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voie d'adjudication, comme je l'expliquerai tout-à-l'heure, avec des formalités qui protègeront efficacement l'industrie française contre la concurrence étrangère et qui assureront en même temps aux producteurs un prix supérieur aux prix actuels.

Les alcools ou les eaux-de-vie de tout genre que le détenteur, pour une raison quelconque, ne voudra pas vendre à l'Etat resteront en dehors de son monopole. Elles seront soumises seulement à la visite hygiénique, à l'analyse qui a pour but de rechercher si elles ne sont pas toxiques. Cette preuve faite, le rôle de l'Etat est fini en ce qui les concerne; elles conservent la liberté de se vendre le prix qu'elles veulent, soit en gros, soit en détail chez le débitant ou le cafetier. Elles doivent seulement payer l'impôt et acquitter en outre une légère surtaxe qui serait d'environ 30 centimes par litre. Certes ce n'est pas un taux bien élevé pour des liqueurs qui ont la prétention d'être plus fines, de représenter des produits de luxe, plus chers, et que la justice la plus élémentaire doit faire taxer plus haut que les produits communs.

Comment se ferait la distinction entre les liqueurs soumises au monopole et celles qui seraient simplement sujettes à la visite hygiénique? De la manière la plus simple, par la bouteille fiscale qui devient dans le nouveau système la quittance de l'impôt, accompagnant partout le produit.

Lorsque l'Etat intervient pour exercer son droit de visite et percevoir l'impôt, il met ou fait mettre de l'eau-de-vie dans des bouteilles fiscales, dont nous parlerons tout-à-l'heure, et qui doivent être très petites pour que celui qui parviendrait à les frauder ne puisse pas faire un gros bénéfice. Peut-être pourrait-on les admettre d'un demilitre, mais je les suppose d'un quart de litre. Plus elles sont petites, plus la garantie est grande contre la fraude. Ces bouteilles d'un quart de litre doivent-être vendues au public 1 fr. quand elles sont pleines de l'eau-de-vie commune achetée par l'Etat en vertu de son monopole. La différence entre le prix d'achat et le prix de vente constituera le bénéfice de l'Etat, c'est-à-dire l'impôt.

Quant aux eaux-de-vie qu'on voudra soustraire au monopole, la Régie leur imposera encore la bouteille fiscale d'un quart de litre (ou une bouteille analogue spéciale à chaque fabricant, s'il le préfère). Elle la vendra vide le même prix qu'elle l'aurait vendue pleine d'eaude-vie commune monopolisée par l'Etat. La surtaxe représente done la valeur de l'eau-de-vie commune qui aurait pu être dans la bouteille, c'est-à-dire 7 à 8 centimes au plus par quart de litre comme nous le montrerons tout-à-l'heure en faisant le calcul du rendement de l'impôt. Le monopole est donc facultatif.

ron 10 francs sur une matière qui vaut 1 fr. 60. c'est-à-dire que l'impôt représente à peu près six fois et demie le prix normal de l'objet taxé.

L'eau-de-vie ordinaire, qui représente aussi la plus grande partie de la consommation, revient au moins, tous frais compris, à 75 fr. par hectolitre d'alcool pur. L'Etat la frappe d'un droit de 156 fr., c'est-à-dire du double seulement de son prix, tandis que le tabac est taxé à six fois et demie sa valeur marchande.

De ces deux impôts, quel est le plus fraudé? Est-ce celui dont la taxe est la plus élevée ? Pas du tout. La fraude sur l'alcool s'élève probablement aujourd'hui au tiers de la consommation, et beaucoup de gens mêlés aux affaires la font monter encore bien plus haut.

Quant à l'impôt du tabac, on étonnerait assurément la régie en soutenant qu'elle dépasse le vingtième de la consommation dans son ensemble (elle est évidemment plus grande dans les villages de la frontière belge, mais là seulement).

Comment peut-on expliquer une pareille différence ? Uniquement par le procédé de perception. L'impôt du tabac rentre beaucoup mieux parce que c'est un monopole, et il entraîne aussi à coup sûr beaucoup moins de vexations. Ce n'est pas la différence des matières qu'on pourrait invoquer, tout au contraire, car l'alcool se trouve, au point de vue de la perception d'un impôt, dans une meilleure situation que le tabac sur un point capital: la plus grande partie se consomme dans des établissements publics (cafés ou cabarets) plus faciles à surveiller que les maisons particulières, où les agents du fisc n'ont pas le droit d'entrer.

