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On désigne généralement sous le nom de protectorat colonial la situation d'un Etat, primitivement souverain, mais dont le dominium a été entièrement détruit par les armes du vainqueur, sans que sa personnalité juridique ait été anéantie. L'Etat vaincu ne cesse pas d'exister, ne s'absorbe pas dans la personnalité du vainqueur, mais il cesse complètement d'être souverain et devient un Etat nonsouverain (1). Le vainqueur, tout en occupant l'Etat vaincu, et en l'administrant lui-même médiatement ou immédiatement, maintient alors sur son trône le souverain dépossédé, et feint de lui laisser exercer son ancienne autorité. Ce souverain n'est plus en réalité qu'un rouage très docile aux mains du vainqueur, un automate dont ce dernier commande les gestes.

Ce procédé ingénieux de colonisation, qui permet de s'implanter dans un pays sans affirmer trop brutalement sa conquête, et sans froisser les susceptibilités légitimes des populations soumises, paraît avoir été inventé par Dupleix, dans sa conquête des Indes. Les rajahs qui commandaient les provinces dans lesquelles il arrivait à s'établir, furent toujours laissés par lui sur leur trône, avec leurs titres et leurs. honneurs, mais devinrent dans sa main de simples instruments, qu'il dirigeait à son gré.

Les Anglais ont repris aux Indes et dans plusieurs autres de leurs possessions le système de Dupleix, en le modifiant

(1) Ce terme d'«< Etat non-souverain » paraît une absurdité puisqu'on considère la souveraineté comme un attribut essentiel de l'Etat, mais il est malheureusement aujourd'hui entré dans la langue usuelle. Nous l'avons déjà vu employé à propos de l'Etat fédéral, nous le retrouverons dons l'étude de l'Etat colonial. Par Etat non-souverain, il faut entendre une collectivité juridique, douée d'une personnalité propre, mais dépourvue de toute souveraineté, et dépendant d'un Etat souverain.

un peu. Les Hollandais l'ont appliqué à Java. La France. enfin en a fait un essai, d'ailleurs malheureux, à Madagascar. Depuis le 18 janvier 1896 (date de la prise de possession de l'ile et de l'acte unilatéral de soumission signé par la reine Ranavalo), jusqu'au jour de l'annexion définitive et de la déposition de la reine, la France exerça sur sa nouvelle conquête un protectorat colonial. La souveraineté de l'Etat malgache était entièrement détruite et absorbée dans celle de la France, mais sa personnalité juridique subsistait encore, et la reine, maintenue dans son autorité en restait le souverain apparent (1).

Entre l'Etat soumis au protectorat colonial et la colonie annexée, nous ne devons faire aucune différence, puisque cet Etat n'est pas souverain. Or, la révolte d'une colonie contre sa Métropole a toujours été assimilée avec raison à la révolte d'une province: c'est une guerre illégitime, une guerre civile caractérisée, dont les auteurs peuvent être châtiés comme rebelles (2).

Au lieu de maintenir artificiellement la personnalité d'un Etat dont le dominium a été détruit, le protectorat administratif ou occupation à titre de protectorat crée de toutes pièces une personnalité internationale fictive qui n'a jamais existé.

L'Allemagne pratique beaucoup ce procédé (d'où le nom de « protectorat genre allemand »). Elle occupe une portion de territoire habitée par des tribus sauvages et qui jamais n'a constitué un Etat. Elle attribue à un roitelet nègre

(1) Voir J. Dubois, La France à Madagascar, R. Gand, 1896, p. 642, (2) Lorsque le général Galliéni se vit dans la nécessité de faire fusiller deux ministres hovas pour étouffer une insurrection, il saisit ce prétexte, et condamna les deux malheureux comme rebelles envers la France, leur patrie.

