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plus sévère. Il ne faut pas perdre en controverses de ce genre le temps dont on a besoin pour en examiner de plus sérieuses. Ces observations préliminaires sont rendues nécessaires par la manière dont se traitent souvent les problèmes à l'étude desquels nous allons consacrer ces pages.

On a beaucoup écrit ces derniers temps sur le droit de la guerre. Malheureusement, la valeur de ce qui a été produit laisse à désirer. Les plumes les moins qualifiées se sont crues, autorisées, par l'importance et l'actualité du sujet, à traiter des problègres dont elles ignoraient les plus simples éléments. Les hommes spéciaux eux-mêmes n'ont pas toujours résisté à la tentation de faire échir la rigueur et l'impartialité scientifiques devant des considérations dictées par le patriotisme ou l'esprit de parti. Aussi ne faudrait pas s'étonner si la grande activité déployée par la presse avait eu pour résultat d'augmenter la confusion des idées. Il n'appartient qu'à un petit nombre d'élus de garder jusque dans le feu de l'action le calme du philosophe. Mais une fois passé le tumulte de la bataille, il importe de jeter un coup d'œil sur ses appréciations et de les soumettre à un jugement sévére. Car telle parole dont on ne rendra pas responsable celui qui l'a laissé échapper sous l'influence d'un emportement inévitable, ferait sévèrement juger quiconque prétendrait la maintenir de sang-froid.

D'ailleurs, chaque chose a son temps. L'effervescence que nous avons vue se produire a montré l'importance des questions relatives au droit de la guerre; elle a fait sentir que nous sommes tous intéressés à ce que ces problèmes soient étudiés, à ce que les connaissances nécessaires à leur bonne solution soient vulgarisées. Elle a révélé un besoin qui existait sans qu'on s'en rendit compte. Dans les circonstances données, on ne pouvait faire plus. Le besoin qui venait de se manifester était si impérieux, si urgent qu'il lui fallait une satisfaction immédiate. On ne pouvait dès lors être bien difficile dans le choix des moyens employés pour l'assouvir; il fallait courir au plus près. Celui qui serait venu présenter des considérations savantes, des calculs relatifs aux conséquences éloignées des principes proclamés, n'aurait fait qu'augmenter l'irritation et l'attirer sur lui. Les théoriciens qu'une position officielle ne contraignait pas à l'activité devaient laisser couler le torrent en se réservant pour des temps meilleurs : Inter arma silent leges.

Aujourd'hui, le calme s'est rétabli, relativement au moins. Les questions ont perdu de leur urgence; comme on a le temps de les dénouer, il n'est plus permis de les trancher. La presse littéraire, condamnée par les conditions dans lesquelles elle travaille à utiliser les idées courantes quelles qu'elles

soient, a fait son temps. La presse scientifique, dont le rôle est de dissiper les préjugés, de les remplacer par des notions plus saines, peut maintenant commencer son œuvre. Elle doit profiter de ce que l'importance des questions est encore sentie, tandis que leur urgence n'est plus de nature à exclure le calme des appréciations.

Nous allons chercher à établir les principes philosophiques et moraux sur lesquels repose le droit de la guerre. On nous dira peut-être que nous reprenons les choses de trop haut. Ce reproche nous sera fait par des jurisconsultes exclusifs, qui ne voient pas de bon œil l'immixtion de la philosophie dans le droit. On accordera pourtant deux choses d'abord que les grandes questions sur lesquelles repose l'édifice social, ne peuvent se comprendre sans étude; ensuite que ces questions sont aujourd'hui du domaine public. Les jurisconsultes seront toujours seuls compétents, quand il s'agira de fixer les détails de l'application. Les principes à appliquer sont du ressort de tout le monde. Les études et les connaissances que suppose leur ¡ntelligence appartiennent au domaine de la culture humanitaire et non pas à celui de la culture professionnelle, à la philosophie et à la morale, et non pas à la jurisprudence. Telle est au moins l'opinion courante, qui n'est ni nécessairement vraie, ni nécessairement fausse, mais qui, jusqu'à preuve du contraire, a les présomptions pour elle. Cette manière de voir, au fond, ne rencontre pas de contradiction notable. Personne ne conteste que la morale ne règle les relations des états entre eux aussi bien que celles des individus. On se demande seulement s'il n'y a qu'une seule morale, ou s'il y en aurait deux, l'une pour les souverains et l'autre pour les particuliers. La solution que nous donnons à cette question est peut-être le meilleur moyen de faire comprendre l'importance des principes philosophiques et moraux en matière de droit de la guerre.

