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foule de personnes dans les situations les plus diverses, nous aide à comprendre notre for intérieur, le seul sur lequel nous ayons des notions immédiates.

L'observation interne a donc pour objet nos propres besoins, nos propres aspirations, dont notre imagination est l'expressiou. Elle ne peut exister que si nous prêtons l'oreille à ces aspirations. Il y a donc des rapports entre l'observation interne et la fonction de l'imagination, mais il y a aussi entre elles de grandes différences, voire même des incompatibilités. Autre chose est d'étudier le jeu d'une force; autre chose de s'y laisser aller. L'observation suppose toujours une certaine indépendance.

L'observation externe elle aussi rencontre, sur le terrain des faits moraux, des difficultés particulières. Les manifestations de l'activité humaine se rangent sous deux chefs principaux, la théorie et la pratique, dont nous aurons à examiner de très-près la valeur. Certaines observations préliminaires sont ici nécessaires.

Dans tous les domaines, il faut distinguer la science pure, qui cherche ce qui est, le réel, et la science appliquée, qui cherche les moyens de produire ce qui doit être, le bien. La science pure n'est qu'un des instruments employés par la science appliquée; c'est afin d'atteindre le bien que nous cherchons à connaitre le réel.

Pour bien des gens toutefois, la science morale a pour but exclusif le bien, lequel se révèle dans nos aspirations. Ces gens là se font une idée très-incomplète de la science morale et du bien; ils nous proposent des buts irréalisables; ils sont cause qu'on travaille souvent en pure perte, et qu'alors on recule au lieu d'avancer.

D'autres comprennent qu'il n'y a de bien, digne de ce nom, que celui qui ne franchit pas les limites du nécessaire. Dès lors, nos aspirations ne sont pas le seul élément ni le seul indice de ce qui est bien. Car elles ne nous disent pas ce qui est possible. Comment nous renseignerons-nous sur ce dernier point? Tout ce qui est réel est possible; l'observation de la réalité peut déjà nous fournir certains renseignements; mais ces données sont incomplètes et insuffisantes. Car il va sans dire qu'il y a des choses qui sont possibles quand mêmes elles ne sont pas réelles. Il y a donc une autre limite à chercher.

Il est assez généralement admis que l'homme ne crée rien, et que son rôle se borne à combiner et à diriger des éléments qui lui sont fournis par la nature. Si l'on nous accorde ce point, qu'il est impossible de prouver, mais que tout le monde ou à peu près reconnait en pratique, notre tàche

sera singulièrement facilitée. La réalité nous présente, non pas toutes les combinaisons possibles, mais les éléments de toutes ces combinaisons. On accordera en tout cas que de deux perspectives qui nous sont présentées, le bon sens nous commande de nous attacher à celle dont les éléments de réalisation existent, fùt-elle même la moins séduisante.

Ainsi la réalité nous renseigne, et nous renseigne seule, sur ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Et le bien devant avant tout être possible, celui qui ne connait pas la réalité n'aura jamais des idées justes sur le bien, ni sur le devoir. A l'impossible nul n'est tenu. Un système de morale qui supposerait la substitution, aux mobiles constatés par l'expérience, d'autres mobiles purement hypothétiques, n'aurait aucun droit à notre confiance. La première chose à faire pour connaitre nos devoirs, c'est de nous rendre compte des mobiles qui nous font agir, des modifications dont ils sont ou ne sont pas susceptibles.

Si nous voulons avoir une idée juste de l'importance de la réalité, il faut se rappeler que dans bien des cas, ce qu'il nous importe de savoir, ce sont les règles appliquées, bonnes ou mauvaises. On ne peut pas demander aux puissances beliigérantes par exemple d'appliquer les lois de la guerre telles qu'elles devraient être aux yeux de tel ou tel; elles n'ont à suivre que les règles existantes, reconnaissables à un consentement exprès, ou mieux encore au consentement tacite de la pratique.

