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C'est le premier des mots qu'on apprend de sa mère,
C'est l'invisible anneau qui nous rattache au Ciel!

La fleur a son parfum, la femme son baiser. (p. 57)

Mais les joies humaines sont brèves, le bonheur humain est éphémère; et l'amour qui n'est qu'une ivresse de l'imagination, du cœur et des sens, s'évanouit, se dissipe peu à peu « comme un parfum s'exhale d'un flacon » brisé. La femme est inconstante, son cœur est changeant; un jour vient, jour de douleur, où l'amant s'aperçoit qu'il a un rival. « Séparons-nous, » lui dit l'amante infidèle; et le cœur meurtri, il s'éloigne pour souffrir et pleurer à l'écart :

Et j'avais mis mon cœur

Sur ce frêle roseau qu'on appelle une femme :

Un souffle a détruit mon bonheur. (p. 87)

Alors se déroule le livre des « Regrets, » qui est « le plus long, comme dans la vie. » Mais la douleur du poète est réservée et discrète comme l'a été son ivresse; au lieu de s'exaspérer avec orgueil, elle se maîtrise et se calme peu à peu. La nature rafraîchit son cœur et donne à son âme le doux réconfort de l'apaisement:

O champs silencieux, o profondes retraites,
Quel baume s'écoulant de vos voûtes secrètes

Pénètre dans mon sein!

Quand nous saignons, hélas! d'une vive blessure,
Nous revenons à toi, consolante nature,

Merveilleux médecin!

Dès que l'arbre verdit sous une ardente sève,
Au fond des bois épais je m'assieds et je rêve,
Dans l'ombre enseveli.

Je me dis : « A quoi bon la vengeance et la haine?
Débris des jours passés, refleurissez sans peine,

Couronnez-vous d'oubli! » (p. 98-99)

Tel autrefois l'auteur des Méditations, après une cruelle épreuve morale, allait demander au « vallon de son enfance » la consolation et l'oubli. Lamartine a le souffle puissant et la haute envolée lyrique;

Hipp. Lucas est un doux et tendre élégiaque, de la même famille que Millevoye et Brizeux. Mais les strophes intitulées « l'Oubli» (Regrets, XXXVI) me semblent d'une inspiration toute Lamartinienne; et, comme elles sont d'un rythme heureux et d'une facture très ferme, je les ai relues plusieurs fois avec un plaisir tout particulier.

Je n'insisterai pas longuement sur les Dernières poésies, qui comportent une grande variété de sujets. On y peut distinguer des poésies rustiques et bretonnes Ploërmel, Mon Jardin, la Pêcheuse, Ma Retraite; des pièces philosophiques : Les deux Squelettes, la Maison de Jeu, A un jeune Poète, la Ronde des années, la Danse des Morts; - des fantaisies littéraires : l'Art grec, Une nuit de César, les Maitresses d'Horace.

Sainte-Beuve appréciait dans les Heures d'amour « une simplicité pleine de naturel; » certains vers, disait-il, « sont d'une âme de poète et d'amant; » nous ajouterons les Dernières poésies révèlent aussi une âme de philosophe, âme méditative et teintée de mélancolie. Rappelons encore ce curieux jugement de Victor Hugo: << Vous êtes un charmant poète, pas racinien du tout. Il y a en vous un critique du XVIIe siècle; mais, heureusement, il y a aussi un poète du XIX... Vos vers, cher poète, triomphent de vos doctrines... Vous voulez relever de Boileau et de Le Batteux en critique! Eh bien! votre poésie se révolte contre vous... Elle ne relève, elle, que de l'éternelle nature. Elle a la grâce et le charme. Elle est délicate et forte... » Ce jugement est, en somme, très complet, et je m'y tiendrai. Je ferai simplement remarquer que, si Hipp. Lucas est bien un poète moderne par la note personnelle, sincère, intime, par son amour de la nature et de la méditation, par son goût de la retraite, ses habitudes classiques l'ont servi comme écrivain; elles l'ont préservé des écarts d'imagination et de style qui, trop souvent, gâtèrent les œuvres des Romantiques; sa langue est pure, son vers est d'une facture soignée, sans recherche d'artifices curieux; c'est un bon écrivain en

vers.