On reproche encore aux impôts indirects de déranger une foule d'industries. Souvent, en effet, il y a un grand nombre d'industries bouleversées par un seul impôt, et jamais on ne peut être bien sûr d'avoir prévu toutes les répercussions, toutes les conséquences lointaines que les impôts indirects, sous leur forme ordinaire, peuvent entraîner à un moment donné. Avec le monopole il n'en est pas de même; ses effets peuvent être exactement prévus et ils se répercutent beaucoup moins loin. Par le monopole on ne dérange qu'une seule industrie, tandis qu'avec des impôts indirects ordinaires, il faudrait en déranger, peut-être en détruire une centaine pour obtenir le même résultat fiscal.

Mais enfin on en dérange une, et cela peut être encore beaucoup. Je me suis donc demandé si on ne pourrait pas arriver à organiser un monopole qui ne dérangerait aucune industrie, pas même celle qui le subirait, un monopole qui produirait tous ses avantages fiscaux sans engendrer en même temps ses inconvénients industriels.

C'est sur cette donnée que j'ai construit, après beaucoup de recherches, le système que je vais vous exposer brièvement.

II

L'alcool provenait autrefois du vin; il n'en est plus ainsi maintenant. La France en produit aujourd'hui près de dix-neuf cent mille hectolitres. Sur ces dix-neuf cent mille hectolitres, trente-quatre mille seulement sont présentés comme alcools de vins ou de mares de vins, et il faut même quelque bonne volonté pour les maintenir tous sous cette rubrique, car fort souvent le vin distillé avait été d'abord largement abreuvé d'alcool de betteraves ou de mélasses 1. Aujourd'hui donc, l'alcool est un produit d'industrie qui nous vient du Nord, et c'est là que le Midi lui-même s'en fournit pour donner à ses vins, par le vinage, la vigueur que l'inclémence des saisons ou l'insuffisance de certains sols leur a refusée.

1 Pour l'année 1884, la production d'alcool en France s'est élevée à 1.872.534 hectolitres chez les fabricants de profession et à 61.930 hectolitres chez les bouilleurs de cru. Voici comment ces quantités se décomposent suivant les matières premières qui ont fourni l'alcool:

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Dans la production des fabricants, le département du Nord à lui seul figure pour un tiers 631.290 hectolitres, le Pas-de-Calais pour 220.976, l'Aisne pour 173.107, la Somme pour 146.719 et la Seine-Inférieure pour 130.391.

4° SÉRIE, T. XXXIII. 15 mars 1886.

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Mais les alcools d'industrie n'ont pas naturellement (sans rectification) la même pureté que les vieilles eaux-de-vie de vin pur. Ils contiennent notamment des alcools que les chimistes appellent supérieurs, par un mot qui semble une ironie, car ces alcools ne sont supérieurs que par leur force toxique, et là leur supériorité est éclatante. Les expériences de MM. Dujardin-Beaumetz et Audigé ont prouvé que la différence allait de 1 à 7. Ces expériences, faites avec un grand soin, n'ont jamais été contredites et sont acceptées par tous les physiologistes. Les médecins signalent dans ces alcools dits supérieurs (alcools amylique, butylique, propylique, etc.) la cause principale, beaucoup disent la cause absolument unique de l'alcoolisme. Parmi ces alcools toxiques, il y en a dont 130 gr. suffisent pour tuer un homme.

Depuis que les alcools d'industrie mal rectifiés se sont substitués presque partout aux alcools de vin, les progrès de l'alcoolisme sont effrayants, et cela vient encore confirmer les expériences physiologiques qui avaient signalé la cause du mal.

