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L'ORIGINE SARRASINE DE DUGUESCLIN

Les historiens répètent que Duguesclin croyait descendre d'un roi sarrazin et que l'idée de reconquérir les états de ses ancêtres en s'emparant du royaume de Bougie hanta un instant son esprit.

« Qui sait, ajoute son dernier historien, si ces illusions >> entretenues sans doute dès l'enfance n'ont pas exercé quelque influence sur l'ambition, et par suite sur les >> destinées du connétable 1. >>

Cette opinion s'appuie uniquement sur un passage de Froissart qu'il importe de reproduire. L'excellent reporter chevauchant en Touraine vers 1390, fit connaissance d'un chevalier breton, messire Guillaume d'Ancenis, lequel lui fit le récit suivant 2:

<< Lors commença messire Guillelme d'Anssenis à faire >> son compte Au temps que le grant Charles de France >> regnoit, qui fut si grant conquereur et qui tant augmenta » la sainte chrestienté et la noble couronne de France et >> fut empereur de Rome, roi de France et d'Allemagne, » et gist à Aix-la-Chapelle, ce roy Charles, si comme on >> list et treuve ès croniques et gestes anchiennes, fut en >> Espaigne par plusieurs fois et plus y demoura une fois » que autres. Une fois entre les autres saisons il y demoura

1. Siméon Luce, Histoire de Bertrand du Guesclin. La jeunesse de Bertrand (Paris, 1876, un vol. in-8°), p. 4.

2. Froissart, éd. Kervyn de Lettenhove, XII, 225-228; reproduit par Joüon des Longrais, p. III-VII.

>>nœuf ans sans partir ne retourner en France; mais tous>> jours conqueroit avant sur les ennemis de la foy. En ce

temps avoit ung roy fort puissant Sarrazin, qui s'appe» lait Aquin, lequel roy estoit de Bougie et de Barbarie à >> l'opposite d'Espaigne et des circonstances (?), car

Espaigne mouvant des pors est grande à merveilles ...et » jadis conquist le grant roy Charlemaigne toutes icelles >> terres et roiaulmes. En ce séjour que il y fist, le roi Aquin, >> qui roy estoit de Bougie et de Barbarie, assembla ses » gens en grant nombre et s'en vint par mer en Bretagne » et arriva au port de Vennes, et avoit amené sa femme et >> ses enffants, et se amassa la entour ou pays, et ses gens >> aussi s'i amassèrent en conquerant tousjours avant. Bien >> estoit le roy Charlemaine infourmé de l'entreprinse de ce » roy Aquin qui se tenoit en Bretaigne, mais il ne vouloit >> pas pourtant rompre ne deffaire son voiage d'Espaigne » ne son emprinse. Et disoit « laissiés le amasser et » s'enarroyer en Bretaigne; ce nous sera ung petit de » chose à delivrer le pays de luy et de ses gens après que »> nous avons acquittié les terres de deça les mons et tout >> reduit à la foy chrestienne. Le roy Aquin sur la mer, assés >> près de Vennes 2, fist faire une tour moult belle que l'on appellât le Glay et là se tenoit ce roy Aquin trop voulen>> tiers. Si advint quand le roy Charlemaine ot accomply » son voiage et acquittié Gallice et Espaigne et toutes les » terres encloses dedens Espaigne, et mors les roys sarra>> zins et bouté hors les mescreians et toute la terre tournée » à la foy chrestienne, il s'en retourna en Bretagne et >> mist sus ses gens aux champs. Si livra une bataille grosse >> et merveilleuse contre le roy Aquin et y mors et desconfis

1. Bougie est une invention de Guillaume d'Ancenis. Il n'en est pas question dans le Roman d'Aquin.

2. La mémoire de Froissart est en défaut. 11 est absurde de faire débarquer Aquin à Vannes alors que sa tour est près de Saint-Malo, à Quidalet. Il est probable que Froissart a oublié ce dernier nom, inconnu hors de la région, et l'a remplacé à tout hasard par Vannes.

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» tous les roys sarrazins et leurs gens qui la estoient ou en >> partie, tellement que il convint ce roy Aquin fuir, et >> avoit sa navie toute preste au pié de la tour du Glay. Il >> entra dedens, et sa femme et ses enffans 1, mais ils >> furent si hastés des François qui les chassoient que le >> roi Aquin et sa femme n'eurent loisir de prendre un petit >> fils qui dormoit en celle tour et avoit environ ung an; >> mais ils esquipèrent en mer et se sauverent ce roy et sa >>femme et ses enffans. Si fut trouvé en la tour du Glay ce jeune enffant et fut porté au roy Charlemaine qui en eut >> tres grant joye et voult qu'il fuist baptisié. Si le fust et >> le tindrent sur fons Rolant et Olivier, et ot nom celluy >> enffant Olivier, et luy donna l'empereur bons mainbours. » pour le garder et gouverner et toute la terre que son pere >> Aquin avoit acquise en Bretaigne 2. Et fut cet enffant, » quand il vint en eage d'homme, bon chevalier saige et » vaillant et l'appeloient les gens Olivier du Glay-Aquin, » pour tant qu'il avoit esté trouvé en la tour du Glay et >> que il avoit esté fils du roy Aquin, mescreant qui oncques >> puis en Bretaigne ne retourna ne homme de par luy.

