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ment sitôt que des complications viendraient à surgir; elle était trop forte par elle-même pour ne pas attendre sans appréhension le moment de prendre un parti; et l'isolement qui semblait lui ôter tout point d'appui au dehors l'affranchissait aussi de toute obligation. Libre ainsi de tout engagement, l'empire français, dans le choix de ses alliances, n'avait désormais à consulter que ses propres intérêts.

L'histoire nous montre que, depuis un siècle, trois systèmes principaux d'alliance ont tour à tour prévalu dans la politique française. De ces trois systèmes, le plus ancien est celui de l'alliance entre la France et l'Autriche; il exprime la pensée dominante du règne de l'immortelle Marie-Thérèse. Dans une dépêche de 1808', datée de Varsovie et adressée au duc de Bassano, alors chargé de la direction des affaires extérieures, Napoléon Ier, à son tour, recommande à son ministre l'alliance avec l'Autriche comme la plus naturelle pour la France, surtout à cause de la communauté des croyances religieuses. Le génie de l'empereur avait dès lors compris la puissance formidable que la Russie exercerait un jour en Europe au moyen des idées reli

1 Nous avons été assez heureux pour voir l'original de ce document important, qui est conservé aux archives des affaires étrangères de France.

gieuses. A la tiare grecque, on ne pouvait opposer avec succès que la tiare romaine; l'alliance de l'Autriche et de la France catholiques était donc indispensable.

L'alliance avec la Russie fut le but constant de la Restauration. S'il est vrai que la cour de Pétersbourg, pour entretenir le gouvernement du roi Charles X dans ces dispositions, lui avait promis la rive gauche du Rhin, il n'est pas moins certain qu'elle se réservait en échange la possession de Constantinople. Les funestes conséquences de la bataille de Navarin auraient suffi pour empêcher la France impériale de suivre la même voie que la Restauration, quand même les dispositions de feu le czar Nicolas I à l'égard du nouvel empire français auraient été plus amicales. Par cette divination qui se manifeste surtout chez les grands hommes lorsqu'ils approchent du tombeau, l'autocrate de toutes les Russies avait instinctivement prévu que le jour où il s'aventurerait sur la route de Constantinople, il trouverait dans Napoléon III un obstacle infranchissable.

Honoré sur son lit de mort de la visite de LouisPhilippe, le prince de Talleyrand ne crut pouvoir mieux en témoigner sa reconnaissance au roi qu'en lui léguant le conseil de rester toujours fidèle à l'alliance anglaise. Il n'a fallu pourtant que les mariages espagnols pour mettre fin à une alliance

à laquelle le gouvernement de juillet avait tant sacrifié.

C'est que toute alliance, pour être solide et durable, doit reposer sur une utilité réciproque. L'économie politique qui, de nos jours, a modifié les conditions essentielles de la vie intérieure des peuples, n'a pas tardé à réagir également sur leur vie extérieure. L'influence des intérêts matériels dans les rapports internationaux a fini par devenir si décisive, que devant elle s'efface déjà partout le système des alliances de principes. La communauté et la solidarité des intérêts forment désormais la base fondamentale des alliances.

C'est sur ce terrain que le gouvernement de Napoléon III, dont tous les actes portent l'empreinte du véritable esprit de notre époque, résolut de rétablir celles de la France, tout en gardant une attitude expectante jusqu'au jour où l'occasion s'offrirait naturellement de s'unir à quelqu'un. Cette occasion ne se fit pas longtemps attendre.

Fidèle à son programme de Bordeaux, au moment de ceindre la couronne impériale, le prince président avait, le 19 novembre 1852, ordonné une réduction de trente mille hommes sur l'effectif de l'armée active de France. Tandis que l'Europe entière accueillait cette mesure comme un gage précieux des sentiments pacifiques du nouvel empe

reur, le czar, qui peut-être avait déjà la conscience de sa fin prochaine, et qui, avant de descendre dans la tombe, tenait à consommer en principe la conquête si longtemps rêvée de Constantinople, vit dans la réduction de l'armée française une marque de faiblesse, un motif de plus pour brusquer le dénoûment.

Il fallait toutefois, pour mieux assurer le succès d'une entreprise aussi périlleuse, tâter le pouls à l'Europe, et voir si, et jusqu'à quel point, la Russie conserverait la liberté de ses mouvements en Orient.

Trois mois ne s'étaient pas encore écoulés depuis que le Moniteur avait publié l'ordonnance qui réduisait l'armée française, lorsque le comte de Nesselrode, dans une dépêche en date du 4 février 1853, annonçait au représentant de la Grande-Bretagne à Pétersbourg que l'empereur Nicolas avait décidé d'envoyer le prince Menschikoff en mission extraordinaire à Constantinople. Le but ostensible de cette mission était, suivant la dépêche du comte de Nesselrode, la question des Monténégrins et des lieux saints. Mais à la manière dont l'ambassadeur extraordinaire du czar se conduisit en face de la Sublime Porte, il ne pouvait être douteux que le véritable but de l'envoi du prince Menschikoff ne fût de vérifier, ainsi que l'a dit un éminent diplomate, ce que la Russie pouvait oser.

L'impression générale produite par la conduite du prince Menschikoff à Constantinople confirma. la cour de Pétersbourg dans l'opinion qu'elle pouvait tout entreprendre, attendu que l'Europe la laisserait tout faire.

C'était une erreur. La plus grande partie de l'Europe, endormie par les promesses et les protestations du czar, obéissant peut-être aussi à cet amour excessif du repos dont parlait Napoléon Ier dans le message cité en tête de ces pages, ne se montrait que trop disposée sans doute à laisser le sultan vider sa querelle avec la Russie; mais déjà le gouvernement de Napoléon III avait pris l'éveil. Dès l'arrivée du prince Menschikoff dans la capitale ottomane, le cabinet français avait pénétré dans cette réclamation au sujet des clefs du saint sépulcre un prétexte, sous lequel la Russie cachait la prétention de se faire remettre par le sultan lui-même les clefs de Constantinople.

Cette conviction acquise, la politique de la France impériale était on ne peut plus nettement indiquée. Réunir en un faisceau compacte les nations civilisées, pour l'opposer comme une digue infranchissable à l'ambition moscovite, voilà où devaient tendre tous les efforts. Ce plan une fois arrêté, il fut aussitôt mis à exécution et poursuivi avec une inébranlable fermeté. Élargissant donc le

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