N'oublions pas seulement que nous nous trouvons ici en face d'une réciprocité d'influences. Si la réalité nous renseigne sur ce qui doit être, dans bien des domaines au moins on ne comprend pas ce qui est si l'on ignore complètement ce qui doit être. Le progrès est un des éléments constitutifs du monde moral. Le réel se modifie incessamment sous l'invincible attraction du bien. La conscience populaire et le droit d'aujourd'hui par exemple, ne sont que des compromis entre ce qu'ils étaient hier et ce qu'ils seront demain. Le jurisconsulte qui veut être de son temps ne peut plus se tourner exclusivement vers le passé et rester étranger à l'avenir. Il y a eu une période sans doute où l'on n'imaginait pas d'autre but à poursuivre qu'un retour vers des temps antérieurs. On sait qu'à la suite de l'effondrement du monde ancien, l'humanité dut recommencer la construction de l'édifice social. Tout n'était pas à rejeter pourtant dans la civilisation détruite. La législation romaine en particulier était bien supérieure à tout ce qu'on avait et à tout ce qu'on sentait pouvoir faire. Quelque chose d'analogue à ce qui a eu lieu pour la jurisprudence s'est passé dans la théologie et la philosophie. De là la position prise par ces trois sciences et l'empire exclusif de la scolastique

dans leurs domaines. Pour s'ètre prolongée pendant des siècles et à bien des égards jusqu'à nos jours, cette position n'en était pas moins anormale et passagère, comme tout ce qui résulte de circonstances exceptionnelles. Il est dans l'essence de toutes les branches de la morale de se modifier sans cesse. On ne comprend ce qu'elles sont dans le moment actuel que si on pressent ce qui se prépare. Ainsi le réel, le nécessaire et le bien sont inextricablement emmêlés, et s'il faut les distinguer, on ne saurait les séparer.

Nous en dirons autant de trois faits moraux trop souvent confondus : le mobile qui nous fait agir, l'idée que nous nous en faisons, le moyen que nous employons.

Les mobiles sont les besoins, les aspirations; ils prennent d'abord la forme d'un vague sentiment de malaise auquel nous désirons nous soustraire, sans nous rendre compte ni du moyen à employer, ni même de la nature de notre angoisse.

L'effet ordinaire du besoin, c'est de nous mettre en quête d'un moyen de satisfaction; et la recherche du remède nous conduit au diagnostic de la souffrance. Nous cherchons à nous rendre compte du besoin qui nous agite; d'autre part, ce n'est guère que lorsque nous avons trouvé, ou croyons avoir trouvé un moyen de satisfaction, que nous arrivons à nous représenter la nature de notre besoin. La production de l'idée se trouve donc être tout à la fois un intermédiaire employé pour trouver le moyen et un effet de la recherche du moyen. Les deux fonctions s'appuient et se développent l'une l'autre.

Il est des cas, toutefois, dans lesquels l'intermédiaire de l'idée est supprimé. Le désir enfante, ou tout au moins parait enfanter immédiatement l'acte destiné à le satisfaire; il devine le remède sans recourir au diagnostic. Il est donc des désirs et des actes instinctifs comme il en est de consciens. Les premiers sout même les plus nombreux de beaucoup. Ils sont les seuls qu'on rencontre chez les animaux et chez les hommes qui leur ressemblent. Le phénomène de la conscience, dont le germe existe probablement chez tous les hommes, peut-être même chez les animaux, ne prend un développement sensible que chez une petite élite, et n'affecte mème que l'élite des actes de ces individus d'élite. La masse des êtres et la masse des actes de chaque être restent toujours sous l'empire de l'instinct. On voit que nous avons à faire à une distinction toute relative, comme le sont du reste probablement toutes celles de la science.

La substitution de la conscience à l'instinct est un de ces progrès qui exposent à des dangers, ou qui obligent à de nouveaux progrès pour conju

rer ces dangers. Sous le règne de l'instinct il n'y a pas proprement d'erreur possible. Chez celui qui est incapable de représentations, d'idées, il n'y a pas de discordance possible entre une représentation et son objet. L'erreur n'est pas sans doute un progrès, mais elle suppose un progrès, elle est l'indice d'un état meilleur que l'ignorance absolue. A proprement parler, l'homme se trompe, mais non pas l'animal.

S'il n'y a pas d'erreur sans représentation, on peut dire aussi qu'il n'y a pas de représentation sans erreur. On sait que la ressemblance entre la représentation et son objet n'est jamais parfaite. Nous devons nous efforcer de réduire les différences au minimum, sans jamais nous flatter de les avoir fait complètement disparaître. La méprise peut porter sur le monde intérieur comme sur l'extérieur, sur les mobiles comme sur les circonstances. Dans les deux domaines, nous devons nous défier des suggestions de notre imagination, bien que nous ne puissions pas nous en passer.