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Je me borne à vous signaler en passant cette question, pourtant capitale car la santé et l'avenir même de la moitié du pays en dépendent. Mais, dans le Midi, vous ne pouvez pas avoir une véritable idée de l'alcoolisme. Dieu merci, vous avez encore, malgré le phylloxéra et le mildew, beaucoup de ce bon vin qui, malheureusement, par suite de notre mauvaise législation fiscale, nous arrive bien souvent dans le Nord frelaté par de trop habiles coupages. Vous buvez beaucoup de bon vin et très peu d'alcool aussi les ivrognes sont-ils rares ici, et à plus forte raison les alcooliques.

Mais prenez garde ! le vinage s'il se fait avec des alcools non rectifiés introduirait le mal chez vous, et c'est pour cela que vous voyez parmi les médecins une vive opposition aux mesures fiscales facilitant le vinage qu'un grand nombre de départements du midi réclament avec tant d'énergie. Les vins vinés avec des alcools toxiques deviendraient eux-mêmes des poisons, qui propageraient parmi vous l'alcoolisme jusqu'ici inconnu de vos vignerons et discréditeraient bientôt à l'étranger les plus vieilles marques de Bordeaux. Vous allez voir tout à l'heure que mon système écarte radicalement ce danger en fermant d'une manière absolue l'entrée de la consommation aux alcools non rectifiés. Le vinage pratiqué avec des alcools soigneusement vérifiés d'avance par l'État n'inquiéterait plus personne. On assurerait ainsi tout de suite aux départements producteurs de vins faibles une mesure essentielle à leurs intérêts, mesure qu'ils attendront peut-être longtemps encore sans cela, et qu'après l'avoir obtenue, ils risqueraient à chaque instant de se voir enlever, par suite des réclamations des médecins hygiénistes.

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Au Nord de la France, comme en Belgique, en Allemagne, en Suisse, etc., les ravages de l'alcoolisme ne sont plus à prévoir dans l'avenir; ils s'étalent sous nos yeux, ils grandissent tous les jours avec une telle rapidité qu'ils entraînent sur certains points une véritable déchéance physique de la race. Bien plus la défense nationale elle-même se trouve compromise; le sénateur d'un département de l'Est me disait récemment qu'en cas d'invasion allemande bien des paysans ne pourraient plus déployer le même effort physique qu'en 1870, non pas que le patriotisme ni le courage aient. baissé chez eux, mais l'alcool empoisonné a énervé leurs muscles autrefois si vigoureux !

A cette déchéance physique s'ajoute, dans beaucoup de cas, une déchéance morale plus triste encore, et poussée à un degré incroyable. La moitié des crimes sont commis par des alcooliques, le plus grand nombre des cas de folie non accidentelle proviennent de l'alcool, et une foule de maladies, dont le public ne voit pas la cause directe, ont la mème origine.

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Je ne veux vous donner ici ni chiffres ni détails trop faciles hélas ! à grouper sur une question qui n'est pas l'objet propre de cette conférence. Je me borne à vous la rappeler pour vous dire que, dans tous les pays, moralistes, hommes politiques, médecins, économistes ou apôtres, tout le monde cherche des remèdes qu'il faut absolument trouver sous peine de voir la moitié de l'Europe subir le sort des races océaniennes détruites par l'eau de feu venue d'Europe, l'alcool non rectifié qui envahit maintenant à son tour l'Afrique sur les pas des explorateurs européens.

On cherche des remèdes, vous disais-je, on a cherché dans toutes les voies, suivant la tournure d'esprit de chaque peuple. Ainsi, dans les pays anglo-saxons, surtout aux États-Unis, on a organisé des sociétés qui essayent parfois de lutter contre l'alcoolisme par des moyens tout à fait étranges à nos yeux : ce sont principalement les femmes qui s'en occupent; elles se réunissent en grandes troupes, s'en vont à travers les cabarets, ouvrent les portes, chantent des cantiques, toujours des cantiques et encore des cantiques, jusqu'à ce que les buveurs s'enfuient, épouvantés sinon convertis. Je n'oserai jamais recommander ce procédé aux Françaises elles seraient peut-être trop mal reçues. En Europe, on essaie d'autres moyens. Il y a, dans beaucoup de villes, des sociétés de tempérance; mais les résultats ne sont pas proportionnels aux efforts de ceux qui les organisent. Ces sociétés sont formées de gens sobres, et les ivrognes ne s'en mettent pas.

Dans d'autres pays on a édicté des lois tout à fait draconiennes

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