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Toutefois, je viens répondre à Votre Altesse, et je l'aurais certainement fait plus tôt si l'état de ma santé me l'eût permis. Je me propose d'examiner avec vous, Altesse, s'il y avait lieu de m'adresser cette lettre qui nous occupe, et si cette démarche était de nature à atteindre le seul but que la Sublime-Porte ait pu se proposer, c'est-à-dire à soutenir l'action d'un gouvernement régulier et à maintenir intacts ces principes d'autorité dont le respect n'importe pas moins à la sécurité de l'empire ottoman qu'à la tranquillité de la Roumanie.

Votre Altesse a été l'un des signataires de l'acte international du 19 août 1858. Elle a joué un rôle considérable et très-actif dans la Conférence de Paris, et elle a toujours veillé strictement au respect d'une œuvre qui est en grande partie la sienne et dont les stipulations doivent toujours être présentes à sa mémoire. Je me vois cependant forcé de rappeler ici que les Principautés-Unies, aux termes formels de la Convention, s'administrent librement et en dehors de toute ingérence de la Sublime-Porte; et que, si l'auguste Cour suzeraine a le droit de provoquer des mesures d'ordre public en Roumanie, il faut d'abord que l'ordre ait été compromis, et, en second lieu, qu'il y ait eu entente de la Sublime-Porte avec les Cours garantes. Or, d'une part, si l'on veut voir les choses telles qu'elles sont, les juger d'un œil sérieux et impartial, personne ne peut dire que l'ordre public ait été compromis par une échauffourée qui a eu pour prétexte des mesures d'hygiène analogues à celles qui ont été prises à Constantinople lors de l'apparition du choléra ; et, d'autre part, il n'est pas à ma connaissance qu'une entente internationale se soit établie sur cette question. Ceci posé, je cherche en vain quels doivent être le motif et le but de la lettre de Votre Altesse.

Que les événements du 3/15 août aient inspiré de vives inquiétudes au Gouvernement impérial, je m'en étonne; je pourrais peut-être le comprendre si la dépêche qui a fait connaître à Constantinople les actes de quelques séditieux n'avait annoncé en même temps la répres sion complète de cette tentative de désordre. Mais ce que je ne puis pas m'expliquer, c'est que les inquiétudes de Votre Altesse ne lui aient inspiré qu'un blâme pour mon Gouvernement et pour les mesures vigoureuses qui ont sauvegardé la tranquillité publique.

A coup sûr, Altesse, votre perspicacité si éprouvée a été mise cette fois en défaut. Imparfaitement renseigné sur les faits, privé de tout moyen direct d'informations, vous avez tenu, de bonne foi, je n'en puis douter, un langage qui engendrerait, si je n'y veillais, des difficultés que vous n'avez pas soupçonnées, car votre lettre pourrait certainement être interprétée par les intéressés comme un véritable encouragement. Et, en effet, on serait porté à croire, d'après les dires de Votre Altesse, que les événements du 3/15 août ont eu une importance

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politique réelle. Ce n'est plus, à ses yeux, une échauffourée; c'est une révolution, c'est toute la Roumanie soulevée contre mon Gouvernement; c'est l'expression brutale d'un mécontentement général!» Je ne saurais admettre qu'on pût tirer d'aussi fâcheuses conséquences d'un incident local qui se produit partout, qui se produisait récemment, par des causes aussi futiles, à Munich, à Barcelone, ce qui ne prouve absolument rien contre les gouvernements de Bavière et d'Espagne. Je conteste donc formellement que les désordres du 3/15 août aient eu le caractère général que Votre Altesse croit devoir leur attribuer. L'attitude des habitants de la capitale pendant cette journée, les témoignages recueillis sur tous les points du territoire, attestent, au contraire, que le peuple roumain repousse avec indignation et énergie toute tentative contre les institutions du pays. Ces manifestations éclatantes seront accueillies avec satisfaction par Votre Altesse, je n'en doute pas; car elles dissiperont ses inquiétudes et elles combleront ses vœux, en lui portant l'assurance qu'aucun germe de désaffection publique » n'existe dans l'esprit de nos intelligentes populations.

Ce n'est pas sans regret que je me vois ainsi forcé de démontrer à Votre Altesse qu'elle a été trompée sur le caractère et la gravité des événements du 3/15 août, et qu'elle a accepté, de trop bonne foi, des erreurs dont il lui eût été facile de se défendre. A quelles sources Votre Altesse s'est-elle inspirée ? Je l'ignore, mais il est certain qu'elle n'a demandé aucune information à mon Gouvernement, qu'elle a été mal renseignée sur le principe de la sédition, et qu'elle a complétement ignoré que cet incident allait être exploité, si l'autorité eût faibli, par tout ce qui est hostile à l'ordre des choses que la Convention a institué. Je ne saurais m'expliquer autrement que Votre Altesse ait été amenée à juger, avec une si grande précipitation, des événements qu'elle ne pouvait apprécier, puisque, de son propre aveu, elle n'en connaissait point les causes, et à jeter, sans un plus ample examen, la désapprobation sur un Gouvernement dont la Sublime-Porte a souvent et hautement loué les efforts, les tendances et les progrès.