En somme, l'impression dernière que laisse le volume est agréable et sympathique; on éprouve la satisfaction d'avoir passé quelques heures d'intimité avec un homme à l'âme simple, qu'on sent fortement attaché à sa Bretagne et à sa Vilaine; avec un lettré délicat qui aimait la poésie, le beau et le bien. On ne peut que remercier finalement

M. Léo Lucas d'avoir publié ce livre, qu'il a fait précéder - j'oubliais de le dire — d'une préface qui est d'un homme de goût et d'un fin connaisseur.

Je venais de terminer cet article (4 mars), lorsque M. Léo Lucas eut l'amabilité de m'envoyer sa dernière publication: «< Correspondance d'Hippolyte Lucas pendant le Siège et la Commune. » Hipp. Lucas était bibliothécaire à l'Arsenal. On connaît les événements qui précédèrent la marche des Prussiens sur Paris; Hipp. Lucas se hâta de retourner à son poste, laissant sa famille en Bretagne. La brochure dont je parle comprend une série de lettres qu'il écrivit à sa femme <«< pour la rassurer, tout en la tenant au courant des événements. >> Ces lettres vont du 6 septembre 1870, c'est-à-dire des premiers jours de la Révolution qui renversa le second Empire, jusqu'au 31 mai 1871, c'est-à-dire jusqu'au retour à Paris des troupes de Versailles et du Gouvernement régulier.

C'est toujours pour moi d'un intérêt poignant que de lire quelque chose concernant cette période terrible et douloureuse. Aussi est-ce avec une vive émotion que j'ai lu ces lettres d'Hippolyte Lucas qui m'ont fait revivre les pires moments du siège de Paris et de la Commune. Je dis bien : « m'ont fait revivre, » car je les ai vécues à Paris même, les longues semaines de ces huit mois-là époque inoubliable!... Je revois se dérouler toute cette dramatique histoire : la révolution du 4 septembre, l'investissement de Paris, le rationnement des vivres, le départ de Gambetta en ballon, les sorties meurtrières et infructueuses, l'espoir des Parisiens dans l'armée de la Loire, le rude hiver avec ses rigueurs, le bombardement de la rive gauche, les obus qui sifflaient dans la rue au-dessus de vos têtes, l'affreux agglomérat mêlé de terre et de paille que l'on appelait « pain noir » et, après toutes ces souffrances, la désolante capitulation! Et ce n'était pas fini; il a fallu voir (et les Allemands n'étaient pas encore bien loin), les barricades dans Paris, le massacre des otages, la guerre civile, le second siège, puis l'entrée des soldats de Versailles, la bataille dans les rues, enfin la « semaine sanglante; » et je vois encore ces énormes nuages de fumée et de flamme qui montèrent un jour dans le ciel de

la grande ville en formant un immense arc de cercle c'étaient les monuments qui brûlaient, les Tuileries, la Légion d'honneur, la Cour des Comptes, la bibliothèque du Louvre, le Palais de Justice, l'Hôtel de Ville, le grenier d'Abondance voisin de l'Arsenal: grandiose et sinistre vision, et qui semble toujours être d'hier... Pour qui a assisté à tout ce drame, les lettres d'Hipp. Lucas ont l'intérêt de donner ou d'évoquer « l'impression de choses vues; » de plus, elles sont «< empreintes » de cette « vaillante sérénité » qui est le propre des âmes nobles et fortes.

