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« cours martiales », des conseils de guerre spéciaux, qui devaient juger les maraudeurs qu'on surprendrait aux environs de la capitale investie'. L'ennemi a pu prendre des mesures analogues, pour les points du territoire français par lui occupés, en tant qu'elles seraient dirigées contre des individus et des infractions rentrant dans les prévisions cidessus. Mais ce pouvoir déjà si considérable ne saurait encore être étendu, jusqu'au point de traiter en brigands des défenseurs du pays, volontaires avec commission de belligérant ou habitants autorisés par un décret de levée en masse, par cela seul qu'on mettrait en doute leur titre de combattants et qu'ils auraient opéré quelqu'un des dégâts, nuisibles à l'envahisseur, par lui défendu sous peine de mort. Si les corps francs ou volontaires appelés francs-tireurs, attachés à un corps d'armée et pouvant passer dans un autre, parcourent ainsi différents pays et sont plus dangereux que les soldats ne quittant jamais leur régiment, on conçoit les préoccupations et ressentiments de l'envahisseur vis-à-vis d'eux ainsi que des contrées qu'ils viennent défendre à l'improviste; mais cela ne saurait légitimer des rigueurs allant jusqu'à la dévastation de tout pays ainsi défendu.

6. Depuis l'époque déjà fort ancienne où Grotius posa des principes tempérant la dévastation possible par l'ennemi, depuis surtout que le droit des gens moderne a fait prévaloir ceux qui interdisent toute atteinte à la propriété privée et tous dégâts inutiles, les dévastations dans la guerre étaient devenues de plus en plus rares, à part celles des luttes prolongées dans le Palatinat, qui d'ailleurs datent déjà de deux siècles, celles des forces navales anglaises au Havre et en

8 Arrêté du Gouverneur de Paris, 26 sept. 1870; décr. du Gouvernement de la défense nationale, 2 octob. 1870.

Amérique, qui ont été blâmées énergiquement quoique la guerre maritime comporte des dévastations que ne permet pas la guerre continentale, et surtout celles de la dernière invasion des Allemands en France, qui nous ramèneraient à la barbarie s'il n'y avait réprobation universelle.

L'explication de celles-ci se trouve dans le système de terreur, pour ne pas dire d'extermination tentée, qu'avaient adopté les chefs militaires et que pratiquaient leurs innombrables corps d'armée, pour abattre d'un coup la puissance du beau pays de France et rendre impossible toute résistance, après les premiers succès si extraordinaires. L'envahisseur, ne trouvant pas suffisantes les cruautés personnelles que nous avons signalées et flétries dans le chapitre précédent, s'attaquait aux propriétés elles-mêmes, dans ses proclamations, avec exécution par les soldats. Plusieurs d'entre elles, prescrivant ou défendant certaines choses et n'admettant aucune résistance, sauf de la part des troupes auxquelles seules l'ennemi reconnaissait les droits du belligérant, allaient jusqu'à dire : « la ville ou commune sera bombardée ou incendiée, les maisons seront incendiées..... Une contribution leur sera imposée, et, en cas de non-paiement, on les menace d'incendie... En cas de contravention au présent ordre (déposer toutes les armes à la mairie, pour leur destruction), les maisons dans lesquelles des armes auront été trouvées séront incendiées.» Puis, encouragés par des proclamations où ils trouvaient un ordre ou au moins une autorisation leur paraissant suffire, les chefs inférieurs avec leurs soldats, lorsqu'ils voyaient ou supposaient une infraction aux lois de la guerre ou une contravention à quelque règle créée par le commandant en chef, bombardaient la ville ou le village, détruisaient autant d'habitations qu'ils le

9 Voy. notamment la proclamation affichée à Beauvais lois de l'entrée des troupes prussiennes, en octobre 1870.

pouvaient, allaient même jusqu'aux derniers excès, tellement qu'ils ont incendié de nombreuses habitations en les enduisant d'huile de pétrole et y mettant le feu, de sang-froid et successivement!

Des excès nombreux de ce genre existaient déjà dans les deux ou trois premiers mois de la guerre, ce qui permit de signaler à l'exécration universelle un tel procédé de terreur, dans la circulaire du représentant du ministre des affaires étrangères aux agents diplomatiques de la France, en novembre 1870, sans que les faits indiqués aient pu être démentis par les défenseurs de la Prusse, essayant seulement de les justifier 10. Ils ont continué, en différents pays et sous des prétextes variés qu'inspirait l'esprit de ruse, jusqu'à la fin de la guerre et même pendant l'armistice suivi de paix. Nous n'avons pas ici à donner la liste de toutes les dévastations commises, ce qui d'ailleurs fera l'objet d'un travail spécial, compliqué, pour les dédommagements partiels que l'Etat serait obligé de promettre exceptionnellement : il doit nous suffire d'indiquer quelques faits comme exemple des dévastations exorbitantes, sans même parler des dégâts innombrables qui ont été commis dans les maisons servant de logement aux soldats allemands, qui brisaient tout et jusqu'aux scellés apposés par autorité de justice, en disant pour se justifier que les ordres donnés voulaient plus encore. Dans plusieurs villes, des obus ont été lancés contre les monuments, qui se trouvent dégradés, sans autre motif que le retard supposé dans la remise de sommes d'argent réquisitionnées et comme moyen d'intimidation (voy. ch. xi, n° 11). Dans d'autres, il y a eu bombardement et incendie d'habitations en très-grand nombre, comme punition imaginée sous prétexte de résistance illicite par les habitants ou pour

