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mettent à néant ceux qui, par leur nature même, supposent des relations pacifiques et même amicales, comme les traités d'alliance et surtout de protectorat. A moins de faire, sans justification aucune, une catégorie à part des traités de protectorat, il faut bien admettre que pas plus que les autres ils ne sont perpétuels.

«... Ce lien de protectorat, c'est le protégé lui-même qui l'a noué par son accord avec le protecteur. C'est en contractant qu'il a agi, et c'est à ce titre qu'il use de la faculté reconnue par le Droit des gens de rompre un engagement (1). »

Et ailleurs « Le pays protégé refusant d'observer la convention qui le lie à son protecteur et recourant aux armes pour soutenir sa résistance est un Etat qui n'observe plus un traité et qui déclare la guerre internationale. contre un autre Etat (2).

Joseph Dubois pense aussi a qu'assimiler le pays protégé à un insurgé serait lui dénier la qualité d'Etat ; mais que la lutte étant inconciliable avec les devoirs réciproques du protecteur et du protégé, le protectorat cesse d'exister dès les hostilités éclatent (3) ». Et Gairal précise « que la que souveraineté extérieure du protégé appartient au protecteur tant que le protectorat subsiste légalement, mais que la guerre met précisément cette existence en question (4) »• Il est inutile de multiplier davantage les citations, celles

(1) Despagnet, Essai sur les protectorats, pp. 337-338. (2) R. D. I. P., 1897, p. 37.

(3) R. Gand, 1896, p. 617.

(4) Le protectorat international, p. 164. La théorie de Gairal est assez subtile, car après avoir indiqué qu'en cas de guerre l'Etat protégé recouvrait sa souveraineté externe, il déclare plus loin (p. 263) qu'à son avis, la guerre ne met pas fin au traité de protectorat, mais qu'elle en suspend seulement l'effet.

ci posant la question d'une manière très nette. Il s'agit de savoir si le protectorat de droit des gens est un traité perpétuel ou temporaire, et si la volonté du protégé peut le rompre comme elle l'a créé. Les auteurs que nous avons cités partent de cette idée que le protectorat est une Convention juridique, passée entre deux Etats, un lien noué solo consensu, et que les deux contractants doivent avoir la faculté de rompre, s'ils le désirent, ce contrat librement formé. C'est une théorie évidemment très juridique, inspirée du droit privé, mais qui ne nous parait que trop idéale, trop théorique, trop au-dessus des faits et quelque peu en désaccord avec eux.

Est-il exact d'assimiler le protectorat à un traité d'alliance, de le comparer aux contrats du droit privé et de dire que ce que la volonté des parties a fait, elle doit aussi pouvoir le défaire? N'est-ce pas une fiction de considérer ce lien comme résultant du libre consentement des deux Etats, alors que le traité est parfois signé sous la menace de la gueule des canons, presque toujours sous l'influence, pour le protégé, de la plus violente pression morale ? Le protectorat est une demi-conquête, subie par le protégé bien plutôt que consentie; c'est une abdication d'une grande partie de sa souveraineté, une renonciation à l'exercice de ses droits, l'acceptation d'une véritable capitis deminutio que le protecteur lui arrache en le menaçant d'un danger plus grand encore. La volonté du protégé a une part dans la rédaction du traité; elle contribue à en fixer les termes, à en établir les clauses, et c'est en ce sens qu'on peut dire que le protectorat est un acte synallagmatique; mais sur la question primordiale de savoir si le protectorat sera établi ou non, la volonté du protégé n'a qu'une part bien restreinte quand elle n'est pas entière

ment nulle; et il paraît singulier d'admettre que cette seule volonté, dont on fait si bon marché pour établir le protectorat, ait le pouvoir de le rompre (1).

De plus, le protectorat est un lien que sa nature destine à être perpétuel ou à ne se transformer qu'en un autre plus étroit encore. Il implique la délégation de la majeure partie de la souveraineté du protégé aux mains du protecteur; suivant l'expression de P. Fedozzi, la personnalité du protégé s'extériorise dans celle du protecteur (2). Elle s'y extériorise si bien qu'elle finit par faire corps avec elle. Le protecteur guide son protégé dans le concert des nations, il organise ses services intérieurs, il prend la responsabilité de ses agissements; il l'initie à la civilisation, le façonne à son image, le fond de plus en plus en lui. C'est vers l'annexion complète que le protectorat évolue normalement. Cette tâche assumée par le protecteur, et qui rappelle par beaucoup de points la tutelle, exige des garanties de durée de la situation, et pour que l'Etat tuteur puisse remplir convenablement sa mission, et pour qu'il puisse jouir en retour de certains avantages. Aucun Etat ne vou drait assumer de semblables responsabilités sans compensation. Il nous paraît donc très difficile de soutenir en droit. que le protectorat est un traité révocable ad mutum (3).

