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à nommer immédiatement un gouverneur de la Lombardie agissant au nom du Roi.

« L'Empereur s'est tenu tout à fait à l'écart, laissant à la population milanaise toute sa liberté d'action. On avait dit qu'un commissaire français serait nommé au moins provisoirement; c'était une hypothèse toute gratuite. La France n'est pas venue en Italie pour conquérir, mais pour délivrer les peuples. Du reste, l'Empereur avait clairement indiqué son plan de conduite dans la proclamation du 8 juin, adressée aux Italiens.

<< M. de Cavour, arrivé à Milan dans la journée, pour en repartir demain, a eu sa part de l'ovation populaire. Après avoir défilé devant le palais du Roi, en poussant le cri de Viva il nostro re! la foule s'est portée devant l'hôtel du ministre, qui a paru au balcon et a été salué par d'unanimes applaudissements. >>

Dans la soirée du lendemain, 10 juin, le théâtre de la Scala était honoré de la présence de l'Empereur et du Roi. Cette vaste et magnifique salle, la plus immense de toute l'Europe, semblait rayonner, tant on y voyait scintiller de rivières en diamants qui étincelaient au cou, dans les cheveux, sur le sein, aux bras des belles patriciennes milanaises, toujours décorées du ruban aux couleurs italiennes en sautoir. Quelques-unes avaient même des toilettes vertes, rouges et blanches. Les six étages de loges étaient resplendissants. La loge impériale et royale, piacée au centre, est un superbe appartement ouvert qui s'élève jusqu'aux deux tiers de la salle. L'intérieur des autres loges est également décoré de tapisseries de soie, de candélabres, et la plupart ont une chambre élégante où l'on joue et où l'on soupe.

L'Empereur et le Roi, à leur entrée dans la salle, ont été accueillis par des tonnerres de vivat. Hommes et femmes, tout le monde se tenait debout, et pendant les deux heures qu'a duré le spectacle, on se levait de cinq minutes en cinq minutes pour agiter les mouchoirs et crier : « Vive l'Empereur! vive le Roi! » C'était l'enthousiasme du Corso transporté à la Scala, un de ces accès de délire dont nous ne pouvons nous faire une idée. Le spectacle avait été donné au profit des familles de ceux qui sont morts en combattant.

VI

UNE ÉTAPE A BRESCIA

J'ai laissé Garibaldi maitre de Côme et de Lecco, secondant par ses opérations de partisan le mouvement plus régulier de l'armée alliée, au moment même où elle s'apprêtait à franchir le Tessin et à la veille de la bataille de Magenta. Je vais le retrouver à Brescia où vont le conduire le succès et l'habileté de ses attaques dans le nord de la Lombardie, dont il possède à merveille la connaissance stratégique. Son action, en apparence isolée, se combine avec les efforts plus vastes et plus éclatants des troupes franco-sardes, et tous les hommes de guerre se plaisent à constater que ses marches audacieuses dans la Valteline attestent de savantes combinaisons, rappelant celles que le maréchal de Rohan, au commencement du dix-septième siècle, et celles que le général Lecourbe, à la fin du dixhuitième siècle, ont accomplies dans cette même contrée.

Maître des défilés qui bordent le lac Majeur, et toujours sûr d'une retraite en cas d'insuccès, Garibaldi jette ses hardis partisans sur les colonnes autrichiennes, les attaque au moment opportun et se replie dès qu'il a affaire à des forces supérieures. C'est en vain que le général Urban essaye de le faire sortir de Côme et de l'attirer dans les plaines. Sa descente vers Cantu peut faire croire un moment qu'il se hasarde à la poursuite des Autrichiens; mais il ne songe qu'à attirer l'ennemi dans un piége.

Garibaldi avait trouvé dans ses bataillons de volontaires de nombreux émigrés de la haute Lombardic. Il les fait partir avant lui; ils se mêlent aux populations que le général veut soulever, et déjà il est maître de Còme quand ses partisans, exaltés par ses nombreux avantages, lui amènent les bateaux à vapeur avec lesquels les Autrichiens exploitaient le lac.

