halte entre sa jeunesse finie et son âge mûr commencé, Ozanam parut dans sa chaire qui ne le connaissait encore qu'à demi.

(La suite à la prochaine livraison.)

H.-D. LACORDAIRE.

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Les mémoires sont à la mode. Mm Georges Sand a publié les siens, sous le titre d'Histoire de ma vie.

Cette autobiographie est pleine de révélations et d'enseignements curieux. En soulevant d'une main hardie le voile qui recouvrait sa vie l'auteur a répandu un jour nouveau sur ses écrits. Désormais on saura par quelles affinités mystérieuses son éducation (si l'on peut employer ce mot à propos de Mme Georges Sand), a réagi sur ses idées et déteint sur ses ouvrages.

L'auteur d'Indiana est l'implacable adversaire de toutes les lois sociales. Mais l'indissolubilité du mariage, ce fondement de la famille et de la société, a surtout le privilége d'enflammer sa haine. C'est là ce qui la distingue, ce qui constitue en quelque sorte son individualité, au milieu des romanciers de notre époque. Son nom rappelle tout ce que le libertinage le plus effréné a pu imaginer d'odieux contre les saintes lois de la famille.

L'Histoire de ma vie nous fait saisir le rapport secret qui existe entre ses préoccupations et ses destinées. En observant le milieu où elle a vécu, on comprend mieux ses haines, et l'on mesure plus justement le degré d'autorité qu'elle doit avoir dans les choses qui touchent à la famille et à la société.

Mme Sand nous a laissé elle-même son arbre généalogique, greffé et regreffé durant deux siècles d'adultère et de bâtardise. Le roi FrédéricAuguste de Pologne avait eu de la fameuse Aurore de Koenigsmark un fils naturel, le maréchal de Saxe. Celui-ci à son tour eut d'une comédienne, Marie Rinteau, une fille, Marie-Aurore, qui, dans sa seizième année, fut reconnue comme naturelle de Maurice comte de Saxe, maréchal-général des camps et armées de France. Aurore épousa M. Dupin de Francueil, receveur-général du duché d'Albret, et de ce mariage sortit un fils, Maurice Dupin. Celui-ci déjà chargé d'un fils naturel, nommé Hippolyte, se fit aimer d'une modiste qui abandonna pour le suivre un général dont elle avait eu une fille naturelle, Caroline, et c'est de cette union sur laquelle ne descendirent jamais les bénédictions de l'Église, que naquit notre héroïne, le 5 juillet 1804.

Dès ses premiers pas dans la vie, Mae Georges Sand s'y trouva face à face avec le vice. Son père mourut jeune. Il y avait entre sa grand'mère et sa mère une incompatibilité d'humeur qui se traduisait par des scènes de colère dont l'auteur nous retrace le tableau. C'étaient des querelles sans fin entre la grande dame et la fille du peuple, et Dieu sait où se seraient arrêtées leur jalousie et leur haine réciproques, si elles ne s'étaient pas séparées.

Mme Sand nous raconte à quel moyen sa grand'mère eut recours pour détruire dans sa petite-fille toute trace d'affection pour celle qui lui avait donné le jour. C'est une des pages les plus horribles de ce livre qui en contient tant; et en lisant ces étranges révélations on ne sait ce qu'il faut penser de la femme et de la fille qui les livre au public.

Un jour, sa grand'mère la fait venir auprès d'elle. Elle la fait agenouiller auprès de son lit, et là elle lui raconte la vie de son père et de sa mère avec un cynisme effroyable. Pour mieux parvenir à son but, elle ne se borne pas à diffamer dans le passé; elle fait planer un horrible soupçon sur la conduite de sa belle-fille. Elle parle d'un épouvantable mystère qu'on ne veut pas révéler à Aurore, mais qui doit la faire trembler pour son avenir, si elle continue à demeurer auprès de sa mère.

<< Ma grand❜mère, haletante, épuisée, les larmes aux yeux, prononça

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