N'ai-je donc pas le droit de m'étonner que Votre Altesse n'ait eu que des paroles sévères pour les autorités qui ont su maintenir l'ordre public?

J'aurais mieux compris que Votre Altesse se félicitât d'un acte de vigueur dont les Puissances garantes, et surtout la Sublime-Porte, peuvent apprécier les heureuses conséquences au point de vue du maintien de la tranquillité générale en Orient. D'ailleurs, Altesse, vous n'aurez certainement pas oublié que, dans ces dernières années, la sollicitude du Gouvernement impérial s'est toujours exercée dans une voie complétement opposée à celle que vous semblez vouloir suivre

aujourd'hui. Combien de fois la Sublime-Porte, sur les craintes les plus légères, pour un discours imprudent de tel ou tel député, par exemple, ne s'est-elle pas plainte, et par l'organe de Votre Altesse elle-même, que mon Gouvernement tolérât les turbulentes agitations de l'ancienne Chambre et les intrigues de certains hommes qui obéissaient à des influences pernicieuses! Et quand des idées subversives étaient hautement prêchées comme une excitation aux désordres qui éclataient, le lendemain Votre Altesse s'étonne que mon Gouvernement ait réprimé par la force de si dangereuses tentatives!

Fallait-il donc, ce jour-là, laisser le champ libre aux émeutiers? Et à supposer que mon Gouvernement n'eût pas fait, son devoir, qui se serait chargé de rétablir l'ordre alors vraiment compromis? La Sublime-Porte, sans doute, de concert avec les puissances garantes? Dieu garde la Sublime-Porte, Altesse, de subir cette nécessité et de se laisser entraîner dans des complications dont les conséquences échappent à toute prévision humaine!

Je ne laisserai pas échapper cette occasion de rappeler à Votre Altesse ce que j'ai eu le plaisir de dire à tous les hauts fonctionnaires ottomans lors de mes deux voyages à Constantinople, sur les nécessités d'une entente intime et sincère entre la Sublime-Porte et mon Gouvernement.

Voyez d'un œil satisfait, leur disais-je, les événements et les actes qui peuvent augmenter la prospérité de la Roumanie. Relever les Roumains, consolider les institutions, encourager le développement de leurs forces, diriger leurs aspirations, maintenir leurs priviléges et leurs immunités, faire respecter leurs droits pour qu'ils sachent mieux respecter les droits des autres, c'est travailler aussi bien dans l'intérêt de l'Empire ottoman que dans l'intérêt de la Roumanie ellemême; c'est donner tout à la fois à la Roumanie des garanties sérieuses pour son repos et sa prospérité, et à l'Empire ottoman des garanties non moins sérieuses pour sa sécurité et sa puissance. Avec les princes dont la Sublime-Porte ne savait pas toujours ménager les droits ni la dignité, Bucharest et Jassy devaient fatalement chercher leur appui dans les influences extérieures: il n'est pas besoin de rappeler quels ont été pendant longtemps les résultats de cette politique. Mais, avec un prince qui entend que la Roumanie jouisse complétement des droits d'autonomie et d'indépendance extérieures acquis ab antiquo au pays, droits reconnus et consacrés par le traité de Paris et par la convention, et qui veut respecter, comme il l'a proclamé et prouvé en toute circonstance, des liens également profitables à l'empire ottoman et aux Principautés-Unies; avec un prince qui sera certain de trouver à Constantinople les égards dus au pays qu'il représente et aussi les égards dus à sa position personnelle, la Sublime-Porte pourra tou

jours compter sur la Roumanie, et jamais aucun danger ne lui viendra du côté des Roumains. Telle a été jadis, disais-je encore, la politique traditionnelle du Divan. Que le Gouvernement impérial veuille bien porter ses regards dans le passé et se rappeler quels furent les rapports de la Sublime-Porte avec les premiers princes roumains qui ont recherché la garantie de sa suzeraineté, il puisera de grands enseiguements dans la sage et clairvoyante politique des glorieux sultans des xv et xvi siècles; il comprendra combien alors l'existence de la Moldavie et de la Valachie, comme États, était jugée précieuse pour l'Empire ottoman, et pourquoi les sultans Bajazet Ier et Solyman II, loin d'assimiler les Principautés à leurs autres possessions, loin d'étouffer une nationalité qui était à la discrétion de leurs armes puissantes, ont voulu, au contraire, s'en faire un rempart, respecter leur indépendance intérieure et assurer fortement l'autonomie et les priviléges du peuple roumain. »