Enfin s'il est vrai qu'une Puissance puisse rompre par sa seule volonté un traité international d'alliance par exemple, n'est-il pas bien hardi de prétendre qu'elle puisse en faire

(1) Voir à ce sujet les idées développées par Engelhardt (loco citato) sur le fœdus iniquum romain qui, lui aussi, imposait plus de charges que de droits à celui des deux contractants qui se voyait contraint de l'accepter.

(2) R. Gand, 1896, p. 589-591.

(3) Voir en ce sens Heilborn, L'Angleterre et le Transvaal, R. D. I. P., 1896, pp. 36-40.

autant d'un protectorat qui est autre chose qu'un simple traité, et qui implique une abdication partielle de souveraineté ? Les modifications à la souveraineté des Etats ne s'opèrent pas en droit international solo consensu, et les comparaisons faites avec le droit privé ne peuvent ici qu'induire les esprits en erreur. Si la seule volonté peut produire des effets, en droit privé, c'est qu'il existe dans l'appareil judiciaire un moyen de sanction mis à la portée de tout le monde. Rien de semblable n'existant en droit international, il faut que chacun sanctionne lui-même sa volonté et appuie le droit sur le fait. Un lien de souveraineté ne peut pas être modifié, si la Puissance qui veut le modifier n'a pas une force matérielle suffisante pour faire triompher son désir; ceci est une thèse universellement admise lorsqu'il s'agit de reconnaitre l'indépendance d'une colonie révoltée ou d'une province sécessioniste. Les Puissances ne consentent à reconnaître le nouvel Etat que lorsqu'il est assez fort pour se maintenir et faire respecter son indépendance. Nous ne voyons pas pourquoi cette théorie recevrait une exception en faveur des protectorats qui constituent certainement un démembrement de souveraineté. Nous pensons donc que la simple déclaration de guerre ne suffit pas à déchirer le traité de protectorat, que ce lien juridique subsiste pendant toute la durée des hostilités, et que c'est seulement dans le cas où l'Etat protégé victorieux peut secouer définitivement le joug de son protecteur qu'on doit le considérer comme rompu.

Persistant pendant la guerre, quel caractère civil ou international le protectorat donne-t-il à celle-ci ?

22.

La question que nous venons de poser n'est pas susceptible d'une réponse absolue; elle dépend principale

ment de la conception que l'on se fait du protectorat du droit des gens. Nous ramènerons les différents systèmes, sur ce point, à quatre principaux :

4.

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2. Une théorie chère aux diplomates et aux hommes de gouvernement, c'est qu'il faut agir au mieux de ses intérêts sans s'embarrasser de subtilités juridiques gênantes; en particulier, que le protectorat est un instrument commode d'expansion coloniale dont on doit se servir sans s'inquiéter de délimiter les droits ni les devoirs des parties contractantes. M. Hanoteaux a admirablement développé cette idée à propos de l'expédition de Madagascar: « Si les publicistes qui ont soutenu, dit-il, avec des arguments également solides, des thèses contraires sur la question, avaient touché si peu que ce fùt à la réalité, ils auraient renoncé à leur entreprise; le protectorat, en effet, ne se définit pas, c'est un état de pur fait, et voilà tout. Il ne se définit pas, parce que le protectorat n'est rien autre chose, à vrai dire, qu'une restriction, une limitation, une modération, que dans son intérêt la Puissance victorieuse s'impose à ellemême au moment de la victoire, dans la mesure où il lui convient, alors qu'elle pourrait, en vertu du droit de la guerre, aller jusqu'au bout de sa conquète. N'en déplaise à nos jurisconsultes de cabinet, le protectorat ne se définit pas parce qu'il n'y a pas de tribunal pour juger les conflits qui pourraient s'élever entre protecteur et protégé sur la portée des termes de l'arrangement; et que, d'autre part,la force de la puissance protégée étant brisée et anéantie par une occupation permanente et un désarmement complet, tout recours à la guerre, sanction suprême des différents internationaux, est par là même rendu impossible (1) ».

(1) Hanoteaux, Le traité de Tananarive, Revue de Paris, 1er janvier 1896.

Rougier.

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