quelconque de cette région un territoire vingt fois plus étendu qu'il n'en possède, afin de se ménager un vaste hinterland d'influence, et feint de traiter avec lui comme avec un véritable souverain. « Les caractères de ce régime, dit M. Pic, sont très clairement exposés dans l'étude de M. von Stengel sur la Constitution des colonies allemandes. L'auteur insiste sur cette idée, effectivement essentielle, que les territoires soumis au régime du protectorat administratif sont en réalité au regard de l'étranger de véritables colonies allemandes, du jour où ils ont fait l'objet d'une occupation conforme à l'acte de Berlin. Le protectorat diplomatique ou international présuppose, en effet, l'existence de deux Etats l'un protecteur et l'autre protégé. Or, les territoires africains et océaniens sur lesquels l'Allemagne étend actuellement sa domination n'appartenaient à aucun Etat organisé analogue à la régence de Tunis ou à l'Empire d'Annam. Ils étaient, au point de vue du droit public européen, des res nullius, susceptibles d'acquisition par le seul fait de l'occupation. Si ces territoires sont qualifiés de protec torats, c'est en raison de ce fait qu'au point de vue de leur administration intérieure, l'Empire utilise le concours des chefs indigènes, et qu'au point de vue législatif, ces colonies sont régies par des décrets spéciaux et non par des lois fédérales (1). » Suivant l'expression de Despagnet, le protecteur fait alors exercer la souveraineté par des personnes qui ne représentent pas d'Etat protégé, puisqu'il n'y en a pas, et qui ne sont que les délégués du protecteur dans le territoire dit protégé (2).

Si la guerre vient à s'allumer, ou à se rallumer, entre les

(1) Pic, Loc. cit. Rev. gén. de législ. et de jurisp., 1897, p. 466. (2) Despagnet, Op. cit., p. 175.

tribus soumises et les colonnes d'occupation, la qualification de protectorat donnée à la situation des occupants n'en change en rien le caractère. Ce n'est pas une guerre internationale, puisqu'il n'y a pas deux Etats en présence. La qualifier de guerre civile est un abus de mots, car on ne peut raisonnablement considérer ces tribus sauvages dont les Européens viennent envahir le territoire, comme des sujets de l'Etat envahisseur, tenus envers lui au devoir de fidélité. C'est une guerre de conquête coloniale, type qui mérite une place à part dans la classification générale des guerres, en ce qu'elle paraît être bien plutôt un fait que

l'exercice d'un droit.

21. Le terrain du débat se trouvant ainsi limité et circonscrit au seul protectorat du droit des gens, il nous reste encore une question préjudicielle à résoudre. Avant de rechercher quel caractère le lien de protectorat imprime à la guerre entre protecteur et protégé, il faut se demander si cette guerre même ne met pas fin au traité de protectorat. S'il en était ainsi, en effet, la question ne saurait se poser; dès le début des hostilités, l'Etat protégé reviendrait indépendant et pleinement souverain, recouvrerait l'intégralité de son droit d'action envers l'Etat protecteur, et la guerre aurait nécessairement le caractère international.

Plusieurs auteurs ont défendu cette thèse (1) à peu près

(1) En ce sens : Op. cit. Despagnet p. 336.

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:

Le conflit entre l'Italie et l'Abyssinie (R. D. I. P. 1897, pp. 36-37.)

P. Fedozzi: Le droit international et les récentes hostilités italo

abyssines (R. Gand, 1896, pp. 589-591.)

Gairal, p. 165.

dans les mêmes termes et avec les mêmes arguments. Déjà Vattel voulait que le protectorat fùt rompu par l'infidélité du protégé ou par la négligence du protecteur à remplir ses devoirs (1). Il s'agissait, il est vrai, du protectorat sauvegarde. Mais c'est en étudiant le protectorat moderne du droit des gens que Despagnet a repris récemment cette théorie et l'a développée avec beaucoup de précision: « Assimiler le pays qui combat son protecteur à un insurgé, dit-il, c'est lui refuser le caractère d'Etat, de personnalité distincte du droit international que le traité même de protectorat suppose et affirme; c'est dire aussi, ce qui est complètement inexact, que ce pays n'est plus qu'une dépendance de l'Etat protecteur, complètement assujettie à l'autorité de ce dernier, au point que toute résistance violente de sa part est considérée comme celle qu'opposerait une province au gouvernement central. Mais que devient alors la notion essentielle que le protectorat est un rapport d'Etat à Etat?... Qu'on n'oublie pas que le protectorat ne subordonne le protégé à l'autorité du protecteur que dans la mesure strictement fixée par le pacte qui les unit, et que pour tout le surplus, l'indépendance est complète entre les

deux Etats.

«...Quant au protectorat, il va sans dire qu'il ne peut subsister quand la guerre éclate. On discute, en effet, pour savoir si les hostilités mettent fin à tous les traités ou les suspendent, mais il est du moins hors de doute qu'elles

J. Dubois, Loc. cit. R. Gand, 1896, pp. 617 sqq.

Lors de l'expédition de Madagascar, la reine Ranavalo déclara dans sa proclamation au peuple hova que, par suite de l'agression de la France, le traité de protectorat de 1885 avait cessé d'exister (R. D. I. P, 1896, p. 39).

(1) Vattel, 1. I, ch. xvi, §§ 196-199.

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