En Hipp. Lucas, je salue avec respect «< un homme de bien... un modeste et un sage; » comme l'a dit fort justement un autre poète que j'honore et estime, M. Emmanuel des Essarts. Sagesse et modestie, ce sont des vertus bien oubliées aujourd'hui, en notre temps d'aveulissement des consciences, d'individualisme effréné et d'internationalisme coupable. Tous ceux qui étaient adolescents en 1870 et qui ont souffert dans leur cœur du deuil de la patrie, ceux-là n'accepteront jamais les idées à l'ordre du jour, les sophismes de bon ton et les doctrines dissolvantes des dilettantes du cosmopolitisme et de la fraternité universelle. Longtemps ils se sont bercés d'un rêve dont on ne doit plus parler: c'est trop « vieux jeu.» Mais ils croient légitime d'y penser toujours, sans en rien dire; ils croient qu'il y a a pour tout Français un devoir impératif, c'est de ne jamais oublier; ils croient qu'il y a des choses ineffaçables et des haines saintes. Gustave ALLAIS.

Lucien DECOMBE. Le théâtre à Rennes, 1 vol. in-8°, 1899.

C'est avec grand intérêt que j'ai lu cette monographie, très documentée, semée d'anecdotes piquantes et parfois très amusantes, en vérité.

L'auteur, voulant faire l'histoire complète du théâtre à Rennes, remonte jusqu'au Moyen-Age, à l'époque des mystères, moralités et sotties. Mais, avant le XVIIIe siècle, les documents ne sont pas abondants. C'est seulement à partir des dernières années du règne de Louis XIV que cette histoire devient assez accidentée. Rappelons par exemple la lutte que soutint l'Association des étudiants en droit pour leur privilège de treize entrées gratuites au théâtre (chap. IV). Des

abus s'étant produits, fort regrettables pour l'intérêt des études, le Parlement de Bretagne dut intervenir et, le 30 avril 1773, rendit un arrêt supprimant le privilège des entrées gratuites : ce précieux privilège fut d'ailleurs restitué deux ans plus tard aux intéressés.

Le cœur de l'ouvrage (chap. Và X) est consacré à l'histoire des anciennes salles de spectacle, particulièrement celle établie au Jeu de Paume de la Poulaillerie, près du Champ-Jacquet; c'est elle qui survécut aux autres et, grâce à plusieurs reconstructions et réparations successives, elle dura jusqu'en 1836. Le mardi 1er mars 1836, fut inaugurée une nouvelle salle, la salle actuelle, avec la Dame Blanche et Maison à vendre, petit opéra-comique dont le livret était d'Alexandre Duval.

Suivent toutes sortes de renseignements très intéressants sur le répertoire des pièces dramatiques et lyriques jouées en 1836-37 et 1837-38; sur l'organisation des arrondissements de théâtre, sur la carrière lyrique des deux Warot père et fils, sur les appointements des artistes d'opéra et d'opéra-comique en 1843 et 1883-84 cette comparaison est des plus instructives.

Le chapitre XIV comprend une quinzaine de notices sur des artistes rennais dont quelques-uns sont très connus: Elleviou, RousseauLagrave, Belval, Blanche Pierson, Mile Mauduit, Marguerite Chapuy.

Au chap. XV, M. Decombe parle de la presse théâtrale et nous donne d'intéressants détails sur l'existence mouvementée du Foyer, << journal-programme du théâtre de Rennes. » Ce journal eut parmi ses rédacteurs: Hippolyte Lucas, René Kerambrun, Edouard Turquety, Leconte de Lisle, alors étudiant à Rennes, et plus occupé de littérature et de journalisme qu'assidu aux cours de droit. Leconte de Lisle donna au Foyer deux pièces de vers; puis, à la suite de difficultés survenues entre le Foyer et la direction du théâtre, il quitta le journal et fonda le Sifflet. En même temps, il collaborait à une revue mensuelle, la Variété, où il publia deux nouvelles, plusieurs poésies, enfin trois études littéraires, l'une sur Hoffmann, l'autre sur Shéridan, la troisième sur André Chénier. M. Decombe termine son étude par une analyse très complète d'un curieux numéro du Foyer, celui du 30 décembre 1838, écrit « entièrement en vers, depuis la manchette jusqu'au nom de l'imprimeur. » J'ai particulièrement goûté ce dernier chapitre.

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