Maintenant que nous avons appris à distinguer le réel, le bien et le nécessaire, le besoin, l'idée et le moyen de satisfaction, la conscience et l'instinct, que nous leur avons assigné leurs places, leurs fonctions et leurs mérites, nous allons revenir aux deux manifestations des mobiles de l'activité humaine, à la théorie et à la pratique.

La théorie et la pratique sont destinées à se combiner. La première n'existe que pour être appliquée; la dernière ne peut se perfectionner qu'en se rendant compte d'elle-même, en prenant la forme d'une théorie. Cette combinaison idéale ne s'opère malheureusement pas toujours. Il est des théories qui ne sont pas appliquées, tant parce qu'elles sont inapplicables que par toute autre cause. Nous les appellerons pures théories.

Il est d'autre part des pratiques qui ne sont pas formulées en théorie et que nous appellerons pratiques inconscientes. Entre ces deux extrêmes et au dessus d'eux s'élève, comme le sommet d'un triangle, la pratique consciente, qui réunit et combine les divers éléments que nous veuons de voir isolés. Toutes ces distinctions, nous n'avons pas besoin de le rappeler, sont relatives.

Parlons d'abord des pures théories. Evidemment, elles ne sont pas l'expression de ce qui est, du droit actuellement appliqué par exemple. Bien souvent même elles se glorifient de se mettre en contradiction avec la réalité. Qui n'a entendu, dans des discours calculés en vue des applaudissements, qui n'a lu dans des articles de journaux préoccupés avant tout des abonnements, ces oppositions pompeusement établies entre le droit tel qu'il se manifeste dans les aspirations des masses populaires, et la pratique

hideuse des diplomaties? Une théorie qui se recommande de la sorte perd tout crédit aux yeux de ceux qui connaissent et respectent la méthode scientifique, mais elle se dédommage ailleurs. Dégagées d'une foule de complications nécessaires, les pures théories sont de beaucoup les plus simples, les plus faciles à comprendre. Exclusivement dictées par le moi, elles flattent les penchants naturels. Par ces deux raisons, les gens sans éducation les préfèrent aux systèmes scientifiques longuement remaniés et adaptés à des exigences tout autres que celles des passions.

Le mal ne s'arrête malheureusement pas là. Les théories populaires sont aussi, sinon pratiquées, au moins professées et colportées par une foule de gens qui sont parfaitement capables d'en connaitre les défauts, mais qui vivent aux dépens des masses, et qui, pour en obtenir de l'argent, des suffrages ou des applaudissements, ont besoin de les flatter et par conséquent de les tromper. Or les masses et ceux qui vivent à leurs dépens forment une classe nombreuse. C'est donc précisément parce qu'elles sont en grande partie fausses que les pures théories ont tant d'adhérens. N'est-ce pas le cas de se souvenir de la parabole du chemin étroit et solitaire qui conduit au salut, et de la voie large et fréquentée, qui mène à la perdition? Préférer la popularité à la vérité, c'est déclarer la guerre à la force des choses, et se préparer d'inévitables désastres.

Les pures théories ne sont donc pas l'expression de ce qui est. Sont-elles l'expression de ce qui doit être, du droit en formation par exemple? Rien ne le prouve, et si nous ne voulons pas leur dénier en principe cette valeur, on ne peut pas exiger de nous que nous la présumions. Nous avons le droit de demander à une théorie des garanties de sa possibilité. Il faut qu'on nous montre que les matériaux nécessaires à sa réalisation existent. A moins d'abandonner les principes scientifiques établis plus haut, une pure théorie ne peut prétendre à être l'expression de ce qui doit être qu'à la condition de ne pas se séparer de tous points de la réalité. Elle en peut différer quant à la forme, quant à la manière dont les éléments sont combinés, mais non pas quant aux éléments eux-mêmes.

N'oublions pas d'ailleurs que nul de nous ne doit prétendre connaitre l'avenir. Au sujet de ce qui doit être, nous ne pouvons établir que des probabilités. Non seulement nous ne devons jamais nous flatter de posséder la certitude, mais en raison de notre inévitable penchant à nous représenter les choses comme nous les désirons, nous devons nous attendre à trouver, entre nos idées et la réalité, bien des différences que nous ne soupçonnons peut-être pas même. Cette circonstance, ajoutée au devoir qui nous

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