Ceux qui prétendent qu'il n'y a qu'une seule morale ont raison au fond, mais leur point de vue est incomplet. Les principes sont les mêmes dans les deux domaines en question, mais les circonstances sont toutes différentes et les applications doivent varier en conséquence. Les individus, ceux au moins d'après lesquels nous formons nos appréciations, vivent dans un milieu artificiel, dans une société qui se charge et se réserve de rendre la justice elle-même, et qui ne permet pas qu'on usurpe ses fonctions. Les souverains, au contraire, se meuvent dans le monde primitif, où la justice n'est pas organisée, où chacun dès lors a le devoir de défendre lui-même son droit.

Il n'y a qu'un seul monde primitif, tandis qu'il peut y avoir une grande

variété de mondes artificiels. Ce simple fait suffit à faire sentir que les principes fondamentaux de la morale doivent avoir en vue le monde primitif, sauf à se modifier avec les circonstances, à s'accommoder aux milieux artificiels auxquels ils doivent s'appliquer. En procédant de la sorte, on s'affranchirait d'une foule d'erreurs. La plupart des préjugés moraux en effet ont leur source dans le fait qu'on érige en principes absolus des règles vraies seulement dans certaines circonstances particulières. L'histoire du droit international, les usages qui président aux relations des souverains indépendants, sont donc un meilleur champ d'observation que les principes qui règlent les rapports des particuliers entre eux. Les lois morales qu'il s'agit de dégager s'y présentent plus pures, moins obscurcies par la masse des circonstances perturbatrices.

L'opinion publique a donc raison d'affirmer qu'il n'y a qu'une seule morale; elle se trompe seulement dans les procédés qu'elle emploie pour formuler les éléments de cette morale. Aussi les efforts que l'on fera pour s'entendre sur les principes fondamentaux de la politique, qui sont en même temps le point de départ de la jurisprudence, resteront-ils stériles, tant qu'on ne s'entendra pas sur la méthode et les axiômes de la morale. On comprend du reste que, dans un travail du genre de celui-ci, nous ne pouvons pas traiter ces questions à fond; nous devons nous borner à indiquer le point de vue auquel nous nous plaçons, sauf à revenir sur les asser tions done la discussion pourrait être exigée.

S2. LA MÉTHODE.

Suivant certains penseurs, il n'y a qu'une seule méthode scientifique. Celle-ci se modifie sans doute dans les détails, suivant les objets auxquels elle s'applique. Mais les principes fondamentaux en restent partout les mêmes; ils sont en particulier les mêmes pour les sciences morales que pour les sciences physiques. Cette méthode unique suppose la combinaison de deux éléments, souvent désignés sous les noms d'à priori et d'à posteriori. A ces termes un peu barbares, nous substituerons ceux d'imagination et d'expérience ou observation. Cela facilitera le discours et l'intelligence de son contenu sans porter une atteinte sensible à l'exactitude du raisonnement.

Universellement reconnue lorsqu'il s'agit de rechercher les lois de la nature, cette méthode est déclarée, par une école nombreuse, inapplicable aux sciences morales. Au nombre des opposants, on trouve presque tous

ceux qui s'occupent de nos sciences à titre d'amateurs ou de littérateurs ; mais on y rencontre aussi quelques hommes d'école. La méthode exposée conduit quelquefois à des résultats qui froissent le sentiment. Ce simple fait suffit aux yeux de bien des gens pour la condamner sans appel. L'infaillibilité du sentiment est un dogme qui, sans avoir jamais été proclamé, exerce un empire d'autant plus grand, d'autant moins contesté que l'on s'en rend moins compte.

Quelle est la méthode substituée par les opposants à celle que nous venons d'esquisser? L'opposition, et ce n'est peut-être pas là son plus grave défaut, est exclusivement négative. Elle rejette un système; mais elle ne formule pas le sien, dont il est dès lors difficile de discuter la valeur, et qui tombe de jour en jour plus bas dans l'estime des hommes qui se livrent à des études sérieuses et approfondies.

