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pour lui des gueux, des misérables, des voleurs dont la bave empoisonnait tout ce qu'elle touchait (1)! Quelle haine contre Rousseau qu'il ne jugeait même pas digne de souscrire pour sa statue! Quelle cruelle et froide ironie, en apprenant les persécutions dont les jésuites sont l'objet. Il écrivait à Dupont, le 20 décembre 1764. « Je crois que vos jésuites voyagent par le coche. J'ai besoin de deux ou trois bouviers dans mes terres; si vous pouviez m'envoyer le père Kroust et deux de ses compagnons, je leur donnerais de bons gages, et si au lieu de bouviers, ils veulent servir de bœufs, cela serait égal.

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Arrière donc vos éloges menteurs. La liberté pour Voltaire, c'était le droit d'écraser les autres. Sa tolérance s'arrêtait à la proscription et à l'anéantissement du Christianisme. Une seule haine ardente l'animait, mais ce n'était pas celle des supériorités sociales, ou des abus de son temps. Il prenait son parti de ceux-ci; il s'accommodait fort bien de celles-là et pour les autres et pour lui-même. Il n'avait qu'une seule passion, mais qu'on ne s'y trompe pas, ce n'était pas la passion du bien public. Sa haine se concentrait tout entière sur l'Église, qu'il voulait écraser, c'était une sorte de monomanie. L'objet de sa passion, c'était lui-même. «Sa vie entière, dit encore M. de Lamartine, devint une action multiple tendue vers un seul but : la guerre contre le Christianisme» et Goethe nous le représente apre à s'enrichir dès sa jeunesse, cherchant à briller parmi les grands, se mettant sous la dépendance de tout le monde avec une rare souplesse et cela pour arriver lui-même à l'indépendance et en jouir.

Quant à sa vie privée dont le feuilletonniste de l'Indépendance a l'effronterie de parler, je veux en raconter un seul trait qui donnera la mesure de l'ardeur de Voltaire pour le bien des hommes. C'est un épisode emprunté à un feuilleton de la Gazette de Cologne (2); et dont l'auteur, M. Adolphe Stahr, se borne à reproduire les particularités qu'il a puisées à une source authentique les Écrits de Frédéric le Grand et les Annales de législation prussienne.

Dans la paix de Dresde de 1745 qui mit fin à la seconde guerre de

(1) M. de Tocqueville, Histoire philosophique du règne de Louis XV, II, 87. (2) 1835, no 109.

Silésie, le roi Frédéric II, préoccupé de l'intérêt de ceux de ses sujets qui possédaient des valeurs en papiers émises par le gouvernement saxon, avait fait introduire une clause par laquelle ce dernier s'engageait à reprendre ces valeurs au taux nominal. Ces titres étant tombés bien en dessous du cours d'émission dans le royaume de Saxe, il ne manquait pas de citoyens prussiens qui tâchaient de s'en approprier pour les échanger ensuite au pair dans les caisses de l'État. La spéculation s'étendit tellement, que trois ans plus tard, Frédéric le Grand se vit forcé de défendre à ses sujets de recevoir à l'avenir cette sorte de valeurs. Voltaire, arrivé en Prusse, et ayant flairé l'aubaine, ne tint aucun compte de l'interdiction royale. Il proposa à un banquier juif, Abraham Hirsch, de se rendre à Dresde, d'y acheter pour une somme considérable de papiers saxons, à tel taux toutefois qu'il pût, en les revendant, réaliser un bénéfice de trente-cinq pour cent. Le juif hésitait à enfreindre l'ordre royal. Mais Voltaire sut si bien le rassurer, en lui faisant entendre qu'il était sûr à l'avance du consentement du roi, qu'Abraham se décida à faire l'opération. Il remit à Voltaire des diamants en garantie, et celui-ci lui confia une somme considérable, partie en argent, partie en changes sur Paris.

Un autre banquier juif, du nom d'Éphraïm, connu comme faux monnayeur à l'époque de la guerre de sept ans, eut vent de l'affaire. I essaya, à force de promesses, de déterminer Voltaire à retirer sa commission à Abraham Hirsch et à l'en charger lui-même.

L'auteur de la Henriade se laissa prendre à l'appât d'un plus gros bénéfice; il laissa protester ses traites, sans prévenir Abraham qui, revenu à Berlin, fit entendre de vives réclamations, demanda des dommages-intérêts, et menaça même Voltaire d'un procès. Il se borna à ces menaces toutefois, et Voltaire réussit à le calmer, en lui promettant pour le dédommager d'acquérir les diamants qui lui avaient été remis en garantie. Pour le malheur de tous les deux, Éphraïm intervint encore en cette occurrence. Il fit accroire à Voltaire que les diamants de Hirsch étaient surtaxés. Grande colère du philosophe qui mande Hirsch chez un militaire de ses amis, lui fait subir toute espèce de mauvais traitements, retient en garantie d'autres diamants et des objets précieux qu'il avait demandés à inspection, obtient contre le pauvre juif qui le menace

d'un procès un mandat d'arrêt, et en habile tacticien, défère lui-même l'affaire aux tribunaux.

Dans sa plainte, il nia avoir chargé Hirsch d'acheter des papiers saxons; mais le procès établit ce fait à la dernière évidence, et le biographe de Voltaire lui-même qui écrivait en 1787, malgré son désir de disculper le grand homme, est forcé d'en convenir. Il ne se borna pas à ce mensonge. Pour donner le change au public, il falsifia l'acte de vente intervenu entre lui et Hirsch, au sujet des diamants, de manière à faire supposer que le banquier juif n'avait fait que lui tenir compte de certaines avances. Le titre de vente portait : J'ai vendu à M. de Voltaire les diamants ci-dessous taxés, etc. Voltaire intercala en fort mauvais français : Pour paiement de 5,000 r. par moy dus. Il changea de plus le mot taxés en taxables, pour avoir droit à une seconde estimation, quoique ces mots le tout estimé qu'il n'avait pu changer par défaut d'espace et l'expression j'ai vendu indiquassent assez qu'il y avait eu réellement une vente accomplie.