10 Voy. circulaire du comte de Chaudordy, délégué du ministre des affaires étrangères pour le gouvernement hors Paris, 29 novembre 1870.

eux par des francs-tireurs ". Quant aux villes intérieures des places fortifiées, elles ont été bombardées plus et autrement que les fortifications, avec autant de dévastations réelles et intentionnelles que de mépris des règles du droit des gens moderne, ainsi que nous l'établirons dans un chapitre spécial (chap. xvi). Les obus en nombre immense et surtout la nuit, moment propice pour produire la terreur et empêcher les secours, étaient dirigés principalement vers l'intérieur de la ville et contre les monuments les plus précieux, ce qu'ont remarqué avec constatations des personnes devant observer les rectifications de tir et les effets destructeurs qu'elles avaient à atténuer par tous moyens possibles. Il en a été ainsi d'abord à Strasbourg et dès le début de la guerre : le bombardement, commencé le jour de la fête de l'Empereur, était dirigé contre la ville intérieure, dont beaucoup de maisons ont été détruites, contre sa très-riche bibliothèque, incendiée de la sorte, et contre sa belle cathédrale, subissant ainsi de grands dégâts 12. A Paris, pendant un bombar

11 Bazeilles a subi des destructions considérables avec d'autres abominations, attestées par l'honorable duc de Fitzjames dans une lettre au Times, du 15 sept. 1870. · Châteaudun a été presque détruit, pour cause de résistance à l'envahisseur. « Les maisons incendiées, dont il ne reste que des ruines, sont au nombre de 231. Neuf maisons seulement ont été incendiées par les obus; 193 ont été brûlées par le feu mis à la main. » (Pet. Presse, 20 février 1871.)

Dans le village d'Ablis, gros bourg agricole de mille habitants environ, des francs-tireurs ayant supris et fait prisonniers une centaine de hussards allemands, un général de brigade, après être venu avec des forces supérieures venger cette défaite par l'arrestation de 22 notables et par d'autres cruautés, a voulu opérer une destruction complète et a fait mettre le feu à 138 bâtiments, pleins de récoltes avec chevaux et bestiaux. « Pendant huit jours, Ablis ne fut qu'un monceau de cendres fumantes.... On a constaté officiellement que la valeur des bâtiments, des meubles, des grains et des bestiaux détruits s'élève à près de trois millions. » (Petite Presse, 25 fév. 1871.)

12 Strasbourg, ville française que les Allemands voulaient conquérir à tout prix, a éprouvé des dégâts considérables, attestés dans le « Journal authentique du siège». (V. le Petit Moniteur universel, nos des 23, 24, 25, 26, 27

dement de près d'un mois qui augmentait la terreur produite par la famine au moins imminente, les obus atteignaient des monuments que leur destination en tout cas aurait dû préserver de toute dévastation ou dégradation, des habitations intérieures qui n'avaient d'autre tort que d'avoir été construites pour le logement des personnes plus encore que pour l'ornement de la cité: malgré les précautions extraordinaires et diverses, employées partout et de toutes parts, il y a eu de nombreuses dévastations, tellement qu'une splendide serre du muséum d'histoire naturelle a été presque détruite par un tir rectifié à cet effet, ainsi que l'a constaté le vénérable directeur par des observations et une inscription". La ville de Saint-Denis elle-même a éprouvé des

et 28 fév. 1871). La bibliothèque de Strasbourg, une des gloires de cette malheureuse cité, n'existe plus.... Le 24 août 1870, le monument et son admirable collection furent complétement détruits... le feu dura toute la nuit sans interruption, avec une violence inouïe, faisant des ravages sanglants... n'épargnant aucun quartier, aucun édifice, portant sur tous les points le ravage et la mort. Plus de 40 personnes furent atteintes, les unes dans l'intérieur même de leurs demeures, les autres autour des incendies qu'elles cherchaient à éteindre, et sur lesquels, avec une inhumanité sans pareille, l'assiégeant continuait son système infernal de continuer son feu... On avait encore l'es pérance que l'ennemi ménagerait la cathédrale et les principaux monuments; cette espérance devait être bientôt déçue... Le premier projectile atteignit les colonnes, le second la lanterne, le troisième jeta bas la croix qui surmontait l'édifice. C'était un magnifique résultat comme tir, mais c'était un acte d'affreux vandalisme, qui ne s'arrêta pas là. Dans la nuit du 26 août, la cathédrale continua à être le but du tir de plusieurs bouches à feu. Les murs furent atteints, une partie des escaliers endommagés... Le bombardement qui, en cinq jours, avait fait d'épouvantables dégâts dans l'intérieur de Strasbourg, n'ayant pas amené la soumission de la place, le général allemand se décida à faire commencer les travaux. Le siége régulier fut entrepris... » Des indications plus détaillées se trouvent dans l'Industriel alsacien et dans plusieurs journaux français, y compris le Journal des Débats.

13 Le bombardement d'une capitale de deux millions d'habitants, dirigé, pendant un investissement qui les menaçait de périr par la famine, contre ses habitations et contre ses monuments dont les uns étaient splendides et les autres des établissements de secours ou de charité, est un fait de guerre si extraordinaire et même si exorbitant, que ce doit être le sujet d'un examen

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