Au même moment, le chef des chasseurs des Alpes semble vouloir poursuivre les Autrichiens sur la route de Monza ; il envoie deux de ces bâtiments à Lecco avec des troupes, change de direction, tourne à gauche, et marche sur cette dernière cité, qui se hâte de proclamer Victor-Emmanuel II. C'est par une manœuvre à peu près semblable qu'il avait soulevé, comme on l'a déjà vu, la Valteline et Sondrio, sa capitale.

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On s'accorde à reconnaître que ce dernier résultat des opérations de Garibaldi a été l'un des événements les plus favorables au succès du plan de campagne adopté par Napoléon III. Il était essentiel, en effet, ainsi que je l'ai déjà indiqué, que les alliés fussent en possession des passages du Tyrol, par où l'armée autrichienne recevait de Vienne ses renforts et ses approvisionnements. C'est à ce point de vue surtout que la diversion opérée par le commandant des chasseurs des Alpes a été d'un puissant secours pour la marche des Franco-Sardes.

Après s'être emparé de Côme, le 29 mai, Garibaldi était retourné à Varèse, où les Autrichiens étaient rentrés, et, délivrant une seconde fois cette ville, les avait surpris et battus dans la journée du 2 juin. Le lendemain, il revint à Côme, dont on sait qu'il fit son quartier général, et d'où son action s'étendait, ainsi que je l'ai dit, jusqu'aux montagnes de la Val teline, de Fuente, Sondrio et Tirano, à Bormio.

Le 8 juin, tout rayonnant de ses premiers succès, Garibaldi va au palais Brusca, à Milan, et à la villa Bonaparte présenter ses hommages à l'Empereur et au Roi qui venaient d'arriver dans la capitale de la Lombardie. C'est alors que fut publié, à la gloire du corps des chasseurs des Alpes, l'ordre du jour que j'ai déjà cité.

Décoré de la médaille d'or, l'une des plus hautes récompenses militaires du royaume de Piémont, Garibaldi repart immédiatement pour Lecco, et marche de là sur Bergame, qui est gardée par cinq mille Autrichiens. Il entre, le 10 juin, dans cette ville, que les Autrichiens se sont hâtés d'abandonner à son approche. C'est de Bergame que Garibaldi se porte ensuite sur Brescia, où il précède, suivant son habitude, en hardi et glorieux éclaireur, les souverains alliés.

Mais, avant de suivre à Brescia l'intrépide chef des chasseurs des Alpes, je choisis dans un volume de lettres saisies à Bergame celles qui suivent, pour les publier ici, afin de donner une idée des sentiments et des préoccupations du soldat autrichien pendant la campagne de 1859 :

«Mes chers parents,

« Bergame, 2 juin.

<< Dans ma lettre du 29 du mois passé, je vous avais dit que nous resterions à Vérone; cependant nous n'y avons passé qu'une nuit, car le lendemain l'ordre est venu de nous rendre à Milan, et puis, sur le chemin, un télégraphe est venu devant nous pour nous arrêter à Bergame. Donc, nous sommes venus ici de Vérone, par Brescia, le lundi soir; et mercredi, c'est-à-dire le 1, j'étais aux avant-postes; mais nous n'avons aperçu qu'une patrouille ennemic, qui s'est retirée en nous voyant. Demain, nous

allons plus loin, car le fameux brigand Karibaldi est par ici, et nous avons l'ordre de le chasser. J'aimerais mieux me battre contre des soldats réguliers; mais jusqu'à ce que vous receviez cette lettre, nous nous serons certainement battus. Depuis que j'ai quitté Leipzig, nous n'avions réellement pas une heure pour nous reposer, et depuis cinq jours nous ne nous sommes pas même déshabillés; mais ce n'est pas encore le pire, car la pluie tombe que c'est un plaisir, et, n'ayant pas même d'abri, nous sommes tout trempés et ruisselants d'eau.

« J'aimerais savoir comment vous êtes à la maison et ce que vous pensez de ce que je ne suis pas encore officier. N'importe! je le serai bientôt ; mais j'ai fait l'expérience que le monde est bien ingrat et rempli de méchants, même ceux qui devraient être les plus justes. J'ai perdu mon capitaine. Pauvre Kobb! quel brave homme c'était! Cependant c'est à cause de lui que je ne suis pas encore officier. Je vous dirai cela si Dieu me ramène enfin chez nous. Mon nouveau capitaine s'appelle Artzer.