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>> Or vous ai je racompté la premiere fondation et venue » de messire Bertran de Claiequin, que nous deussions dire >> du Glay-Aquin. Et vous dy que messire Bertran disoit >> quant il ot bouté hors le roy dam Piètre de son roiaulme » de Castille et couronné le roy Henry de Castille et >> d'Espaigne, que il s'en vouloit aler ou roiaulme de Bougie (il ne avoit que la mer a traverser), et disoit que >> il vouloit reconquerir son royaulme et son heritage. Et >> l'eust sans faulte fait, car le roy Henry luy vouloit >> prester gens a plenté en bons navires pour aler en Bougie, et s'en doubta moult grandement le roy de

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1. Le Roman d'Aquin ne souffle mot des enfants d'Aquin. On verra plus loin pourquoi le narrateur suppose des enfants au roi sarrasin.

2. On va voir que cette terre, c'est dans la pensée du narrateur le Poulet (Pou-Alet), c'est-à-dire la presqu'île entre la Rance et la baie de Cancale.

>> Bougie; mais ung empeschement lui vint qui rompit » tout, et fut quand le prince de Galles guerroia le roy » Henry et il ramena le roy dam Pietre et par puissance il » le remist en Castille... Et pour ces causes et aultres se >> desrompirent les propos de messire Bertran, car la guerre » de France et d'Angleterre renouvella. Si fut tellement >> occupé et ensommé que il ne pot onques ailleurs entendre, » mais, pour tant, ne demeure mie qu'il ne soit yssu du >> droit estoc du roy Aquin qui fut roy de Bougie et de » Barbarie. Or vous ay je racompté de l'ancienne geste et >> extrassion de messire Bertran du Glay-Aquin. »

Cette historiette ne prouve qu'une chose c'est que Guillaume d'Ancenis était familier avec la topographie des environs de Saint-Malo et qu'il connaissait le Roman d'Aquin1. Cette chanson de geste composée par un clerc breton de Dol ou de Saint-Malo, à la fin du XII° siècle 2, a conservé le souvenir des invasions scandinaves qui ont désolé la Bretagne au X° siècle. Ce qu'elle dit des Norois est au fond historique et le personnage d'Aquin n'est pas imaginaire 3. Le théâtre de l'action, toute romanesque bien entendu, c'est l'antique cité d'Alet (Kidalet), abandonnée depuis moins d'un demi-siècle au moment de la rédaction de ce poème et dont les ruines persistèrent jusqu'au XVI° siècle 4. La tour d'Oreglé où réside Aquin joue un rôle important dans cette composition. Les « Sarrazins » l'appelaient aussi La tour Aquin (v. 233 et 2301), Le nom d'Oreglé est l'origine de la dénomination de le Glay donnée à cette tour (aujourd'hui le Solidor, à Saint-Servan). Il

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1. Ce poème a été l'objet d'une bonne édition, due à M. Joüon des Longrais avec une excellente annotation historique et géographique, Le Roman d'Aquin ou la conqueste de la Bretaigne par le roy Charlemagne. Nantes, 1880, un vol. in-8° (Société des Bibliophiles bretons).

2. lbid., p. XXXVIII-XLV.

3. M. Joüon des Longrais a ingénieusement conjecturé (p. LXV-LXVI) que Aquin (Haco) n'est autre que l'Ingo qui, en 931, reconquit la Bretagne sur les Bretons.

4. lbid., LXXVI et CXXXI.

s'est produit vers le XIII-XIV° siècle une contamination qui a donné le Glay-Aquin. Guillaume d'Ancenis a imaginé1 de mettre ce nom en rapport avec celui de Guesclin, prononcé aussi Glesquin, Glaquin, et d'expliquer ce dernier par le premier. La chose s'explique d'autant mieux que Guesclin est un fief sur la paroisse de Saint-Coulomb, entre SaintMalo et Cancale, dans ce petit territoire du Pou-Alet (pagus d'Aleth) dont la famille Guesclin possédait une bonne partie 2. Tel a été le point de départ de l'invention. L'imagination une fois mise en branle n'eut pas de peine à poursuivre son chemin. Si Duguesclin est mis en rapport avec la Tour d'Aquin, c'est qu'il descend de ce roi. Mais comment? Le poème ne lui donne pas de fils. Il raconte seulement qu'il abandonna sa tour et s'enfuit par mer avec sa femme (pp. 80-90). Qu'à cela ne tienne. Guillaume imagine qu'il a abandonné dans sa tour un jeune enfant d'un an. Porté à Charlemagne, l'enfant fut baptisé et eut pour parrains Roland et Olivier. Il prend le nom de ce dernier et reçut le surnom de Glay-Aquin « pour tant qu'il avoit esté trouvé en la tour du Glay et que il avoit esté fils du roy Aquin. » L'intervention d'Olivier dont, naturellement, on ne peut séparer Roland, n'a d'autre but que d'expliquer ce nom d'Olivier. Très rare partout ailleurs, il se rencontre dans cette région nord-est de la Bretagne, parmi les sires de Dinan dont les sires de Guesclin étaient issus 3.

Le motif de cette supercherie n'est pas difficile à démêler. Guillaume d'Ancenis a cru rehausser la gloire de Duguesclin et de sa famille, à laquelle il était uni par des

1. M. Joüon des Longrais s'y est trompé et a cru (p. VII-VIII) qu'il avait existé à côté du Roman d'Aquin, tel qu'il nous est connu, une autre chanson de geste. Notre analyse montre que cette hypothèse est insoutenable. Nous sommes en présence d'une fabrication étymologique et d'une œuvre personnelle dont Guillaume d'Ancenis porte la responsabilité.

2. Voy. l'article de M. L. Rioult de Neuville sur les ancêtres de Duguesclin dans Rev. des Questions historiques, 1872, II, 208-220.

3. Ibid.

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