Nous ne prétendons pas qu'il n'y ait absolument rien de vrai dans le point de vue de ceux que nous appellerons provisoirement les négatifs. Les hommes qui s'y rattachent pourraient rendre d'immenses services, enseigner bien des choses mème à leurs adversaires dont ils ne tarderaient pas à forcer l'estime. Les conditions d'un débat sérieux ne font pas défaut. Pour une discussion digne de ce nom, il faut une vérité admise par les deux parties et à laquelle on s'efforce de ramener les controverses. Dans l'espèce, le point constant existe; tout le monde convient qu'entre les sciences naturelles et les sciences morales, il y a des différences de méthode, dans les détails de l'application au moins. Il faudrait examiner de près ces différences de détail; les deux écoles s'habitueraient à faire route ensemble, et alors, il arriverait de deux choses l'une ou l'on rencontrerait ensemble les limites des divergences en question, ou bien ensemble aussi, on serait amené de point en point à convenir que les divergences s'étendent aux premiers principes. Mais pour suivre cette marche, il faudrait donner à l'opposition un caractère moins absolu dans tous les sens du mot. Il serait nécessaire d'abord de reconnaitre qu'on pourrait bien n'avoir raison qu'en partie. On serait obligé enfin de renoncer à remplacer les arguments sérieux par le persiflage, par un dogmatisme hors de place et que rien ne justifie, par une phraséologie vide de sens, par des appels à une tradition exclusive ou aux passions aveuglées. Il y aurait pourtant un si beau livre à faire sur la méthode particulière aux sciences morales!

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Ceux que nous avons appelé les négatifs n'ont pas encore formulé leur méthode. S'en suit-il qu'ils n'en aient pas ? Nous croyons au contraire qu'ils en ont une, qu'ils la suivent seulement sans l'avouer ni à eux-mêmes ni aux

autres. Tachons de caractériser cette méthode, en prenant pour guides les procédés suivis, souvent à leur insu, par les négatifs, et les reproches qu'ils font à leurs adversaires. Si ces documents, les seuls que nous ayons à notre disposition, ne nous trompent pas, cette méthode diffère de celle que nous avons exposée plus haut en ce qu'elle augmente considérablement le rôle de l'imagination pour diminuer, pour supprimer même quelquefois celui de l'expérience. La faute commise est excusable; elle résulte d'une tendance innée à tous les esprits. Il faut une éducation souvent laborieuse pour combattre ce penchant naturel, pour faire rentrer dans ses limites le premier des deux éléments, et donner à l'autre la place qui lui appartient. Or tout le monde n'a pas reçu cette éducation, et ceux mêmes qui l'ont eue n'en maintiennent les effets que par une lutte incessante. Encore ne réussissentils jamais qu'imparfaitement. Nous cédons tous plus ou moins au penchant signalé; la seule différence consiste en ceci, que les uns se laissent complètement aller et que les autres résistent. Or la résistance aux penchants naturels étant loin d'être du goût de tout le monde, l'école qui tend à étouffer la voix de l'expérience aura longtemps encore les masses pour elles. Les hommes spéciaux au contraire donneront la préférence à la méthode qui exige le contrôle de l'observation, comme à la seule avec laquelle on puisse édifier quelque chose.

Les vérités scientifiques, formulées d'abord par l'imagination, ne doivent être admises que lorsqu'elles ont été confirmées par les faits; jusque là, elles ne sont que de simples hypothèses.

Ici nous rencontrons une nouvelle difficulté, une circonstance qui semble donner à l'imagination une part plus grande dans les sciences morales que dans les sciences naturelles. L'imagination, nous dira-t-on, est l'expression des sentiments, des aspirations. Or les sentiments, les aspirations sont aussi des faits, et à ce titre la science morale ne saurait leur accorder trop d'importance. L'objection mérite qu'on s'y arrête.

Il faut reconnaitre qu'ici déjà nous avons une première différence entre les sciences de la nature et celles de l'esprit. L'observation, qui est toute extérieure dans les premières, doit dans les dernières être souvent intérieure. Les mobiles de l'activité humaine se manifestent de deux manières : au sens intime et au sens extérieur. De la deux espèces d'observations qui se complètent l'une l'autre. L'observation interne est plus profonde; elle nous fait connaître ce qui se passe dans notre for intérieur, et nous aide à interpréter les indications que nous avons sur les mobiles des autres hommes. L'observation extérieure, en nous donnant des renseignements sur une

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