« Mes chers parents, pensez quelquefois à moi, et ne soyez pas tristes : le bon Dieu m'aidera, et peut-être je ne mourrai pas. Je n'aurais pas peur du tout si je ne pensais pas que mes parents et mes frères et sœurs resteront en vie, si je pouvais recevoir un seul baiser.

« On mène à Vérone, de Milan et de Piémont, deux ou trois cents blessés chaque jour. J'ai parlé à plusieurs, surtout à un qui était avec moi à l'école, et qui est entré dans un autre régiment, et que j'ai accompagné au chemin de fer. Maintenant, il est revenu lieutenant et blessé à Vérone.

« Je vous dirai un jour, si je retourne à la maison, comme on nous a bien reçus en Allemagne. C'était partout une fête. On nous a accueillis avec grande joie. Il n'y a rien qui ressemble aux Bavarois. On nous a si bien traités! Et puis viennent les Saxons. A l'étranger, nous avons passé par Dresde, Leipzig, Bamberg, Vurnberg, Hof et Munich; en Tyrol, par Küfstein et Inspruck, toujours en chemin de fer, et puis par Botzen, Brueen, Trient, Roveredo, Vérone, Brescia, et me voilà à Bergame.

« L'Italie est bien belle; le pays est magnifique, mais il est habité par un vilain peuple, qui nous déteste; il y a de bien belles filles, mais elles ne sont pas pour nous.

Adieu, mes chers parents; écrivez-moi à Bergame; j'aurai bien ma lettre. Je vous embrasse avec mes frères et mes sœurs,

« Votre fils affectueux,

« CARL HOFFER. »

« Mes chers parents,

Bergame, 5 juin.

« Je ne vous écris pas cette lettre avec grande joie, et je vous apprends que mon sort n'est pas bon du tout, mais au contraire bien triste, car nous ne nous reposons nulle part; et je ne suis plus en Bohême, mais en Italie, à Bergame, et à chaque instant peut venir l'ordre d'aller plus loin, et tout cela est bien triste et bien désagréable. Nous avons passé par la Bavière et la Saxe, qui ne sont pas des provinces de notre Empereur, mais où on nous a reçus partout très-bien, avec beaucoup de bonté; et on nous a fêtés dans toutes les villes; et puis j'ai été aussi en Tyrol, et maintenant je suis en Italie, où personne ne veut des billets de banque, et il n'y a que l'or et l'argent qui aient cours.

<«< Mon cher père, ma chère mère, je vous souhaite bonne santé, et å mes frères et à mes sœurs; je salue tous mes bons amis, et je suis votre fils obéissant.

« JOHANN. »

«Bergame, 5 juin.

«Ma chère mère,

« J'écris ces lignes en pleurant ma malheureuse vie de soldat, qui me navre jusqu'au fond du cœur. Je prie Dieu que ces lignes trouvent ma chère mère en bonne santé, et mes sœurs aussi. Écrivez-moi, si vous recevez cette lettre et si vous avez reçu mon autre lettre. Je ne suis plus en Bohême, mais en Italie, à Bergame, où les billets de banque ne servent pas, et où on ne veut que de l'or ou de l'argent. Nous n'avons de repos nulle part, et à chaque instant il faut marcher, et juste, dans ce moment, nous avons l'ordre de partir encore d'ici, ou pour le champ de bataille ou pour le camp. Nous sommes venus pár la Saxe et la Bavière, qui sont des provinces étrangères, où on nous a partout très-bien reçus, et où on nous donnait tout ce que nous voulions, à boire et à manger pour rien. On nous a fêtés dans chaque ville où nous sommes venus en Allemagne. Je prie Dieu au moins de me conserver la santé, et à ma mère et à mes sœurs aussi.

« Je suis votre fils obéissant.

« FRANTZ. >>

On peut juger par ces lettres, dont la variété d'expressions indique assez la sincérité de sentiment, de la contrainte que les généraux de l'em

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