Aujourd'hui, Altesse, je vous tiendrai absolument le même langage. La situation réciproque de l'Empire ottoman et des Principautés-Unies n'a pas changé; leur situation commune vis-à-vis de l'extérieur est la même; leurs intérêts sont aussi intimement unis que dans le passé. Selon moi, tout désordre qui menace la tranquillité publique en Roumanie, tout danger qui menacerait notre sol ou notre autonomie, sont également des menaces pour l'Empire ottoman. Et c'est pourquoi je n'aurai jamais la faiblesse condamnable de laisser à la Sublime-Porte le soin de prendre, en pareil cas, les mesures concertées que la Convention lui impose. Je comprends plus hautement et plus dignement mes devoirs.

Et pour parler une dernière fois de la triste affaire du 3/15 août, félicitons-nous donc ensemble de ce que ce désordre ait été promptement réprimé. Je gémis, autant que personne, des rigueurs qu'il a fallu déployer, et m'élevant, avec Votre Altesse, vers le domaine de la philosophie, je souhaite, moi aussi, que la force ne devienne pas le seul moyen d'apaisement dans ce monde; et cependant je n'hésite pas à vous déclarer que, toutes les fois qu'un fait se posera devant moi, comme se sont posés les événements du 3/15 août, c'est-à-dire toutes les fois que des menées subversives mettront en péril les institutions du pays, je saurai répondre à la confiance du peuple roumain et à ses désirs, en maintenant énergiquement l'ordre public, toutes les fois que la tranquillité de la Roumanie sera compromise; de quelque part que vienne le danger, je ne consulterai que mon devoir, mes droits et nos intérêts communs. J'aime trop mon pays, je comprends trop bien la valeur de nos liens avec la Sublime-Porte et de ses légitimes préoccupations pour jamais les sacrifier à la crainte d'une responsabilité que je saurai toujours accepter, si lourde qu'elle puisse être.

Votre Altesse elle-même a pu se convaincre plus d'une fois, dans sa longue carrière, que la raison politique a des exigences terribles, et qu'il est des heures où le devoir s'impose inexorablement aux esprits les plus portés à la mansuétude.

En terminant, Altesse, je vous exprime mes regrets très-profonds d'un incident qui n'altérera point, je l'espère, des rapports personnels à la conservation desquels j'ai mis tous mes soins. Votre Altesse reviendra bientôt, je n'en doute pas, à des appréciations plus exactes sur la situation des Principautés-Unies; j'en ai pour garant sa haute intelligence et la sollicitude dont tout loyal exécuteur des volontés de S. M. I. doit être animé envers les Roumains.

Quant à moi, Altesse, les intérêts de mon pays ont toujours été et seront toujours les seuls mobiles de mes actes, et ces intérêts sont à mes yeux inséparables de ceux de l'Empire ottoman. C'est vous dire que, pénétré de mes devoirs comme prince et comme Roumain, je ferai tous mes efforts pour entretenir avec la Sublime-Porte ces relations intimes dont les avantages réciproques frappaient si souvent, l'an dernier, l'esprit éclairé de Votre Altesse. Puissent ces heures de confiance revenir. Le Gouvernement de la Sublime-Porte me trouvera toujours animé des mêmes sentiments qui m'ont valu des témoignages si éclatants de la bienveillance particulière de S. M. I. le Sultan, notre auguste suzerain, et de sa vive sollicitude pour la Roumanie. Recevez, Altesse, l'assurance de ma très-haute considération. Signé: ALEXANDRE-JEAN.

Lettre de Fuad-Pacha au prince Alexandre-Jean, en date du 29 novembre 11 décembre 1865, en réponse à sa lettre du 16 novembre.

Altesse,

J'ai l'honneur de vous accuser réception de la lettre que vous m'avez adressée le 10 novembre en réponse à celle que j'avais écrite à Votre Altesse à l'occasion des événements du 3/15 août dernier.

Le ton et la teneur de cette lettre me garantissent suffisamment que Votre Altesse ne se formalisera pas de la franchise des explications qu'elle provoque.

Et d'abord, je prie Votre Altesse de croire que ce n'est pas une justification que j'entreprends en entrant dans les détails qui vont suivre. La lettre à laquelle Votre Altesse répond est sous les yeux de tout le monde, et je laisse à tout le monde de juger si elle a mérité

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