Quoique Voltaire eût offert de prêter serment, ce qui lui avait été refusé, et malgré l'arrangement intervenu plus tard entre lui et Abraham qui se contenta d'une indemnité considérable, le public ne prit pas le change. Le roi lui-même lui témoigna son mécontentement, lui défendit de le suivre à Postdam et lui écrivit en particulier, que l'affaire des papiers saxons était très-connue en Saxe et qu'il avait reçu à cet égard de nombreuses plaintes. Le monarque philosophe composa même à l'adresse de Voltaire une comédie satirique intitulée Tantale en procès (1) dans laquelle il rit très-spirituellement de ses infortunes. Lessing, dans ses œuvres, a fait plusieurs fois allusion à cet épisode. Il s'exprime ainsi quelque part, à propos du commentaire de la dixième fable de Phèdre : « La morale de cette fable, c'est qu'il est fort difficile de prononcer dans un procès où les deux parties sont reconnues comme trompeuses. Par exemple, dans le procès que Voltaire et le juif Hirsch eurent ici il y a quelques années, on aurait fort bien'pu dire au juif: Tu non videris perdidisse, quod petis, et à Voltaire: Te credo surripuisse, quod pulchrè negas! ›

(1) Supplément aux oeuvres posthumes de Frédéric II, tom. I, p. 319.

A. GRAVEZ.

LA PRESSE.

Voici ce qu'on lit dans l'Indépendance, revue politique, du 22

mars:

« La situation de l'Italie fera l'objet de l'examen des plénipotentiaires....., l'occupation des États romains sera aussi agitée, elle est contraire aux traités et doit tôt ou tard se résoudre par le départ simultané des troupes autrichiennes et françaises. Reste à savoir comment le Pape, dès que l'appui des baïonnettes étrangères viendrait à lui manquer, pourrait empêcher la révolution d'éclater parmi des populations toujours prêtes à se soulever contre le gouvernement incapable qui les régit. Une modification dans l'organisation de ce gouvernement paraît le seul remède applicable à la situation, et si la question vient à être posée sur ce terrain, il est douteux que sauf l'Autriche, le Saint-Siége trouve des défenseurs au sein des conférences. >>

Ce sommaire politique n'est que le résumé fort modéré d'une correspondance publiée dans le même numéro. On y lit: « D'après les renseignements que j'ai lieu de croire exacts, on ne se séparera pas sans avoir touché à la question italienne; on ne peut pas renvoyer le Piémont, allié des puissances occidentales, comme on renverrait un ami devenu inutile et gênant.

« Il y a une question qu'il fallait résoudre, et résoudre bien vite c'est celle de l'occupation étrangère des états du Pape; il faut que l'état de choses actuel qui est contraire à la lettre même des traités de 1815 finisse; et si la France se retire, il faut que l'Autriche rentre dans ses possessions, qu'elle cesse de peser de toute son influence sur les Cours d'Italie qu'elle gène.

«Je crois qu'on a déjà répondu que si les Français quittaient Rome, et

les Autrichiens Bologne, une révolution éclaterait aussitôt. On n'en disconvient pas, mais si le gouvernement du Pape ne peut se tenir debout que par la force des baïonnettes, on doit en tirer la conséquence que ce gouvernement est mauvais et qu'il faut le changer.

«C'est l'affaire de la Cour de Rome; mais en attendant, au point de vue des traités, ce n'est pas la France et l'Autriche qui doivent prêter l'appui de leur armée pour maintenir un état de choses qui est la honte de notre époque. Les grandes puissances sont unanimes sur ce point. Si, comme je le pense, le Congrès dit que l'occupation austro-française doit cesser, c'est à la Cour de Rome à trouver les moyens indispensables pour amener la tranquillité du pays, sans l'emploi de la force matérielle étrangère. L'Autriche parait fort embarrassée en voyant la question ainsi posée. »

Il n'y a rien à ajouter à ces lignes d'une netteté si éclatante. Mazzini ne parlerait pas autrement, et c'est la cause des révolutionnaires que l'Indépendance sert quand, sous ce vernis de modération dont elle se couvre pour tromper le public, elle crie avec eux anathème contre le gouvernement romain. Avec quel cynisme elle accepte l'hypothèse d'une révolution! Les catastrophes sociales qu'elle prévoit, ne la préoccupent pas un seul instant; peu importe pour elle que l'Italie soit en feu, pourvu que vienne à cesser l'occupation étrangère. Le journal de la Conservation par le progrès ne voit dans tout cela que la lettre des traités.

Ce serait peine perdue que de combattre de pareilles idées, de demander à l'Indépendance en quoi le gouvernement romain est la honte de notre époque, et quel régime elle voudrait voir substituer à l'état de choses actuel. Nous n'aurions pas plus de chances d'ètre écoutés, si nous lui faisions remarquer que cette occupation qu'elle blâme dans les États romains, elle l'accepte et y applaudit même quand il s'agit de la Turquie ! La haine n'a ni logique, ni bon sens, ni bonne foi, et c'est la haine, la haine seule qui inspire l'Indépendance.

L'Observateur nous fournirait chaque jour l'occasion de le citer, si nous voulions relever une à une toutes ses impiétés et toutes ses turpitudes. Ses attaques contre la religion sont diverses, mais elles tendent toutes visiblement à ce but odieux de faire passer l'Église pour une in

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